Une coopérante suisse aux côtés des restauratrices de rue de Ouagadougou

Avec le fort exode rural que connaît le Burkina Faso depuis plusieurs décennies, la paupérisation augmente inexorablement en milieu urbain. Plus de la moitié des ménages de Ouagadougou, la capitale burkinabè, tirent l’ensemble ou une partie de leurs revenus d’activités informelles.

Active au sein de la branche burkinabè de la Marche Mondiale des Femmes (MMF), la  Bernoise Aja Diggelmann, coopérante suisse d’E-CHANGER, travaille depuis 2015 aux côtés des restauratrices de rue. Ces femmes vendent des repas pour faire vivre leur famille dans les rues de Ouagadougou, une ville qui compte désormais quelque deux millions d’habitants.

Dans une interview accordée à cath.ch, cette jeune anthropologue et spécialiste en communication parle des rêves de ces femmes courageuses, de leurs combats quotidiens, de leur talent à s’organiser collectivement. Elle est l’invitée de la campagne annuelle d’information de l’ONG E-CHANGER, qui se déroule du 27 mars au 7 avril 2017. Elle partagera volontiers son expérience de terrain au cours de rencontres publiques, notamment dans des écoles et des universités dans huit villes des cantons de Berne, Fribourg, Genève, Vaud, Jura et Valais.

Une initiative de la Marche Mondiale des Femmes

La Marche Mondiale des Femmes/Action Nationale du Burkina Faso (MMF/ANBF), dont le slogan est «Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche!», est un mouvement qui lutte depuis plus de 15 ans contre toutes formes de violences faites aux femmes et aux filles, contre la féminisation de la pauvreté et pour la promotion de la paix. Soutenue financièrement par l’ONG Oxfam, le MMF/ANBF développe le projet «Appui à l’autonomisation économique des femmes restauratrices de rue de Ouagadougou».

«Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche!»

«Ces femmes qui tiennent de petits restaurants dans la rue ont souvent une double journée. Elles sont nombreuses à se lever à 5h du matin, pour préparer le petit déjeuner, lever les enfants, les habiller, les faire manger puis les envoyer à l’école, avant de se rendre au travail, gagner quelque argent en vendant de la nourriture, pour finalement rentrer à la maison et préparer le repas du soir. Beaucoup ne peuvent pas se coucher avant minuit!», souligne Aja Diggelmann.

Le tô, plat national du Burkina Faso

Elles sont des milliers à se rendre dans les rues de Ouaga avec leur casserole, vendre des sandwichs, des omelettes, le tô, plat national du Burkina Faso, composé d’une boule de mil ou de maïs servie dans une sauce, le plus souvent au gombo, un légume typique de la région. Ces initiatives de survie sont devenues aujourd’hui des forces incontournables dans le développement de l’économie nationale.

Des opportunités pour les femmes

En raison de la démographie galopante de la commune de Ouagadougou, et aussi du fait que nombre de travailleurs ne rentrent plus pour manger dans leur famille à la mi-journée, en raison de la hausse vertigineuse du prix de l’essence, de plus en plus de gens mangent dehors. La demande en restauration de rue est ainsi de plus en plus forte, offrant ainsi des opportunités de travail pour les femmes.

Mais si la restauration s’avère être une activité très porteuse, l’offre de service doit être de qualité, ce qui n’est pas toujours le cas. Il existe des problèmes de salubrité et de manque de formation. La faiblesse des chiffres d’affaires des restauratrices de rue ne leur permet pas toujours d’avoir des équipements adéquats pour offrir un cadre d’accueil confortable et attirer plus de clients. Autre difficulté: les femmes n’ont pas accès au crédit au même titre que les hommes. Ce n’est là qu’un des exemples du «machisme» plus ou moins fort qui imprègne les rapports sociaux dans la société burkinabè. Il leur est également plus difficile d’accéder au marché du travail formel.

Plus d’égalité entre hommes et femmes

Le projet auquel participe Aja Diggelmann veut justement contribuer à plus d’égalité entre hommes et femmes au Burkina Faso, qui veut dire littéralement «Pays des hommes intègres».  «Certains hommes disent que l’activité de restauratrice de rue n’est pas un vrai boulot, d’autres confisquent le revenu que ces femmes obtiennent par ce travail. L’attitude est très diverses selon les familles et le niveau d’éducation», note la coopérante suisse. Qui se réjouit que les  jeunes commencent à bouger.

21 femmes participent à cette initiative où le MMF/ANBF assure leur formation dans divers domaines, comme élaborer un plan de gestion et de marketing. «Dans notre travail avec les restauratrices et leurs personnels, nous impliquons les maris, les conjoints. On essaye de leur faire voir les problèmes à travers les yeux des femmes. Cela prendra du temps pour que les choses changent, mais on espère que ces maris puissent contribuer à ouvrir les yeux des autres hommes. On ne peut pas changer la réalité sans la participation des hommes. Si le mari est hostile à ce que fait sa femme ou s’il n’est pas intéressé à ce qu’elle se forme, à ce qu’elle réussisse, tout cela est vain!»

Intégrer les hommes

Pour l’anthropologue bernoise, loin du féminisme radical de type occidental, les hommes doivent absolument être intégrés dans la démarche, même dans la problématique du planning familial. «En ville, un homme qui a huit enfants va aussi souffrir, pas seulement la femme; de nombreux jeunes disent ne plus vouloir autant d’enfants, car ils veulent aussi qu’ils soient éduqués, qu’ils puissent aller à l’école, étudier, même s’il y a beaucoup de jeunes qui sortent de l’université et qui sont sans emploi».

Ce qui réjouit beaucoup Aja, c’est le dynamisme des femmes burkinabè: «nos restauratrices ne sont pas passives, elles font des formations qui leur permettent d’aller de l’avant, de renforcer leurs compétences. Elles saisissent les opportunités que nous leur donnons, et ne lâchent plus! Elles ont ainsi plus de clientèle pour leur restaurant, et par conséquent plus de revenus, ce qui leur permet d’améliorer leur bien-être et celui de leur famille. Elles peuvent s’acheter, pour elles-mêmes, un nouveau pagne, assurer la formation de leurs enfants, améliorer leur ménage. Elles sont fières de ce qu’elles peuvent ainsi atteindre!» JB


Une société tolérante

La société burkinabè fait montre d’une grande tolérance interreligieuse. La preuve: il y a des nombreux mariages mixtes et des musulmans peuvent se convertir au christianisme et vice-versa sans que cela ne fasse grand problème. Mais la coopérante suisse sent tout de même une certaine tension avec la poussée du fondamentalisme musulman dans toute la région sahélienne. «On voit rarement des femmes avec le voile intégral (burqa), mais dans la rue, le voile islamique est de plus en plus porté». JB


Le danger islamiste

De 2015 à 2016, le Burkina Faso a connu plus d’une vingtaine d’attaques ou agressions terroristes menées dans le nord du pays contre les forces de défense et de sécurité ou contre des civils. Selon Simon Compaoré, ministre d’Etat en charge de la sécurité, ces différentes attaques djihadistes ont causé la mort de plus de 70 personnes, dont des soldats, des imams et d’autres civils. Elles ont lieu notamment dans le sahel burkinabè, non loin de la frontière avec le Mali. Des terroristes à moto arrivent dans les écoles et ordonnent au personnel d’enseigner l’arabe et le coran, et exigent que les enseignantes portent le voile.

Fin janvier, des individus armés ont enjoint aux enseignants des écoles de Pétega, de Pélem-Pélem et de Lassa, dans la province du Soum, de dispenser les cours en arabe en lieu et place du français. Le 3 mars 2017, une attaque perpétrée à Kourfayel, près de Djibo, dans la même province, a coûté la vie à Salifou Badini, directeur de l’école primaire de Kourfayel, ainsi qu’à un villageois. Plusieurs enseignants ont déjà abandonné leur poste dans les villages de cette province et toute la région vit dans l’insécurité. JB


La majorité vit dans la pauvreté

La majorité de la population au Burkina Faso vit dans un contexte général de pauvreté. Ce sont plus particulièrement les femmes et les filles qui sont touchées. Elles assument la plus grande partie des tâches ménagères et sont souvent très dépendantes de leur conjoint, financièrement et socialement. Les violences conjugales sont, dans bien des cas, banalisées et le mariage précoce encore souvent considéré comme normal. Dans ces conditions, l’action de la Marche Mondiale des Femmes/Action Nationale du Burkina Faso est indispensable pour nombre de femmes, de filles, d’associations membres, qui luttent pour une réduction de la pauvreté et de la violence. La MMF/ANBF développe au Burkina un travail à la fois de terrain avec les communautés et de plaidoyer pour que progresse l’équité entre les sexes et que cessent toutes les violences. Ses actions touchent près de 170’000  femmes et filles à travers le pays.


Biographie

Née en 1983, originaire du canton de Berne, Aja Diggelmann a passé sa maturité à Burgdorf. Elle a étudié l’anthropologie sociale, les sciences politiques, le journalisme et les communications sociales, notamment aux universités de Fribourg (bachelor en ethnologie) et de Lucerne, où elle a obtenu le master dans la même branche. Elle a effectué de nombreux voyages et stages professionnels, essentiellement en Afrique, mais aussi en Asie et en Amérique du Sud. De 2013 à 2015, elle a travaillé comme administratrice d’un centre de requérants d’asile dans le canton d’Argovie. La jeune Bernoise, qui a passé les trois premières années de sa vie à Kasangulu, en République Démocratique du Congo (où ses parents tenaient une ferme laitière), est depuis novembre 2015 coopér-actrice d’E-CHANGER au Burkina Faso.

Elle travaille comme chargée de communication auprès de la Marche Mondiale des Femmes/Action Nationale du Burkina Faso, un partenaire historique d’E-CHANGER. Après son séjour au Burkina Faso, elle souhaite continuer à travailler sur le terrain dans les pays du Sud. (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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