«L’encyclique du pape François ne dit rien de nouveau», lance Guillermo Kerber. On retrouve en effet dans Laudato Si’ les thèses environnementales de théologiens, notamment latino-américains, de dirigeants religieux chrétiens non-catholiques ou encore d’auteurs profanes. Le théologien et philosophe a exposé cette thématique à une quarantaine d’étudiants en théologie d’agents pastoraux, réunis le 21 mars 2017 au Centre spirituel Ste-Ursule de Fribourg. Diplômé de l’Université pontificale grégorienne de Montevideo, Guillermo Kerber travaille à l’Atelier œcuménique de théologie de Genève. Il a également collaboré avec le Conseil œcuménique des Eglises (COE), basé dans la même ville.
Il s’est tout d’abord penché sur la méthodologie de Laudato Si’, mettant en évidence l’articulation de l’ouvrage en trois phases «voir-juger-agir». Une formule fréquemment utilisée par des auteurs issus de l’Action catholique et de la théologie de la libération.
Laudato Si’ a eu un impact au-delà de l’Eglise
Sur le plan du contenu, les corrélations entre la théologie latino-américaine et les thèse du pape sont évidentes. Le pontife argentin y fait les mêmes liens entre destruction de l’environnement et pauvreté. Le théologien de la libération brésilien Leonardo Boff a par exemple publié en 1995 l’ouvrage Cri de la terre, cri des pauvres. Dans Laudato Si’, le pontife enjoint ainsi à «écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres». Il y reprend en général l’idée déjà largement présente dans la théologie latino-américaine, selon laquelle tout est connecté. A l’instar du courant théologique surtout répandu en Amérique latine, le pape adopte ainsi une vision «intégrale» de l’écologie, qui prend notamment en compte la dimension sociale, mentale et spirituelle.
L’écologie intégrale développée par François rejoint également les théories de penseurs chrétiens non-catholiques. Le théologien uruguayen cite principalement le patriarche orthodoxe de Constantinople Bartholomée 1er. Le «patriarche vert» a ainsi, dès les années 1990, dénoncé une «théorie du développement» qui préfère la production à la dignité humaine et la richesse à l’intégrité humaine. Une idée largement partagée par le pape François, qui appelle dans Laudato Si’ à un changement de paradigme en la matière. Le COE s’efforce lui aussi de démontrer, depuis des décennies, le lien entre protection de l’environnement et justice sociale.
L’être humain doit être «l’intendant» de la terre
Guillermo Kerber relie également les thèses du pontife à celles de plusieurs auteurs profanes. Il cite notamment Arne Naess. Le philosophe norvégien a introduit le terme «d’écosophie» (du mot grec sophia ‘sagesse’) qui appelle à une expansion de la pensée écologique.
L’encyclique reprend donc nombre d’idées déjà existantes. Mais elle a, selon Guillermo Kerber, l’immense avantage de «catalyser» ces dernières. Elle l’a fait, de plus, à un moment opportun, avant la Conférence de Paris pour le climat (COP21) et l’adoption des objectifs de développement durable de l’ONU, en 2015. Guillermo Kerber estime que les thèses du pape ont eu une influence non négligeable sur les décisions prises à ces occasions. Les réactions très positives de scientifiques, politiques, leaders religieux à l’égard de son encyclique montrent qu’elle a eu un impact au-delà de l’Eglise catholique.
Mais Laudato Si’ constitue aussi une «réponse» à certaines accusations. C’est ce qu’est venu expliquer dans une seconde partie de l’événement, le dominicain Hans-Ulrich Steymans. Le professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg a éclairé le contexte théologique et économique mondial de l’encyclique. Car le pontife y présente aussi ses réflexions sur la responsabilité du christianisme quant à la destruction de l’environnement. Cette «accusation» a notamment été lancée par l’historien américain Lynn White. Dans un article paru en 1967, il a prétendu que la religion chrétienne était à la racine du problème écologique. L’interprétation que le monde chrétien a fait de la Bible aurait rendu possible son attitude dominatrice et irrespectueuse de la nature. Lynn White estime que le christianisme nie que la nature en général puisse avoir une valeur propre. Cela permet à l’homme d’en abuser. Lui-même chrétien, Lynn White, décédé en 1987, enjoignait cette religion à changer son regard sur la Création.
Pour le professeur Steymans, Laudato Si’ cherche à se positionner face à ce texte. Le chapitre de l’ouvrage intitulé «La racine humaine de la crise écologique» fait sans nul doute référence à l’article de l’historien américain. Dans sa «réponse», le pape prend appui sur la pensée du religieux irlandais Sean McDonagh, auteur en 1990 de The Greening of the Church (Pour une Eglise verte). Il met en avant l’injonction de Dieu à Adam de travailler le jardin d’Eden. L’être humain est destiné ainsi destiné à être «l’intendant», le «gardien» de la terre, et non pas son exploiteur. Une conception reprise par le pape François.
«Nous sommes responsables non seulement de ce que nous faisons, mais également de ce que nous ne faisons pas»
Un changement de regard que l’encyclique du pape a, selon le professeur Steymans, effectivement réalisé. Il a souligné que l’heure était à présent à la «conversion écologique», c’est-à-dire à la transformation des attitudes en comportements.
Dans cette optique, la journée d’études s’est penchée sur des actions concrètes entreprises dans le monde chrétien pour la sauvegarde de la création.
Vroni Peterhans-Suter, vice-présidente d’oeco-Eglise et environnement, est ainsi venue expliquer ce que pouvait signifier un engagement chrétien dans le domaine. Créée en 1986, oeco, basée à Berne, est issue du mouvement œcuménique pour la justice, la paix et la sauvegarde de la Création. L’association apporte son appui aux paroisses et aux Eglises cantonales en mettant à leur disposition des suggestions en matière de théologie de la Création, des cours, des exemples de bonne pratique et des spécialistes. Elle est reconnue par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) et par la Conférence des évêques suisses (CES).
Vroni Peterhans-Suter possède une ferme en Suisse alémanique. Tout en s’efforçant d’y mettre en place les dispositifs les plus respectueux possibles de l’environnement, elle y propose des séances de sensibilisation à l’alimentation et à l’écologie, destinées surtout aux enfants. Egalement active comme catéchiste, elle s’efforce d’éveiller les plus petits à l’émerveillement face à la nature. Elle oriente son engagement à travers une maxime de Molière: «Nous sommes responsables non seulement de ce que nous faisons, mais également de ce que nous ne faisons pas». Elle s’est réjouie de la publication de Laudato Si’, qui est venue pleinement justifier son engagement.
Vroni Peterhans-Suter a finalement regretté que son association soit surtout active en Suisse alémanique. Ses membres s’efforcent ainsi de la développer également dans la zone francophone.
Une autre initiative originale a été présentée par l’éthicien genevois Ignace Haaz. Le docteur en philosophie a été à l’origine, dans sa paroisse de Chêne, d’une Charte de justice climatique. Il s’est agi pour les responsables réformés d’une manière de formuler, dans une forme brève, l’essentiel de l’engagement chrétien en faveur de l’environnement. La paroisse a collaboré en ce sens avec la maison d’édition genevoise Globethics, pour laquelle Ignace Haaz travaille également.
La paroisse s’efforce en outre de devenir aussi «verte» que possible, en diminuant notamment sa consommation énergétique. Elle a débuté également un travail de lobbying pour inciter les autorités genevoises à en faire plus pour l’environnement. Le responsable réformé estime qu’il est du devoir de tout chrétien, comme le souligne Laudato Si’, d’agir pour la Création tout en restant dans une forme de dialogue avec la science. (cath/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/laudato-catalyseur-necessaire-de-pensee-ecologique/