Une récente commission a été désignée par le pape François, pour une éventuelle révision de l’instruction Liturgiam authenticam, parfois objet de discussions vives entre le Vatican et les épiscopats locaux. Quel en est le sens?
Je pense que l’objectif de la commission sera d’étudier si Liturgiam authenticam est un bon instrument pour la traduction des textes liturgiques en langue vernaculaire. Cette instruction est entrée en vigueur il y a 16 ans. Depuis, plusieurs textes ont déjà été traduits, comme le missel en anglais (2011), en espagnol pour différents pays – déjà en vigueur au Mexique et en Colombie, ce sera le cas en Espagne le 1er dimanche de Carême, le 5 mars. En Italie, d’autres livres liturgiques ont été traduits selon Liturgiam authenticam, comme le rituel du mariage. Il y a des critiques, mais aussi des voix positives. Le rôle de la commission sera peut-être de voir où sont les problèmes, s’ils peuvent être résolus. Cela étant, ni le calendrier, ni les membres de cette commission ne sont officiellement connus pour le moment.
La Bible ne parle pas comme on parle à table!
Quels sont les fruits positifs de Liturgiam authenticam? D’où viennent les critiques?
En Espagne, cette traduction a été saluée par beaucoup, à commencer par l’évêque de León, Mgr Julián López Martín, président de la commission liturgique de la conférence des évêques espagnols. Il faut aussi lire les commentaires de la conférence épiscopale des Etats-Unis, avec toute la catéchèse faite avant l’entrée en vigueur de la traduction en anglais du missel. Concernant les oppositions, nous sommes à parts égales entre les pour et les contre. Les chiffres de certains journaux donnant 70% de contre ne sont donc pas exacts.
Pourquoi cette instruction pose-t-elle tant de difficultés?
Pour faire un résumé rapide des critiques, on pourrait dire qu’elles accusent la liturgie de ne pas parler avec les mots de tous les jours. Mais la Bible non plus ne parle pas comme on parle à table! Pour s’approcher de ce langage biblique et patristique qui imprègne toute la liturgie, il faut se préparer. Les traductions précédentes ont peut-être voulu que le sens soit immédiat, mais au prix de la perte d’une grande partie du contenu. Comme le disait Benoît XVI, nous sommes face à un analphabétisme liturgique et religieux.
La réforme est-elle bloquée?
Ce qui me paraît important, c’est la conversion du cœur. Entre ceux qui veulent traduire selon Liturgiam authenticam et ceux qui s’opposent à ces traductions. S’il n’y a pas de bonne volonté des deux côtés, ce sera très difficile de progresser. Il faut aussi beaucoup d’humilité, vertu essentielle pour s’approcher de la liturgie selon Romano Guardini. En effet, il faut sortir de nous-mêmes pour entrer dans quelque chose que nous n’avons pas créé, mais qui nous a été donné. Dans le monde occidental, nous sommes habitués à construire, à faire nous-mêmes. Contrairement au monde oriental, qui qualifie d’ailleurs la liturgie de ›divine’, montrant que celle-ci est reçue de Dieu.
Qu’en pense le pape selon vous?
Je crois que le pape, en réalité, n’a pas une idée définitive sur cette question. Du point de vue liturgique, ses interventions peuvent être résumées à deux thématiques: valoriser l’adoration, et souligner la relation qui existe entre la liturgie et la vie. Il me semble qu’un langage commun ne favorise pas l’adoration, le sens du mystère dont parle le pape François. Tant de fois il a répété que nous sommes habitués à prier, demander, remercier, mais très peu à adorer. Le langage de Liturgiam authenticam aide justement à comprendre que la rencontre avec Dieu est différente de celle avec mes amis, même si Dieu est le grand Ami. Ce langage liturgique favorise l’adoration et la primauté de Dieu.
Pour la relation liturgie-vie, il est important que la liturgie pénètre dans la vie, en la tirant vers le haut. En ce sens, il faut que la liturgie aide à élever le monde. Il ne faut pas nous contenter du monde tel qu’il est, car cela revient à mondaniser la liturgie. C’est précisément ce dont le pape François ne veut pas: mondaniser la liturgie. Au contraire, c’est le monde qui doit devenir adoration. (cath.ch/imedia/ap)
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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