En Occident, les religions ne cessent de décliner. 70% de la génération Y, les individus nés entre 1980 et 2000, ne croient plus en une puissance supérieure, indique une étude de 2015 du Pew Research Religious Landscape Study, un institut de recherche américain. La «génération milléniale» marquera-t-elle la chute du religieux? Rien de moins sûr, selon les chercheurs du Modeling Religion Project.
Unique dans son ampleur, le projet recueille et analyse une masse énorme de données anthropologiques, psychologiques, archéologiques et démographiques liées à la religion pour cerner le développement et l’impact social des croyances à travers l’histoire. Mené par le philosophe et théologien de l’Université de Boston Wesley Wildman depuis 2015, il cherche également à mesurer la croissance potentielle de l’athéisme.
Pour s’affranchir du surnaturel, les ressources en nourriture doivent être abondantes pour la plupart des classes sociales.
Les analyses s’étendent à différentes époques de l’histoire, du néolithique à l’époque moderne. Des millions de données dont la masse était bien trop importante pour les ordinateurs de la Boston University School of Theology. Les chercheurs ont donc fait appel à l’infrastructure informatique du centre de modélisation et de simulation de l’Université Old Dominion à Norfolk (Virginie). Et ces mastodontes ont fini par extraire certaines constantes de ce chaos de données.
Parmi elles, l’utilité du facteur religieux en terme de cohésion sociale. Les religions, en distinguant les comportements orthodoxes de ceux qui ne le sont pas, ont contribué à former l’identité commune de différentes sociétés. Elles ont facilité la transition de communautés de chasseurs-cueilleurs nomades en agriculteurs sédentaires, en amplifiant la coopération de personnes soumises à une même surveillance surnaturelle.
Les analyses montrent également que la religion et le nombre d’individus charismatiques, que Wesley Wildman appelle des «personnes à haute intensité» (high intensity people), s’accroissent proportionnellement. Elles suggèrent d’autre part que les civilisations qui ont perduré avec succès pendant une période significative ont fait cohabiter la religion et d’autres valeurs alternatives portées par la société.
Un des modèles du projet, baptisé le «modèle de modernité» s’intéresse à l’émancipation religieuse occidentale du 18e siècle, lorsqu’un certain nombre de penseurs commencent à contester les croyances intuitives attribuant aux événements une cause transcendante. Les analyses ont montré que, pour aller au-delà de ce que Wesley Wildman nomme une «société surnaturelle», un certain nombre de facteurs sont nécessaires. Pour s’affranchir du surnaturel, les ressources en nourriture doivent être abondantes pour la plupart des (ou toutes les) classes sociales – le cas échéant, le recours au divin devient moins utile. De plus, les sociétés «post-surnaturelles» doivent être plurielles et diverses afin d’attester que des croyances différentes peuvent partager des mêmes structures de pensée. L’éducation doit être scientifique et les membres du corps social doivent être libres d’adopter des comportements non-religieux.
Si l’histoire récente montre le développement de sociétés athées, les modèles du Modeling Religion Project laissent toutefois présager d’une sorte d’inclination à une croyance naturelle. Le projet de recherche indique que l’attachement religieux fluctue au fil des siècles. Surtout, il s’intensifie en temps de crise. Le «modèle de modernité» suggère ainsi que la religion peut à nouveau pointer le bout de son nez au cœur des sociétés athées en cas de choc culturel grave – un choc climatique qui perturberait l’approvisionnement alimentaire, par exemple.
En tenant compte des tendances religieuses et sociales mondiales, le Pew Research Religious Landscape Study prévoit que l’athéisme de la génération Y se réduira en pourcentage de la population mondiale d’ici à 2050. Les simulations du Modeling Religion Project, quant à elles, indiquent qu’une catastrophe écologique accompagnée d’une sécheresse massive pourrait prochainement redynamiser les croyances naturelles. La prospérité éloigne donc de Dieu, la crise y ramène. Wesley Wildman est formel. Le Fils prodigue aussi. (cath.ch/pp)
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/big-data-predit-lavenir-religions/