Dans la province indonésienne de Kalimantan occidental, 85% des terres sont désormais consacrées à l’huile de palme et au caoutchouc, soit 5,5 millions d’hectares, relève Maryline Bisilliat, responsable du dossier «droit à l’alimentation» chez PPP. Les conséquences de cette monoculture sont terribles pour les populations locales : spolations, évacuations forcées, violences policières, violation des droits humains, pénuries de denrées alimentaires… sans parler du désastre écologique et de la pollution.
En l’absence de titres fonciers, et d’un véritable Etat de droit, les paysans n’ont pas les moyens de se défendre contre l’accaparement des terres. Celles-ci sont cédées par les autorités publiques corrompues à de grands groupes agro-industriels qui inondent le marché mondial d’huile de palme bon marché. Aujourd’hui, cette huile se retrouve dans au moins la moitié de nos produits alimentaires ou de nos cosmétiques. La Suisse est impliquée dans ce business par plusieurs de ses banques qui ont investi dans cette industrie. AdC et PPP entendent bien leur demander des comptes.
Sur le terrain, les œuvres suisses d’entraide soutiennent des organisations locales qui luttent pour la défense des droits des communautés. «Dans certains cas, les populations locales ne sont même pas consultées, dans d’autres, elles n’obtiennent pas les contreparties promises, dans d’autres encore elles sont expulsées.» Outre l’Indonésie, la campagne œcuménique évoque aussi le cas de Madagascar où la situation est analogue.
Ce phénomène de l’accaparement des terres, atteint une dimension gigantesque. Pas moins de 40 fois la surface de la Suisse (près de trois fois la France) a été cédée – principalement en Afrique à d’autres Etats ou à des investisseurs privés, s’alarment AdC et PPP. «La campagne vise donc à nous interroger sur notre rapport à la terre. Elle pose la question de savoir si elle est source de vie ou si elle se réduit à un objet d’investissement.»
«En relisant la Bible, nous nous apercevons que la question n’est pas si nouvelle», relève Bernard DuPasquier, directeur de PPP. L’histoire de la vigne de Naboth dans le livre des Rois (1,21) est très emblématique. Le roi Achab veut acheter la vigne de Naboth pour en faire un jardin. «Je ne céderai pas l’héritage de mes pères», lui répond le vigneron. Le roi très contrarié en parle à sa femme Jezabel. «N’es-tu pas le roi, ne peux-tu pas faire valoir ton droit de souverain?» Et Jézabel d’organiser un complot pour faire accuser Naboth d’avoir maudit Dieu et le roi. Le vigneron est lapidé par la foule. Jézabel va trouver son mari «Tu peux maintenant prendre possession de la vigne !»
Deux visions s’opposent: Celle de Naboth qui relie la terre à ses racines et à ses ancêtres et celle du roi Achab qui la voit comme un simple bien négociable. «Aujourd’hui, on peut parler d’une pensée unique économique qui a perdu toute dimension verticale soit vers ses racines soit vers le ciel», commente Bernard DuPasquier. Une autre référence est celle de la notion de l’année jubilaire décrite dans le Lévitique (25) où les dettes sont abolies et les esclaves libérés. «Ces deux mesures cherchent précisément à éviter l’accaparement des biens et à libérer de l’asservissement.» Dans l’Evangile, Jésus se réfère aussi à cette notion. «Nous devons passer d’un concept où l’homme est maître de l’éco-système à une vision où il n’est qu’un des membres de ce système.»
Dans une société suisse urbanisée et bien souvent déconnectée de son lien à la terre, les gens se posent de plus plus de questions. «J’ai été voir le film La révolution silencieuse, il y a quelques jours, la salle était pleine», raconte le théologien. Ils ne veulent plus vivre dans une culture «hors-sol» liée à une vision faussée du monde axée sur une logique du tout économique.
La campagne œcuménique de Carême lie toujours l’action d’entraide concrète à l’action politique et symbolique. L’entraide repose sur les recettes traditionnelles: quête dans les paroisses, appel aux dons, soupes de carême, vente des roses – cette année en partenariat avec la COOP- pain du partage. La nouveauté de cette année est la vente de roses virtuelles sur une application pour smartphone Give a rose.
L’action politique consiste à interpeller les banques suisses face à leurs responsabilités dans le phénomène d’accaparement des terres. Une enquête détaillée sur leur implication sera rendue publique le 6 mars prochain.
Aux paroisses, mais aussi aux particuliers, la campagne propose l’action «Cultivez la vie». Il s’agit d’installer des palettes de transports CFF que l’on remplit de terre et dans lesquelles on sème des plantes de saison. Ce geste symbolique entend dénoncer l’injustice subie par les familles paysannes du Sud menacées par l’extension des monocultures.
Depuis quelques années les groupes de jeûneurs, une cinquantaine en Suisse romande, partagent l’expérience physique et spirituelle du jeûne pendant toute une semaine.
La campagne œcuménique de Carême, c’est aussi une offre abondante de moyens d’animation et de célébration pour les paroisses et les communautés: Tenture de carême, cahier d’animation, suggestions liturgiques, calendrier de carême, affiches, images etc… A noter en particulier le film de la campagne:«Terres volées».
Tous ces moyens sont disponibles sous www.voir-et-agir.ch
(cath.ch/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/campagne-oecumenique-de-careme-2017-terre-source-de-vie-de-profit/