Depuis 1997, deux organisations catholiques, Franciscans International et les Dominicains pour la Justice et la Paix collaborent aux Nations-Unies à Genève. Objectif: développer un plaidoyer pour les droits de l’homme, avec une option préférentielle pour les pauvres et les marginalisés.
Le franciscain allemand Markus Heinze, directeur exécutif de l’ONG Franciscans International (FI), également accréditée auprès de l’ONU à Genève, collabore étroitement avec Michael «Mike» Deeb. Les deux religieux veulent tout à la fois éveiller la conscience concernant les droits de l’homme au sein de leur ordre religieux et inciter les Etats à améliorer leurs normes en la matière.
L’engagement de FI auprès des instances de l’ONU peut parfois paraître vain. Il enregistre cependant aussi des «victoires», note son directeur exécutif. Comme dans le cas des enfants «sorciers» du Bénin. Markus Heinze estime préférable que son organisation ne s’empare pas de thèmes repris par les grandes organisations, pour ne pas se disperser. «Comme petite ONG, nous avons davantage d’efficacité avec de petits pays, comme dans le cas du Bénin. Que pourrions-nous faire pour la Syrie, là où même Kofi Annan a échoué!»
Au Bénin, FI a réussi à faire bouger les choses, alors qu’au début, le gouvernement niait cette réalité. L’infanticide rituel de ces enfants, dans le nord du Bénin, est une pratique ancrée dans la tradition. Elle consiste à tuer tout enfant issu de naissances désignées comme anormales – naissance par le siège ou par les pieds, ou encore face contre terre. Ces bébés sont éliminés, car ils sont considérés, selon les croyances traditionnelles, comme une malédiction pour la famille et la communauté.
Dans cette région, 10% des bébés à naître sont ainsi des victimes potentielles d’infanticide. «Quatre ans après notre intervention, le gouvernement béninois avait pris des mesures pour lutter contre le phénomène…»
FI travaille avec d’autres ONG sur des problèmes comme la protection de l’environnement et le développement durable, ou encore la détention ‘offshore’ de migrants par le gouvernement australien sur l’île de Nauru et sur celle de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. FI s’intéresse également à l’impact sur les droits humains du commerce illicite des ressources naturelles, notamment au Brésil, aux Philippines, en Indonésie, au Burundi ou en République démocratique du Congo. L’ONG franciscaine dénonce l’impact négatif sur les communautés des multinationales dans le secteur des industries minières et extractives, insistant sur le fait que la pauvreté extrême est une grave violation des droits de l’homme.
Markus Heinze cite l’ONG Ofxam, selon laquelle les 62 milliardaires les plus riches du monde possèdent autant de richesse que les 3,6 milliards de personnes les plus pauvres. La richesse de ces 62 personnes les plus riches a augmenté de 44% depuis 2010, tandis que les pauvres sont toujours plus pauvres… «Eradiquer la pauvreté extrême est davantage qu’un simple devoir moral, c’est une obligation légale en vertu de la législation actuelle sur les droits de l’homme». JB
Franciscans International, l’Ordre des dominicains, comme un certain nombre d’autres organisations religieuses, ont un statut consultatif aux sièges des Nations Unies à Genève et à New York, voire à ceux de Vienne et Nairobi. Franciscains et Dominicains pour les droits de l’homme (FIOP) travaillent en partenariat. Tous deux constatent que parmi les religieux et les prêtres de la jeune génération, la problématique des droits de l’homme ne semble pas être la première des priorités.
«Il y a souvent de la réticence, surtout pour certains de nos jeunes confrères, à être associés à de tels combats. Mais si on creuse plus profondément, nous découvrons souvent chez beaucoup des actions en profondeur qui promeuvent les droits humains ou la justice et la paix», concède Frère Mike, qui coordonne ses activités principalement à partir du couvent de Sainte-Sabine, à Rome, où siège le gouvernement de l’Ordre des Prêcheurs.
Markus Heinze est installé depuis 2010 à Genève, où il a restructuré l’ONG Franciscans International (FI), basée au 37 de la rue de Vermont. Né à Mannheim, ce franciscain allemand âgé de 57 ans, qui a étudié la théologie et la philosophie à Fribourg-en-Brisgau et à Lucerne, a longtemps travaillé avec les familles de migrants, notamment à Francfort. Il représente auprès des Nations Unies les diverses branches de la famille franciscaine. Pour des raisons budgétaires et d’efficacité, le bureau de Bangkok a été fermé et le nombre de personnes dans les bureaux de Genève et de New York a été réduit drastiquement afin de se concentrer sur le travail de plaidoyer en faveur des droits de l’homme. JB
Avec 8 personnes à Genève et une autre à New York, FI travaille avec les communautés franciscaine présentes sur le terrain dans les régions Asie-Pacifique, dans les Amériques et en Afrique. En Europe, il est plus difficile de trouver des financements pour le travail de plaidoyer en faveur des droits de l’homme.
«C’est plus facile en ce qui concerne des projets dans les pays du Sud!», remarque Markus Heinze. FI, avec d’autres ONG, est toutefois intervenu avec succès en Allemagne pour que la loi sur la prostitution protège davantage les femmes contre le trafic et l’exploitation. FI s’élève également contre les violences et la discrimination visant dans certaines sociétés les personnes ayant une orientation sexuelle minoritaire. Les victimes de la pollution industrielle et les maladies causées par l’amiante en Italie ont également été dans le radar de l’ONG, qui milite pour le développement durable. JB
FI comme Dominicains pour la Justice et la Paix rédigent, à partir des informations réunies sur place par leurs correspondants, des rapports de la société civile qui sont remis à l’ONU en même temps que les rapports officiels des Etats, rédigés pour l’Examen Périodique Universel (EPU), un processus unique en son genre.
L’EPU a été établi par la résolution 60/251 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 15 mars 2006. L’Examen Périodique consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Ce processus, mené sous les auspices du Conseil des droits de l’homme, fournit à chaque Etat l’opportunité de présenter les mesures qu’il a prises pour améliorer la situation sur son territoire et remplir ses obligations en la matière.
Processus basé sur la coopération, l’EPU a permis, à fin octobre 2011, d’examiner la situation des droits de l’homme des 193 Etats membres des Nations Unies. C’est un des piliers sur lequel s’appuie le Conseil des droits de l’homme. «Notre rapport contredit souvent celui, officiel, des Etats. Même si nous n’avons qu’une voix consultative, les recommandations que nous émettons peuvent tout de même avoir des effets concrets pour améliorer la situation des droits de l’homme», relève Markus Heinze. Talonnés par la société civile, certains Etats sont poussés à suivre ces recommandations publiques et relayées par les médias. Deux ans après la publication de l’EPU, l’ONU vérifie à chaque fois l’état de la situation, demande des précisions et rédige un rapport intermédiaire. «Cela a un réel impact», juge le directeur exécutif de Franciscans International. JB
Mike Deeb, promoteur des droits de l’homme au sein de l’Ordre des Prêcheurs, a lui-même connu les geôles du régime d’apartheid pour son combat pour la justice en 1985. S’il salue l’engagement social de nombre de ses confrères, il constate qu’à l’instar de ce qui se passe dans le milieu chrétien en général, les dominicains sont relativement peu nombreux à voir la nécessité de s’attaquer aux fondements mêmes de l’injustice. «Une majorité de catholiques préfèrent prendre pour exemple Mère Teresa, c’est déjà bien, mais c’est insuffisant: elle n’a jamais abordé les causes de l’injustice et de la pauvreté…», note le religieux sud-africain de 64 ans. JB
Suite à l’adoption des Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en septembre 2012, ATD Quart Monde et Franciscans International (FI) ont élaboré un manuel pour les rendre plus accessibles. Il est destiné à traduire le langage juridique des Principes directeurs sous forme de suggestions concrètes permettant d’aider les acteurs locaux à mieux comprendre ce que signifient les droits de l’homme pour les personnes en situation de grande pauvreté.
Les responsables politiques, les services publics et les décideurs négligent ou ignorent souvent les groupes vivant dans la pauvreté. N’ayant pas voix au chapitre et dépourvus de capital financier ou social, leur exclusion chronique les rend quasiment invisibles aux yeux du grand public. Leurs besoins et leurs préoccupations sont rarement abordés dans les débats politiques. De plus, les préjugés négatifs concernant la pauvreté sont si profondément ancrés, en particulier dans l’esprit des personnes mieux loties, que les lois et les programmes s’appuient souvent sur des stéréotypes.
Ainsi, ceux qui vivent dans la pauvreté seraient paresseux, irresponsables, malhonnêtes, non méritants, voire des délinquants qui ne se préoccuperaient ni de la santé ni de l’éducation de leurs enfants. Ces préjugés sont tellement enracinés qu’ils empêchent les dirigeants de s’attaquer aux facteurs systémiques qui privent les personnes vivant dans la pauvreté des moyens de faire face à leur situation. Ce manuel vise à garantir que les politiques publiques atteignent les groupes les plus défavorisés de la société, respectent leurs droits et les défendent. (cath.ch/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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