«Si nous pouvions inviter le pape François, nous le ferions citoyen d’honneur de notre association», confie à cath.ch Jean-François Martin, secrétaire des CGR. Il souligne que l’encyclique papale, sortie en juin 2015, a été «un électrochoc» pour le mouvement. Ce dernier, même s’il est pleinement ouvert à toutes les confessions chrétiennes, est en effet, pour des raisons historiques, majoritairement composé de protestants. «Il a ainsi été presque choquant pour les protestants de constater que les catholiques étaient aussi avancés dans le domaine de la sauvegarde de la Création», assure Jean-François Martin. Il relève en tout cas que l’encyclique est complètement dans la vision de l’écologie qu’ont défendue les intervenants lors de la journée d’étude yverdonnoise, et qu’elle a servi à plusieurs reprises de référence.
L’événement, auquel ont participé une cinquantaine de personnes, a bénéficié des interventions de l’abbé catholique Canisius Oberson, aumônier de la Pastorale neuchâteloise du monde du travail, de Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, et de Michel Maxime Egger, responsable du Laboratoire de la transition intérieure à l’œuvre d’entraide protestante Pain pour le Prochain (PPP).
L’intention des organisateurs était d’aborder le problème de l’écologie sous l’angle de la responsabilité individuelle et collective dans une perspective globale, donc au-delà des aspects techniques et des moyens concrets à mettre en oeuvre.
«C’est pas de ma faute, c’est le serpent…»
L’abbé Oberson a ouvert la réflexion à partir du «divin pari» du Créateur qui ne nous a pas confié le monde clé en main, mais a fait de l’homme un «créateur à son image». «Si les croyants ne peuvent espérer réussir cette mission sans Lui, Dieu a donc choisi de ne pas faire le monde sans nous! Vu l’impact de ses réalisations, l’homme est bel et bien un co-auteur de la Création. Mais ne se comporte-t-il pas comme un enfant qui massacre le cadeau qu’il a reçu? Et qui nie sa responsabilité: c’est pas de ma faute, c’est le serpent…», s’est interrogé le prêtre catholique.
Michel Maxime Egger a mis en évidence la nécessité de prendre conscience de nos limites face à la croyance en une progression continue. Refusant le déni de la réalité de ceux qui pensent que la technologie et le génie humain résoudront les problèmes, refusant aussi tout découragement face à une catastrophe inéluctable, il prône une espérance active, une transition personnelle et collective, spirituelle, philosophique et culturelle, qui vise la transition d’un système destructeur vers un système protecteur de la vie.
Une écologie intégrale qui passe d’une vision utilitaire de la nature à la reconnaissance du fait qu’elle est le lieu de la présence de Dieu. Pour le collaborateur de PPP, il faut «une intelligence intégrale qui ajoute à l’intelligence rationnelle l’intelligence émotionnelle». Cela implique la capacité de s’émerveiller devant la beauté de la nature, de réfléchir sur le long terme de notre impact, sur les limites du tout-économique, sur notre responsabilité envers tous les hommes. Michel Maxime Egger a évoqué la nécessité de voir l’éclosion de «militants-méditants» qui pourraient faire leur un nouveau commandement: «Tu aimeras la Création comme toi-même».
Animée par Philippe Roch, qui n’a pas manqué de l’enrichir de ses remarques personnelles, la discussion a prouvé la réceptivité de l’assistance. Les chrétiens de gauche, qui ont toujours cherché à «donner un supplément d’âme» au socialisme, sont partants pour en faire autant à l’égard de l’écologie. L’ancien responsable fédéral estime qu’il y sont d’ailleurs encouragés par l’encyclique Laudato Si’ du pape François, plusieurs fois citée au cours de la journée.
Philippe Roch a également relevé que le positivisme avait abouti à une vision du monde, de l’humanité, de l’économie qui n’a plus besoin de Dieu. «En choisissant ‘Mamon’ comme référence, mais aussi en se contentant de chercher des solutions technologiques (catalyseurs, panneaux solaires, …), on oublie que c’est la juste place de tous les humains, de toutes les créatures, de la vie, qui est en jeu».
«Les Eglises doivent s’engager davantage pour la Création»
La religion de la consommation (qui a ses temples, ses hymnes, ses apôtres et ses fêtes) nous a menés à une addiction sévère, aux conséquences destructrices pour les individus comme pour la société, ont déploré les intervenants. Un problème à traiter comme d’autres addictions: en suscitant l’envie de s’en sortir, en montrant que les efforts à faire apporteront des bienfaits et non des frustrations et en évitant les jugements ou les condamnations.
Le combat écologique est donc bel et bien spirituel, et pas seulement technique, a ainsi souligné l’assemblée. Il est intégral puisqu’il vise à la protection de la nature et de tous les humains et à la sérénité de l’individu. «Les chrétiens n’ont pas la prétention d’être les seuls écolos. Mais ils peuvent apporter à ce domaine cette dimension supérieure spirituelle», complète Jean-François Martin. «Avec cette journée, nous voulions aussi appeler les Eglises à s’engager davantage pour la Création, à éviter de considérer cela uniquement comme un problème politique», affirme le secrétaire des CGR. RZ
Socialistes chrétiens romands: 100 ans d’histoire
La Fédération romande des socialistes chrétiens a été fondée en mars 1914. «L’Espoir du Monde», cahier trimestriel qu’elle publie, date, quant à lui, de 1908. L’origine de ce mouvement est à chercher en France. Depuis la fin du XIXe siècle, de plus en plus de protestants du mouvement chrétien-social s’étaient rapprochés du socialisme, convaincus de la nécessité de changer la société et le système économique qui produisaient tant de misères que la charité traditionnelle ne parvenait pas à éliminer. Le théologien marquant de cette période était Wilfred Monod, qui s’exprimait entre autres dans les «Cahiers du christianisme social», une revue alors assez connue en Suisse romande.
En 1908, les Français Paul Passy et Raoul Biville fondent une «Union des Socialistes Chrétiens» (USC) regroupant ceux des chrétiens sociaux qui considèrent que la socialisation des moyens de production est un objectif politique correspondant à leur espérance religieuse d’une réalisation, au moins partielle, ici-bas, du Royaume de Dieu. Certains n’hésitaient pas à dire: «Nous voulons le Paradis sur terre !» Leur but est aussi de «dissiper le malentendu» entre chrétiens et socialistes. Passy et Biville fondent simultanément la publication «L’Espoir du Monde».
Très vite, l’USC compte des adhérents individuels en Suisse. Un premier groupe local, celui de St-Imier et Sonvilier, dans le Jura bernois, voit le jour en 1910. Il est suivi par ceux de Genève, Lausanne, La Chaux-de-Fonds (1911) et Neuchâtel (1912). Ce dernier est fondé par le pasteur Jules Humbert-Droz, qui occupera d’importantes fonctions dans l’Internationale communiste avant de terminer sa carrière au Secrétariat central du Parti socialiste suisse. (cath.ch/com/rz)
Raphaël Zbinden
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