La Fédération française des médias catholiques (FMC) avait invité trois personnalités du monde musulman pour échanger autour de la question: ‘Comment parler de l’islam aujourd’hui?’. Inès Safi, physicienne et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) met en avant ‘l’éloge de la perplexité’ devant une réalité mystérieuse complexe et fascinante. «Aujourd’hui, nous assistons à un choc des certitudes, déplore-t-elle. Ou plutôt d’ignorances certaines». Des pans entiers de l’histoire et de la culture musulmanes sont ainsi jetés aux oubliettes. «De l’islam, on a pressé tout le jus et aujourd’hui il ne reste que l’écorce, comme le zeste de l’orange.» L’islam a été malheureusement réduit à une approche littéraliste du Coran, note Inès Safi. «L’islam ne se définit pas par ses textes scripturaires. J’ai besoin d’une interprétation vivante qui englobe aussi le plan culturel, artistique et spirituel.
«Je suis français», assène d’emblée Farid Abdelkrim, artiste comédien et auteur en 2015 de ‘Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste’. «Je suis français et musulman. Je ne renie ni l’un ni l’autre.» Et de raconter comment le jeune garçon issu d’une famille algérienne non pratiquante a rallié les Frères musulmans. En 1985, La mort d’un copain, tué par les forces de l’ordre lors d’un cambriolage, amène le jeune délinquant à s’interroger sur le sens de sa vie. En hommage à son camarade tué, il aménage une petite salle de prière dans le centre culturel qu’il fréquente avec ses camarades. Il se rapproche de la mosquée de la ville où il rencontre l’imam irakien qui ne parle que l’arabe et lui dit que toute la faute vient des Juifs. Il ne sait pas qu’il appartient aux Frères musulmans. Il décide de devenir un pratiquant radical. «Hormis l’école , le sport et la mosquée, il n’y avait plus rien d’autre.»
Après un pacte d’allégeance aux Frères musulmans, il prend de plus en plus de responsabilités. Il travaille à la mise en place de l’association des jeunes musulmans de France dont il devient le président. «A ma quête de sens bien réelle, je n’ai eu que des non-réponses», analyse-t-il aujourd’hui. Face à l’ignorance des adeptes et à l’incapacité des ‘savants’ d’y répondre, l’islam se dévoie dans une religion de la norme qui est idolâtrée. Dieu est exclu du discours, il n’est plus question que du Coran et des hadits.»
Au bout d’un certain temps le jeune homme se rend compte que quelque chose cloche et que sa religion est creuse et incohérente. «Je vivais à côté de ma propre vie. Aujourd’hui, j’essaye de devenir Farid.» Il identifie trois causes de la dérive islamiste de certains jeunes: le problème identitaire, la conception binaire du monde et une posture victimaire. «Face au discours des Frères musulmans, le jeune ne peut dire qu’amen !»
Issu d’un milieu très différent, le Belge Michael Privot deviendra, lui aussi, un cadre des Frères musulmans. Baptisé pour faire plaisir à ses grands-parents, le jeune homme tâte du renouveau charismatique, du judaïsme, du bouddhisme. Intéressé par l’orientalisme, il étudie la langue et la civilisation arabe et finit par trouver dans l’islam la vision qui lui convient. «Ce fut une démarche intellectuelle, singulière, personnelle sans adhérer à une pratique.» Il s’implique alors dans l’activité d’une mosquée nouvellement créée par les Frères musulmans autour de l’idée d’un engagement citoyen. Il y est actif durant plusieurs années, avant de se rendre compte que «dans la mosquée, on ne trouve rien alors. Alors, on se lance dans l’activisme. Et l’orthopraxie, la pratique juste de normes, devient la règle de vie.» Ayant pris ses distances, tout en conservant sa foi musulmane, il est aujourd’hui engagé dans l’antiracisme.
Comme islamologue, Michael Privot propose quelques pistes pour le dialogue avec l’islam. La première est le respect de la diversité qui constitue d’abord le défi des musulmans eux-mêmes face au ‘bulldozer’ de l’orthopraxie. De cette diversité découle le fait qu’aucun interlocuteur ne peut prétendre être représentatif de tous les musulmans. S’il faut renoncer à un interlocuteur unique, il faut néanmoins chercher des voix légitimes par rapport à un engagement de terrain, un travail scientifique, littéraire ou artistique.
Pour l’islamologue belge, il importe d’écouter les diverses voix des progressistes et des conservateurs. Il faut aussi laisser les musulmans s’exprimer sur tous les thèmes sociaux et pas seulement sur les questions religieuses. Aux journalistes, il demande d’éviter les clichés et de veiller à la titraille et aux illustrations qui peuvent ruiner le meilleur des articles.
Les journées François de Sales, les 26 et 27 janvier, à Annecy, rassemblent cette année un nombre record de participants. 200 journalistes, responsables de communication et éditeurs, débattent pendant deux jours autour du thème «Les religions font la Une». Montée de l’islam, pédophilie dans l’Eglise, crise des migrants, débat sur la laïcité, attentat, théorie du genre, mariage pour tous, ou la personnalité du pape François, sont autant de sujet de l’actualité. Pour les médias catholiques, les défis et les enjeux sont grands. Où se situer entre l’information et la presse de conviction voire de combat? Comment apporter une parole audible et crédible? Autant de questions débattues dans la cité savoyarde. (cath-ch/mp)
Maurice Page
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