Philippines: le ton monte entre le président Duterte et l’Eglise catholique

«Si vous voulez l’épreuve de force, vous l’aurez», a récemment lancé le président philippin Rodrigo Duterte à l’Eglise catholique dans le pays. Les évêques dénoncent en effet désormais frontalement les dérives du gouvernement, qui mène notamment une campagne meurtrière contre la drogue et veut réintroduire la peine de mort.

Au pouvoir depuis juin dernier, le président Rodrigo Duterte a ouvert un nouveau chapitre de la vie politique nationale, explique le 24 janvier 2017 Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Les responsables de l’Eglise, une institution centrale dans ce pays dont 82% de la population est catholique, se sont d’abord montrés prudents. Ils ont voulu donner au nouveau président le temps de mettre en œuvre ses programmes. Mais, désormais, face à l’emballement meurtrier de la guerre anti-drogue lancée par Rodrigo Duterte, les évêques dénoncent une politique «contraire aux normes morales». En réaction, le président, tout en prenant garde de ne pas rompre les ponts, lâche ses coups contre l’Eglise et sa hiérarchie.

Le clergé accusé

Le 19 janvier, Rodrigo Duterte s’est fendu d’un discours à l’occasion de la prestation de serment d’officiers de la police nationale. Le président philippin s’est montré fidèle à sa réputation, commente EdA. Menaçant l’Eglise d’une «épreuve de force», il s’est dit prêt à exposer au public les fautes et abus dont se montreraient coupables évêques et prêtres.

Lors de son allocution, il a affirmé que des membres du clergé avaient des femmes et des enfants, ou bien pratiquaient l’homosexualité. Il a également accusé des prêtres d’abuser des fonds publics. «Si vous ne pouvez pas vous amender, si vous ne pouvez faire justice aux petits garçons dont vous avez abusé par le passé, alors vous ne disposez pas de l’ascendant moral qui vous permette de donner des leçons sur le caractère sacré de la vie», a encore asséné le chef d’Etat.

Chaud et froid

Le 18 janvier, le président Duterte avait pris soin d’adresser une lettre au pape François, par laquelle il exprimait sa «profonde appréciation» de la visite que le pontife avait effectuée aux Philippines en janvier 2015. Rodrigo Duterte avait pourtant eu, à cette occasion, des mots extrêmement grossiers envers le pape, le tenant pour responsable des embouteillages considérables qui avaient affecté la capitale philippine lors de sa visite.

Le 5 janvier, le président Duterte avait également signé un décret faisant du mois de janvier «le Mois national de la Bible». «L’Etat reconnaît la nature religieuse du peuple philippin et l’influence positive de la religion sur la société», pouvait-on lire sous la plume du président.

Si la parole présidentielle est toujours aussi haute en couleur, elle semble obéir à une logique très politique, souligne EdA. Tandis que l’épiscopat dénonce la manière et les excès de la politique anti-drogue (au dernier décompte, 7042 morts, dont 2250 du fait de la police et près de 4800 du fait d’exécutions extrajudiciaires), le président fait mine de renouer avec le Saint-Siège et de respecter la religion chrétienne, tout en cherchant sinon à neutraliser la parole des évêques, du moins à les amener à parlementer.

L’Eglise ne s’interdira jamais d’annoncer l’Evangile

Du côté de l’épiscopat philippin, il semble qu’il soit encore trop tôt pour qu’une réponse commune à la tactique présidentielle soit articulée. Responsable du Bureau des Affaires publiques de la Conférence épiscopale, le Père Jerome Secillano a estimé «prudent» que les deux parties s’asseyent face à face pour arrêter une action commune. «Les querelles doivent cesser et il n’est pas nécessaire d’infliger des blessures supplémentaires à une situation qui a déjà causé bien des divisions», a-t-il ajouté.

Dans l’attente d’une réponse commune de la Conférence épiscopale, l’archevêque de Lipa, Mgr Ramon Arguelles, a reconnu que certains responsables de l’Eglise et membres du clergé avaient commis des erreurs. «La mission d’un médecin, fût-il malade, est d’apporter des soins, y compris à lui-même», a-t-il avancé métaphoriquement.

«Si l’Eglise est toujours ouverte au dialogue, elle ne s’interdira jamais d’annoncer l’Evangile et de défendre la vie», a réagi Mgr Ruperto Santos, évêque de Balanga. «L’Eglise ne restera pas silencieuse face aux exécutions menées au nom de la lutte contre la drogue ou face aux tentatives visant à rétablir la peine de mort».

Enfin, pour Mgr Arguelles, les responsables de l’Eglise «sont supposés proclamer ce qui est bien et ce qui est mal, même s’il arrive qu’eux-mêmes ne se montrent pas à la hauteur de ce qu’ils prêchent». (cath.ch/eda/rz)

Raphaël Zbinden

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