Une cinquantaine de participants, représentants de vingt-trois mouvements d’apostolat présents en Suisse romande et laïcs engagés en Eglise, étaient réunis les 21 et 22 janvier au Foyer franciscain à Saint-Maurice pour deux jours de réflexion sur écologie et spiritualité. Ils ont été accueillis par Mgr Jean Scarcella, Père abbé de Saint-Maurice, sur la terre de Maurice et de ses compagnons, «des soldats romains, chrétiens, et donc laïcs», «des baptisés qui surent témoigner de l’amour et de la présence du Christ en ce monde, chez les hommes et dans leurs cœurs». Vivre sa foi au cœur du monde, a-t-il ajouté, c’est le rôle des laïcs, et c’est promouvoir l’amour, la fraternité et l’engagement: «Dieu est amour, la terre est le lieu de la fraternité, nous sommes appelés à nous engager pour Dieu et pour notre Terre». L’abbé Christophe Godel, vicaire épiscopal pour le canton de Vaud, a rejoint les participants pour une partie de l’assemblée.
Au programme de ces deux jours: conférences, carrefours, temps de partage et de prière, de célébration et de convivialité. Quels sont les enjeux spirituels de la crise écologique? En quoi concerne-t-elle les chrétiens? Quel regard le pape François pose-t-il sur la création? Quelle révolution culturelle préconise-t-il? Comment changer notre regard sur la nature et l’être humain? Comment nous transformer pour transformer notre relation à la nature? Comment mettre en place une transition écologique? Que faire pour mettre en œuvre Laudato si’? Autant de questions abordées par Michel Maxime Egger. Ce sociologue de formation et orthodoxe engagé depuis plus de vingt ans dans le plaidoyer pour le développement durable et des relations Nord-Sud plus équitables a donné des clés pour mieux comprendre les enjeux écologiques actuels et entrer dans une transition écologique.
Il a proposé une réflexion en trois étapes sur la trame de Laudato si’: les enjeux spirituels de la crise écologique actuelle, un nouveau regard sur la création et sur l’être humain, une transformation intérieure. Autant de repères pour une transition écologique qui veut aller au-delà du système de valeurs et de la vision du monde qui sous-tend le modèle occidental, productiviste et consumériste, au-delà des sentiments d’impuissance et de découragement.
Dans un premier temps, les participants se sont penchés sur les enjeux spirituels de la crise écologique que traverse notre monde. Une crise qui interpelle les chrétiens car, dit François, «leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie de leur foi»: protéger la création, œuvre de Dieu, n’est pas optionnel ni secondaire. La crise écologique, poursuit le pape, est l’œuvre de l’homme: «Cette sœur (la création) crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle».
Michel Maxime Egger a dégagé quatre enjeux spirituels pour notre temps: l’appel à la lucidité, l’appel au changement de paradigme, l’appel à honorer notre souffrance pour la Terre, l’appel à l’espérance. Un regard lucide sur notre temps nous invite à prendre conscience de la crise écologique: le progrès ne tient plus ses promesses, il nous conduit dans une impasse. Notre société vit un moment de bascule et d’incertitude radicale qui nous place devant trois options: le déni de réalité, l’impuissance ou l’espérance active. Pour contrer «l’avancée du paradigme technocratique, dit le pape François, il faut changer notre manière de voir, de penser et de vivre, qui détermine notre relation au monde et aux autres, «en finir avec le mythe moderne du progrès matériel sans limite». Protéger l’environnement ne suffit pas, il faut aussi mettre en œuvre «une révolution culturelle courageuse» qui procède «d’une conversion, d’un changement du cœur».
Une écologie intégrale qui, a relevé le conférencier, «articule les dimensions intérieure et extérieure, personnelle et collective» et affirme l’unité de Dieu, de l’humain et du cosmos. Quatre attitudes soutiennent la conscience de cette unité: l’éveil, la clarté intérieure et la vision claire, la vigilance ou garde du cœur, la sobriété.
Pourquoi, s’est demandé Michel Maxime Egger, ce hiatus entre l’information dont nous disposons et l’insuffisance des moyens mis en oeuvre? Pour trois raisons: l’homme est déconnecté de la nature, hors-sol; il est divisé intérieurement entre sa tête (le mental) et son cœur (les émotions); il se protège, car appliquer l’écologie intégrale implique des changements au quotidien.
Pour agir, dit le pape, il faut «oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde». Ce travail intérieur, véritable levier de l’engagement écologique, suppose que l’homme se reconnecte à la nature, œuvre à s’unifier, reconnaisse et assume ses émotions. Enfin il importe, en contrepoint de la lucidité, de cultiver l’espérance, «processus intérieur qui naît du cœur profond» et nous ouvre à plus grand que nous, foi en l’homme «capable de se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux».
Le conférencier a appelé à sortir de la vision dominante de la modernité occidentale héritée de Descartes qui voit dans la nature une réalité matérielle à dominer et exploiter, un stock de ressources, un capital destiné à satisfaire les besoins et les désirs de l’être humain. Cette vision utilitariste doit laisser place, dit Laudato si’, au panenthéisme: la nature est un don de Dieu et «un mystère joyeux», «un lieu de sa présence»; «le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu», «l’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier». «Dieu est présent au plus intime de toute chose», son dessein est inscrit au cœur de chaque créature comme «son ADN spirituel» qui définit son essence, sa place dans l’univers et sa finalité, participation à la vie divine. La nature est un mystère habité par le divin. Pour le pape, la présence de Dieu en elle «stimule en nous le développement des ›vertus écologiques’»: respect, responsabilité, gratitude, émerveillement.
Ce nouveau regard sur la création postule un nouveau regard sur l’être humain. Là aussi, il faut sortir d’une posture despotique qui place l’homme au-dessus de la nature: propriétaire et dominateur, il est autorisé à l’exploiter. Une posture héritée de Genèse 1, 28: «Dieu les bénit et leur dit: ›Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre’». Le chrétien est invité à rejeter une interprétation erronée de la Bible. Si l’homme est «seigneur» de l’univers, dit Laudato si’, c’est en tant qu’«administrateur responsable», «jardinier de la création»: «Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature».
Il est à la fois, pour Michel Maxime Egger, «citoyen de la communauté du vivant», créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et pont entre la Terre et le ciel, le matériel et le spirituel. «Nous sommes poussière. Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète», dit Laudato si’, «nous sommes inclus en elle (la nature), nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle». La transition écologique à mettre en œuvre passe par la transformation de l’homme: «Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation».
Comment incarner ce nouveau regard sur la nature et sur l’homme? Le conférencier a proposé trois axes: changer notre mode de connaissance, travailler sur notre cosmos intérieur, vivre une sobriété heureuse. Il nous faut réveiller nos quatre intelligences – sensorielle, émotionnelle, rationnelle et contemplative –, nous reconnecter à notre cœur, redécouvrir que nous sommes corps, âme et esprit. Réorienter nos peurs et nos désirs – ressorts du système économique occidental qui les dégrade et leur offre de fausses réponses – en les reconnectant à leur source divine. Accepter notre finitude. Enfin, oser la sobriété heureuse et une «capacité de jouir avec peu», «un style de vie prophétique et contemplatif», dit Laudato si’.
En conclusion, Michel Maxime Egger a invité chacun à devenir un «méditant-militant» de l’écospiritualité, un être humain en marche vers une transition écologique, connecté à la fois à l’extérieur et à l’intérieur et animé par l’amour. Il s’engage à substituer le non-agir à l’agir, à renoncer au volontarisme pour créer un espace intérieur ouvert à une force cosmique qui agit à travers lui; transforme le pouvoir sur en pouvoir de coopération; préfère la fécondité à l’efficacité; adopte une attitude d’offrande.
Ces deux jours ont été jalonnés d’exercices destinés à stimuler en chacun l’intelligence sensorielle et l’intelligence émotionnelle. Et de propositions d’engagement pour hâter la transition écologique: les chantiers sont nombreux et actuels. (GdSC)
Militant de la cause écologique
Diplômé en sociologie de l’Université de Neuchâtel, Michel Maxime Egger a travaillé pour Alliance Sud, communauté de travail des grandes organisations d’entraide suisses. En 2016, il a rejoint Pain pour le prochain avec pour mission de créer et développer un laboratoire de la transition intérieure dans une interface entre la société civile et les milieux d’Eglise. Il a fondé en 2004 le réseau Trilogies pour mettre en dialogue traditions spirituelles, quêtes de sens, écologie et grands enjeux socio-économiques de notre temps.
Pour lui, il faut un changement de paradigme, une mise en boucle de la transformation de soi et de la transformation du monde. Une mutation à la fois spirituelle et politique portée par une nouvelle manière de s’engager: le méditant-militant. Il a consacré deux ouvrages à cette recherche: «La Terre comme soi-même. Repères pour une écospiritualité» en 2012 et «Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’écopsychologie» en 2015 aux Editions Labor et Fides. De confession orthodoxe, il est l’auteur de «Prier 15 jours avec Silouane» aux Editions Nouvelle Cité.
Le projet Vitalis
Le projet Vitalis, né de la réflexion des mouvements d’Action catholique et proposé l’an dernier par le Bureau de la CRAL, a pris de l’ampleur en une année. Il veut revitaliser les liens fraternels entre les mouvements et les organisations de laïcs catholiques en Suisse romande.
Comment y parvenir? Vitalis désire inaugurer une nouvelle manière d’être en communion; instaurer un échange mutuel et régulier vecteur d’enthousiasme et de stimulation; insuffler une coopération vraiment missionnaire; obtenir une plus grande visibilité de la CRAL en Suisse romande. Dans la conviction que les chrétiens sont appelés à bâtir un monde plus humain. Il se clôturera l’an prochain par une fête. D’ici là, les membres des mouvements membres sont invités à entrer en contact avec le plus grand nombre d’associations présentes en Suisse romande en lien avec des paroisses, des mouvements ou des congrégations religieuses.
Pierre Pistoletti
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