Même la très libérale Neue Zürcher Zeitung parle de ‘casse-tête’ pour l’électeur lors de la votation du 12 février tant la question est technique et complexe et tant ses conséquences sont aujourd’hui difficiles à évaluer.
La réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) supprime le taux d’imposition réduit dont bénéficient aujourd’hui les sociétés holding, les sociétés de domicile et les sociétés mixtes. Il s’agit surtout pour la Suisse de s’aligner sur les normes internationales en matière de lutte contre les paradis fiscaux, tout en conservant une fiscalité compétitive. Pour éviter que les impôts des entreprises concernées n’augmentent trop, il est prévu de remplacer les taux réduits par d’autres mesures d’allègement fiscal, afin de conjurer le risque de les voir quitter le pays, emportant avec elles emplois et recettes fiscales. Les adversaires de la réforme craignent qu’elle n’entraîne un important manque à gagner pour les collectivités publiques, y compris les Eglises reconnues.
De nombreux cantons envisagent en effet de saisir l’occasion de la réforme fédérale pour baisser leur impôt sur le bénéfice pour toutes les entreprises, afin de rester fiscalement compétitifs. La Confédération versera aux cantons 1,1 milliard de francs pour les aider à faire face aux pertes de recettes qu’ils subiront mais dont le montant est impossible à prévoir, comme l’admet explicitement le Conseil fédéral. Par effet de cascade, les cantons devraient faire de même envers les communes et éventuellement les Eglises, là où un impôt ecclésiastique sur les personnes morales existe. Soit dans 17 cantons dont en Suisse romande seulement Fribourg et le Jura.
Un comité alémanique ‘pour un non ecclésial à la RIE III’ composé de plus de 200 personnes s’est manifesté le 19 décembre dernier pour s’opposer ‘aux cadeaux fiscaux aux entreprises’. En effet selon le comité, les Eglises devront compenser les pertes fiscales liées à la RIE III soit en prélevant des impôts supplémentaires sur les personnes physiques soit en instaurant des économies importantes en réduisant leurs services, notamment sociaux. Les mesures de compensation de la Confédération et des cantons ne prennent pas en considération le fait que les communes et les paroisses pourront être touchées de manière très différente selon les cantons et les régions.
Selon le comité, la réforme manque sa cible. Il estime aussi que le risque de voir les entreprises déserter la Suisse a été exagéré. La stabilité, la qualité des infrastructures et le haut niveau de formation rendent la Suisse aussi attractive que le taux d’impôt.
La Conférence centrale catholique-romaine de Suisse (RKZ), réunie à fin novembre 2016, a renoncé à prendre position sur la RIE III. Elle rappelle que les Eglises cantonales ne sont pas toutes concernées au même titre par le débat actuel. En effet, le volume des recettes fiscales dépend des législations cantonales et de la conjoncture économique. «Les opinions divergeant fortement quant aux conséquences heureuses ou malheureuses de la RIE III, la Conférence centrale a décidé de ne pas prendre position pour ou contre le vote référendaire.»
«Globalement, on peut estimer sur l’ensemble de la Suisse qu’environ 75% des revenus des Eglises proviennent des impôts sur les personnes physiques, 15% des impôts sur les personnes morales et 10% de subventions directes des cantons», explique Daniel Kosch, secrétaire général de la RKZ. «Si nous perdons la moitié de l’impôt sur les personnes morales, l’impact est important mais globalement limité. Localement, par contre, il peut être très fort.»
«Pour certaines paroisses, l’impact de la RIE III peut être très fort»
Les Eglises les plus touchées par les baisses devraient être celles de Zurich et Berne du fait de la taille et de l’importance économique de ces deux cantons. Les corporations ecclésiastiques catholiques cantonales des Grisons et de Bâle-campagne, qui encaissent directement l’impôt sur les personnes morales, pourraient également voir leurs revenus fortement amputés. Mais à Lucerne, le canton a déjà un taux tellement bas pour les entreprises qu’il ne peut guère encore le réduire.
Daniel Kosch refuse de risquer un diagnostic au plan suisse. «Cela dépend surtout du taux d’imposition que les cantons fixeront et de la conjoncture économique. Je ne suis pas trop inquiet. Il faut être patient, les premiers effets ne se feront pas sentir avant 2019. Nous avons encore un peu de temps pour prendre des mesures.» En outre, en tant que corporations de droit public reconnues par l’Etat, les Eglises peuvent de bon droit attendre des cantons qu’ils tiennent compte de ces éléments dans les mesures compensatoires de la RIE III.
La RKZ, qui finance les tâches de l’Eglise au plan suisse et par régions linguistiques, risque d’être touchée indirectement. Les paroisses qui verraient leurs recettes fiscales fortement réduites peuvent vouloir diminuer leur contribution aux Eglises cantonales qui, elles-mêmes, pourraient baisser leur participation à la RKZ.
Dans les cantons romands, seuls Fribourg et le Jura connaissent le système de l’impôt ecclésiastique sur les personnes morales. Les Eglises de ces deux cantons subiront donc un effet direct de la RIE III.
«Dans le canton de Fribourg, l’Etat, qui prépare sa loi d’application, estime la perte fiscale pour les paroisses à 5,6 millions», précise Martin Peyraud, secrétaire général de la Corporation ecclésiastique cantonale (CEC). Le Conseil exécutif de la CEC a fait part au Conseil d’Etat de son inquiétude, même si les paroisses pourront bénéficier, au même titre que les communes, de mesures compensatoires. «Le problème est que ces mesures sont limitées à sept ans. Qu’allons nous faire après? La question reste ouverte.» Pour le secrétaire général, il est également trop tôt pour déterminer les incidences sur la corporation cantonale ou sur la péréquation inter-paroissiale.
Pierre-André Schaffter, secrétaire général de la Collectivité ecclésiastique cantonale du Jura, est dans une expectative encore plus grande: «Nous ne pouvons faire aucune estimation des pertes fiscales tant que le canton n’a pas fixé le taux d’impôt pour les entreprises ni publié son évaluation de la situation. Nous ne savons pas non plus quelles éventuelles mesures de compensation sont prévues. Sur le plan concret, d’un commun accord avec le canton, nous avons réduit à deux ans (2017-2018) le contrat de subventionnement dans l’attente des effets de la RIE III à partir de 2019. Le cas échéant il faudra peut-être revoir nos règlements internes, notamment sur la péréquation inter-paroissiale.»
«En principe, la RIE III n’aura aucune incidence directe pour le Valais, puisque le canton n’a pas d’impôt ecclésiastique», confirme Stéphane Vergère, chancelier du diocèse de Sion. Un effet indirect pourrait provenir des communes qui contribuent subsidiairement au financement des paroisses dont 95% sont déficitaires. Si elles devaient subir de fortes pertes fiscales, elles pourraient vouloir réduire leur contribution. «On pourrait avoir alors des pressions au Grand Conseil pour modifier la loi sur le financement des paroisses.»
Dans le canton de Vaud, la contribution de l’Etat aux Eglises reconnues n’est pas liée aux rentrées fiscales, mais établie de manière fixe. La RIE III n’aura donc aucune influence directe sur ce financement. Indirectement si le canton doit encaisser de fortes pertes fiscales, il pourrait vouloir réduire sa contribution aux Eglises.
A Neuchâtel, comme à Genève, les personnes morales peuvent verser une contribution volontaire aux Eglises par le biais de leur déclaration fiscale. Selon une vision optimiste, on pourrait espérer que les entreprises payant moins d’impôts seront incitées à faire un effort supplémentaire en faveur des Eglises.
De fait, les Eglises de Genève doivent actuellement faire face à une menace plus grave que la RIE III. Le canton de Genève qui, rappelons-le, n’a pas d’impôt ecclésiastique, encaisse et redistribue cependant la contribution volontaire des fidèles. La gauche de la gauche voudrait supprimer la possibilité pour les citoyens genevois de verser cette contribution à travers leur déclaration d’impôt. L’abandon de ce service (payant) pourrait faire perdre aux Eglises jusqu’à 20% de leurs revenus.
Le débat sur la RIE III relance aussi la discussion sur l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales en Suisse. Dans 17 des 26 cantons suisses, les entreprises, ou personnes morales, paient des impôts ecclésiastiques obligatoires. Outre les cinq cantons dans lesquels il n’y a pas d’impôt ecclésiastique obligatoire (GE, NE, VD, VS, TI), quatre autres cantons, (BS, SH, AR, AG) ne prélèvent pas d’impôts sur les personnes morales. Jusqu’à présent, les diverses tentatives pour l’abolition des impôts ecclésiastique ont toutes échoué.
En 2011 le Tribunal fédéral a rendu un arrêt concernant le canton de Schwytz pour confirmer le bien-fondé de l’impôt ecclésiastique pour les entreprises selon la loi cantonale. Cet arrêt fait jurisprudence.
En février 2012, le Grand Conseil du canton de Fribourg avait rejeté par 82 voix contre 12, une motion populaire des jeunes libéraux-radicaux «pour un assujettissement facultatif des personnes morales à l’impôt ecclésiastique».
En décembre 2013, le comité pour l’abolition de l’impôt ecclésiastique sur les entreprises dans le canton de Nidwald a décidé de retirer son initiative populaire.
En février 2014, l’initiative lancée par les jeunes libéraux-radicaux intitulée «Moins d’impôts pour l’industrie» a été refusée par 73,64% des votants du canton des Grisons.
En mars 2014, le Conseil d’Etat du canton de Lucerne a rejeté un postulat du parti Vert libéral (PVL), qui demandait une exemption de l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales.
En mai 2014, les Zurichois ont refusé à près de 70% des voix l’initiative pour l’abolition de l’impôt ecclésiastique sur les entreprises.
En juillet 2014, les jeunes libéraux-radicaux du canton de Thurgovie ont décidé d’abandonner leur projet d’initiative de suppression des impôts ecclésiastiques pour les personnes morales.
En mai 2015, l’initiative populaire valaisanne pour un Etat laïque a été retirée.
(cath.ch/mp)
Maurice Page
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