Le pontife vit alors une période obscure: depuis plus d’an il est la cible d’agressions particulièrement violentes. Accusé par ses nombreux détracteurs de toutes sortes de vices et de crimes, sans que cela soit avéré, Léon III subit une attaque dirigée par des notables romains. A cheval et ouvrant la marche d’une procession en avril 799, il est assailli, roué de coups, jeté à bas de sa monture, dépouillé de ses vêtements pontificaux. Les conjurés ont ni plus ni moins l’intention de lui crever les yeux et de lui couper la langue.
Enfermé dans un couvent, il est délivré grâce à l’intervention d’envoyés de Charlemagne. Une fois libre, le pape part à la rencontre de celui qui n’est encore que le roi des Francs. Charlemagne organise alors une procédure juridique visant à le disculper des accusations portées contre lui à Rome: devant le roi et les dignitaires du royaume et de l’Eglise, le pape doit alors jurer par serment purgatoire ne pas être coupable des méfaits dont on l’accuse, avant que l’on ne rétablisse sa dignité. L’événement a un tel retentissement que lorsque Léon III retourne à Rome, il est accueilli par une foule en liesse.
Bien que la teneur des discussions entre le pontife et l’empereur ne soient pas connues, il est très probable que l’accession de Charlemagne au rang d’empereur ait été alors envisagée. C’est ainsi qu’en décembre 800, Charlemagne est invité par le successeur de saint Pierre au Vatican.
Pour Charlemagne, il a vocation à rassembler tous les peuples occidentaux en un unique empire, qui lui-même s’identifierait à l’Eglise. C’est donc dans cet esprit là qu’il souhaite se conférer à lui-même la couronne impériale. Léon III, quant à lui, espère rétablir la dignité de la fonction pontificale et bénéficier à l’avenir de la protection impériale.
La cérémonie se déroule dans la basilique Saint-Pierre, en présence d’une nombreuse délégation de Francs. Par son sacre dans la Ville éternelle, Charles se présente de façon symbolique en continuateur lointain de l’empire romain d’Occident. C’est ainsi qu’il arbore comme emblème l’aigle monocéphale (une seule tête tournée vers la gauche) symbole par excellence de l’empire.
Cependant, la cérémonie ne se déroule pas tout à fait comme prévu. Le 25 décembre, Léon III profite de ce que Charlemagne est en prière pour lui poser la couronne sur la tête. Symboliquement, cela signifie que l’Eglise possède l’ascendant sur l’empereur qu’elle couronne. D’après l’historien Eginhard, «Charlemagne aurait renoncé à entrer dans l’Eglise ce jour-là, s’il avait pu connaître d’avance le dessein du pontife». Charlemagne, furieux de la forme prise par le cérémonial, fera en sorte qu’il soit modifié pour l’avènement de son fils Louis Ier (dit le Pieux). Désormais, la couronne sera posée sur l’autel. Contrairement à ce qui avait été évoqué, le pontife ne s’agenouillera pas non plus devant le nouvel empereur pendant la cérémonie. La querelle entre la papauté et l’empire trouve ici son germe.
Ironie du sort, sur la place Saint-Jean-de-Latran, en face de la basilique pontificale, une mosaïque qui n’est pas l’originale illustre l’alliance étroite unissant le roi franc à la papauté. Charlemagne y est dépeint à genoux et recevant de saint Pierre l’étendard de la ville de Rome.
Dans la basilique Saint-Pierre, un autre élément vient rappeler cet événement historique de Noël 800. Sous les pieds des visiteurs et des fidèles, au centre de la nef centrale, repose un grand disque de porphyre rouge incrusté dans une dalle. C’est à cet emplacement précis, un soir de Noël, que Charlemagne se vit remettre, quelques instants trop tôt, la couronne impériale. (cath.ch/imedia/ah/rz)
Raphaël Zbinden
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