«Permettez que (..) j’aille avec vous vers cette grotte des environs de Bethléem, au sud de Jérusalem. Faisons en sorte d’être tous ensemble plutôt là-bas qu’ici: là où «dans le silence de la nuit», se sont fait entendre les vagissements du nouveau-né, expression perpétuelle des fils de la terre. Et, en même temps, s’est fait entendre le ciel, «monde» de Dieu qui habite dans le tabernacle inaccessible de la Gloire. Entre la majesté du Dieu éternel et la terre-mère, qui s’annonce, avec le cri de l’Enfant nouveau-né, s’entrevoit la perspective d’une nouvelle Paix, de la Réconciliation, de l’Alliance: «Voici que le Sauveur du monde est né pour nous». «Les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu».
Et pourtant, en ce moment, à cette heure insolite, les extrémités de la terre demeurent à distance. Elles sont en proie à un temps d’attente, loin de la paix. La fatigue remplit plutôt les cœurs des hommes qui se sont endormis, comme s’étaient endormis, non loin de là, les bergers dans les vallées de Bethléem. Ce qui se passe dans la crèche, dans la grotte rocheuse, a une dimension de profonde intimité: c’est quelque chose qui se produit «entre» la Mère et celui qui va naître. Personne d’étranger n’y a accès. Même Joseph le charpentier de Nazareth, n’est qu’un témoin silencieux. Elle seule est pleinement consciente de sa Maternité. Elle seule comprend ce que signifie au juste le cri de l’enfant. La naissance du Christ est avant tout son mystère, son grand Jour. C’est la fête de la Mère.
C’est une étrange fête: sans aucun signe de la liturgie de la Synagogue, sans lecture des prophètes et sans chant de psaumes. «Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as préparé un corps» (Hb 10, 5) semble dire, par ses vagissements, celui qui, tout en étant le Fils Eternel, Verbe consubstantiel au Père, «Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière», s’est fait «chair» (cf. Jn 1, 14).
«L’enfant de la crèche vagit, et le monde ne l’entend pas»
Il se révèle dans ce corps comme l’un d’entre nous, petit enfant, dans toute sa fragilité et sa vulnérabilité. Soumis à la sollicitude des hommes, confié à leur amour, sans défense. Il vagit, et le monde ne l’entend pas, il ne peut pas l’entendre. Le cri de l’enfant nouveau-né ne peut se percevoir qu’à la distance de quelques pas.
Je vous en prie donc (…) efforçons-nous d’êtres présents là-bas plutôt qu’ici. […] La liturgie de la nuit de Noël est riche d’un réalisme particulier: réalisme de ce moment que nous renouvelons, et aussi réalisme des cœurs qui revivent ce moment. Tous en effet, nous sommes profondément émus et bouleversés, bien que ce que nous célébrons soit advenu voici bientôt deux mille ans. Pour avoir un tableau complet de la réalité de cet événement, pour entrer davantage encore dans le réalisme de ce moment et des cœurs humains, rappelons-nous ce qui s’est passé et comment cela s’est passé: dans l’abandon, dans l’extrême pauvreté, dans cette grotte qui servait d’étable, en dehors de la ville parce que les habitants de cette ville n’avaient pas voulu accueillir la Mère et Joseph dans aucune de leurs maisons. Il n’y avait de place nulle part. Dès le point de départ, le monde s’est révélé inhospitalier envers Dieu qui devait naître comme Homme.
Réfléchissons maintenant brièvement sur la signification constante de ce refus par 1’homme de l’hospitalité à Dieu. Nous tous, ici présents, nous voulons que tout ce qui est en nous, hommes d’aujourd’hui, soit ouvert à Dieu qui naît comme homme. C’est bien avec ce désir que nous sommes venus ici !
Il nous faut donc penser, cette nuit, à tous les hommes qui tombent victimes de situations infra-humaines créées par les hommes, de la cruauté, du manque de respect, du mépris des droits objectifs de toute personne humaine. Pensons à ceux qui sont seuls, âgés, malades, à ceux qui n’ont pas de logement, qui souffrent de la faim, et dont la misère est une conséquence de l’exploitation et de l’injustice des systèmes économiques. Pensons enfin à ceux qui, en cette nuit, n’ont pas la liberté de participer à la liturgie de la Nativité du Seigneur, et qui n’ont pas de prêtre pour célébrer l’Eucharistie. Et que notre pensée arrive jusqu’à ceux dont les âmes, les consciences sont tourmentées autant que leur propre foi.
L’étable de Bethléem est le premier lieu de la solidarité avec l’homme: d’un homme avec l’autre et de tous les hommes avec tous les autres hommes, surtout avec ceux pour qui «il n’y a pas de place à l’hôtellerie» (cf. Lc 2, 7) et auxquels on n’accorde plus la reconnaissance de leurs propres droits.
L’Enfant nouveau-né pousse de petits cris. Qui comprend les cris du tout petit enfant ? A travers lui, c’est pourtant le Ciel qui parle, et c’est le Ciel qui révèle l’enseignement particulier de cette naissance. C’est le Ciel qui en donne l’explication par ces paroles: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime» (Lc 2, 14).
Nous devons, nous autres qui sommes atteints par le fait de la naissance de Jésus, comprendre ce cri du Ciel.
Il faut que ce cri atteigne les confins de la terre, que tous les hommes l’entendent de manière nouvelle !
Un Fils nous a été donné.
Le Christ est né pour nous. Amen !»
Jean Paul II 24 décembre 1978
(les intertitres sont de la rédaction)
Maurice Page
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