Depuis une soixantaine d’années, des dizaines de milliers de pèlerins participent avec ferveur, en décembre, à la neuvaine en l’honneur de Tupãsy Paso, la Vierge du Passage, en guarani, qui culmine ce dimanche 18 décembre sur les rives du Rio Tebicuarymi, au sud du Paraguay.
Les festivités de la Vierge miraculeuse d’Itapé (qui signifie en guarani pierre plate), une modeste bourgade de quelque 5’000 habitants fondée en 1672 par les religieux franciscains, ont attiré cette année près de 100’00 fidèles, venus de tout le pays. Des immigrés paraguayens installés à Buenos Aires, Corrientes, Formosa ou d’autres lieux encore de l’Argentine voisine ont, comme chaque année, fait le déplacement.
Nombre d’entre eux dorment sous les arbres, dans la chaleur moite du printemps finissant, dans le brouhaha provenant des étals des vendeuses de jus de fruits, de manioc cuit à l’eau ou grillé, de viande de bœuf grillée au barbecue, le fameux «asado», de maïs sous forme de «sopa paraguaya» ou de «chipa guazu», ou des marchands de statues de Tupãsy, la Vierge, et de multiples bibelots religieux.
Ce sanctuaire diocésain, à une vingtaine de kilomètres de Villarrica, siège du diocèse éponyme, est le second en importance des lieux de pèlerinage marial du Paraguay. Sa fréquentation cependant loin derrière celle de Caacupé, à 50 km à l’est d’Asunción, la capitale du pays, consacré à «Nuestra Señora de los Milagros», Notre-Dame des Miracles. Caacupé attire chaque année près de 2 millions de pèlerins. Mais comme au sanctuaire national, nombre de fidèles, répondant à des promesses ou à des vœux, font le chemin à pied depuis Villarrica.
C’est justement lors de la procession d’une réplique de la Vierge de Caacupé le 18 décembre 1954, année mariale décrétée par le pape Pie XII pour le 100e anniversaire de la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception, que s’est produit le «miracle» qui lui a valu le titre de capitale spirituelle du département du Guairá.
Lors de la traversée au lieu-dit Paso Tuya, l’habit de la Vierge toucha les eaux. Une des participantes au pèlerinage plongea son enfant malade dans l’eau, pour le refroidir – la chaleur est intense en décembre au Paraguay – ce qui, selon la tradition populaire, l’aurait guéri. C’est pour cela que les pèlerins affirment que l’eau du fleuve est bénie. La traversée du Rio Tebicuarymi par la Vierge pèlerine portée par les fidèles est encore dans la mémoire des anciens, qui racontent volontiers les nombreux «miracles» homologués par la ferveur populaire, si ce n’est par l’Eglise.
Les dévots citent volontiers la guérison de María Elena Garay, à l’époque âgée de 15 ans, qui souffrait de kystes dans les poumons et pour laquelle les médecins n’avaient que peu d’espoir. Son père avait demandé l’intercession de la Vierge de Caacupé et a promis que si sa fille était guérie, il construirait une chapelle sur le site de Paso Tuya.
Le Père Blas Arévalos, recteur du sanctuaire, nous guide sur les lieux de la basilique en construction: la première pierre de cet édifice de 1’000 places a été posée en avril dernier, en présence de Mgr Ricardo Jorge Valenzuela, évêque de Villarrica del Espíritu Santo. C’est ce dernier, avec les autres membres de la Conférence épiscopale et de nombreux autres prêtres venant de diverses régions du pays, qui préside la messe du 18 décembre. Une réplique de la Vierge du Passage est amenée sur la rive par un cortège de barques, avant la messe principale.
Les colonnes en béton armé de la nouvelle basilique, dont la construction est devisée à quelque 800’000 francs suisses, se dressent déjà dans le ciel. L’argent provient notamment des dons des fidèles, d’associations catholiques, mais également d’entreprises privées et de personnes de bonne volonté, «qui s’identifient à la foi dans la Vierge Marie», relève le recteur du sanctuaire.
Lui aussi parle des miracles qui ont eu lieu dans ce sanctuaire au bord de l’eau, citant le cas d’une Doña Dolores, le bras droit paralysé durant 20 ans, et qui aurait été guérie après que la Vierge lui soit apparue dans sa maison et lui ait dit de se baigner dans la rivière. Il nous cite encore une autre intervention miraculeuse de la Vierge en 1956, quand les villages voisins souffraient de la faim et cherchaient un peu partout de la nourriture.
«Le 7 mars, il y eut un bruit étrange dans le Rio Tebicuarymí, c’était un banc de poissons. En face du monument à la Vierge, la surface de l’eau fut soudain couverte de poissons, on pouvait les prendre à la main…» Il y a eu ici de très nombreux miracles, souligne-t-il, mais ils n’ont cependant pas été reconnus comme tels par l’Eglise.
En attendant, depuis des mois, la population locale manifeste contre l’entreprise sucrière Azucarera Paraguaya (AZPA), dont les rejets industriels dans le Rio Tebicuarymi font mourir les poissons. Les manifestants rejettent les conclusions des analyses réalisées par le Ministère de l’Environnement (SEAM), estimant qu’il a reçu de l’argent de l’AZPA pour en altérer les résultats. Rien d’étonnant, constate le recteur, quand on sait le niveau de corruption atteint dans le pays.
Dans le sanctuaire, un grand panneau blanc rappelle une phrase tirée de la sagesse des Indiens des Amériques: «C’est seulement quand le dernier arbre sera mort, la dernière rivière empoisonnée, et le dernier poisson capturé, que tu te rendras compte que tu ne peux pas manger l’argent». La procession des fidèles passe ce dimanche devant cet avertissement planté au pied du sanctuaire de de Tupãsy Paso. (cath.ch/be)
Ce reportage est le deuxième d’une série réalisée par cath.ch dans le cadre d’une visite des projets réalisés par l’œuvre d’entraide catholique internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED, ou selon son acronyme international ACN, Aid to the Church in Need) en faveur de l’Eglise catholique au Paraguay (du 18 novembre au 5 décembre 2016)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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