Inscrite dans le code pénal tunisien, la peine capitale concerne le parricide, le viol aggravé et la trahison. Après l’indépendance de 1956, on a surtout exécuté des opposants à Bourguiba, premier président de Tunisie. Puis Ben Ali accède au pouvoir en 1987. Après six personnes exécutées sous son règne, il adopte en 1991 un moratoire, promettant qu’il n’y aura plus d’exécutions sur le sol tunisien. «La promesse a été tenue jusqu’à ce jour, il n’y a plus eu de morts. Mais le pays n’a pas cessé pour autant de condamner à la peine capitale», s’indigne Rakia Chehida, secrétaire générale de la Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM).
Avec l’article 22 de la nouvelle Constitution de janvier 2014, le pays insiste sur le «droit sacré à la vie». Mais pour «les cas extrêmes fixés par la loi», la peine capitale reste en vigueur. Et elle séduit toujours. «Une bonne partie de la population est pour la peine capitale, surtout depuis ces dernières années avec les actes terroristes [au musée du Bardo à Tunis en mars 2015 et à Sousse en juin 2015, ndlr]». Si bien qu’en 2015, le parlement tunisien a voté à la quasi-unanimité une loi exigeant la peine capitale pour les actes terroristes, malgré les actions de la Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM), en partenariat avec la Section tunisienne d’Amnesty International.
«Cette peine ne sert à rien, explique la Tunisienne. Et surtout pas contre des terroristes qui cherchent le martyre. Les exécuter serait leur donner satisfaction. Plus généralement, quand on regarde à travers l’histoire, est-ce que la peine capitale a vraiment servi d’exemple? Est-ce que celui qui va tuer, a suffisamment réfléchi à son acte? Est-ce que celui qui a prémédité son attentat était vraiment dans un état normal?»
Inspiré par la révolution de 2011, la CTCPM et Amnesty International ont proposé à plusieurs parlementaires d’adopter un programme politique axé sur l’abolitionnisme, en vain. «Tant qu’il y a une loi qui favorise l’avortement, il est difficile d’abolir la peine capitale», ont expliqué les «alliés de gauche» de la secrétaire générale Rakia Chehida. Les progressistes ont peur que la suppression de la peine de mort entraîne «un retour en arrière», avec une nouvelle interdiction de l’avortement.
«La situation était mal engagée, avoue Rakia Chehida. Et nos amis politiciens ne composent qu’une infime partie de l’échiquier politique». En effet, au sortir de la révolution, le Parlement était majoritairement composé du parti islamo-conservateur Ennhadha, favorable au maintien de la peine de mort. L’action du président – rare abolitionniste de son parti – a été de commuer la peine capitale de 134 détenus en internement à vie. Ce qui, en pratique, n’améliore pas vraiment leur situation.
Intégrée dans la religion, la peine capitale constitue un enjeu politique pour certains partis islamistes, qui réclament son maintien. «La religion musulmane, qui parle de la loi du Talion, est problématique. ‘Œil pour œil, dent pour dent’ légitime une forme de vengeance. Pourtant, dans la religion, il est aussi question de couper la main aux voleurs, ce qu’on ne pratique pas en Tunisie. D’ailleurs certains salafistes ont souhaité couper la main des dissidents, lors de la révolution de 2011. Mais leur proposition a clairement choqué les tunisiens, y compris les plus religieux», affirme Rakia Chehida.
En Tunisie, on n’exécute pas, mais on continue à condamner à mort. Les personnes croupissent éternellement en prison, sans avantages par rapport à d’autres prisonniers, qui bénéficient de certaines mesures éducatives en vue d’une future réinsertion dans la société. «Sans oublier que la peine capitale laisse des traces profondes et inutiles dans la familles du condamné», déplore la conférencière.
Rakia Chehida rapporte une enquête réalisée auprès des condamnés à mort. «Certains reconnaissent leurs actes et les regrettent. Ils comprennent qu’ils doivent être punis. Si l’exécution fait partie de la peine, ils la comprennent par respect de la religion. D’autres ont toujours clamé leur innocence, mais n’ont pas les moyens financiers de rouvrir leur procès».
«Il faut lutter contre cette peine inhumaine. Pour que les gens oublient cette attitude de vengeance, il faut favoriser l’éducation dans les écoles, et surtout démontrer l’inutilité de cette méthode». Dans les lycées, Rakia Chehida et son institution ont organisé des témoignages d’anciens condamnés à mort, à tort. La sensibilisation sur la marge d’erreur humaine a conduit plusieurs étudiants à comprendre l’enjeu du débat abolitionniste.
L’affaire Maher Manaï est un exemple parlant. Ce coiffeur de Sfax, deuxième ville tunisienne, a été condamné à mort en 2004 pour un assassinat qu’il n’a pas commis. Il se retrouve en 2012 face à un codétenu, qui, vantant l’un de ces anciens larcins, s’avère être le complice du véritable auteur du crime. Malgré l’irréfutable preuve de son innocence, Maher Manaï n’est pas encore tiré d’affaire, en raison des dysfonctionnements du système judiciaire tunisien.
Pour appuyer l’inutilité de la sentence, la secrétaire évoque un autre cas, qui remonte avant l’établissement du moratoire. Il s’agit d’un enfant tué par un pédophile. Interviewé après que le coupable ait été exécuté, le père avoue n’avoir éprouvé aucun soulagement, puisque la disparition du tueur n’a jamais fait revenir leur enfant. «Que ce soit dans certains pays du Maghreb ou aux Etats-Unis, le mécanisme de vengeance est le même, mais il ne rend pas les familles des victimes plus heureuses. Il conduit simplement un Etat à être autant fautif que les coupables qu’il condamne, au nom de la justice qu’il prétend défendre», conclut Rakia Chehida.
Aujourd’hui retraitée, Rakia Chehida a travaillé comme cadre bancaire jusqu’en 2012. C’est en tant que bénévole qu’elle s’est engagée comme secrétaire générale de la Coalition tunisienne contre la peine de la mort en 2015.
Active depuis 1990, elle fut successivement membre de la Section tunisienne d’Amnesty, puis coordinatrice de la commission «Violence contre les femmes» de 2004 à 2008 au sein de la section tunisienne d’Amnesty Internationale. Elle a également été membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).
Elle a donné trois conférences, à Genève, Monthey et Lausanne, dans le cadre de la treizième Journée mondiale «Cities for life», organisée par la communauté Sant’Egidio, ACAT, lifespark et Amnesty International. (cath.ch/gr)
Grégory Roth
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