«Axe du monde et pilier du ciel, la montagne a toujours canalisé les énergies, qu’elles soient terrestres ou divines». Elle se voit ainsi destinée «à devenir un haut lieu de partage et de spiritualité», écrit le photographe valaisan. D’abord parce qu’on y fait l’expérience de sa fragilité. Pour les faibles communautés accrochées dans les replis de ces grands massifs, les montagnes «s’imposent dans leur formidable, dans leur écrasante matérialité». L’existence de l’homme y est quotidiennement menacée et sa peur doit être exorcisée. Raison pour laquelle le monde alpin «abonde en formes étranges, traces abandonnées par des créatures fantastiques, aussi impressionnantes par leur dimensions que par leur silhouette: cheminées des fées, quilles du diable, trou à l’ours ou pierre à l’ange».
Ce n’est pas pour autant le visage menaçant de la montagne qui transparaît dans les photographies de François Perraudin. Bien plutôt sa majesté silencieuse. Des Dents-du-Midi au Cervin, en passant par les Aiguilles-du-Diable, «les montagnes lumineuses symbolisent la permanence, l’indestructibilité, voire l’immortalité. Ce monde est autre. Il échappe au cycle de la vie et de la mort, au temps commun». Il entraîne vers le haut.
Un chanoine du Grand-Saint-Bernard avait saisi le potentiel spirituel des Alpes valaisannes. Dans les années 60, alors que «prêtres et laïcs rivalisent de zèle pour assurer la présence de l’Eglise à un monde souvent indifférent et hostile», Gratien Volluz se fait le prophète de la spiritualité montagnarde. «Ici, les gens nous attendent et nous appellent, écrivait-il, alors que la congrégation du Saint-Bernard traversait une crise d’effectifs. N’est-ce pas aux gens de la montagne que sont réservés les trésors spirituels de notre passé?»
Proches de l’azur, les montagnes ont en effet toujours été le lieu de hauts faits spirituels et religieux. Le lien est évident pour beaucoup de montagnards, mais peu se risquent à l’expliciter. Ce sont des gens d’ordinaire taiseux et peu communicatifs, selon l’actuel prévôt du Grand-Saint-Bernard, Jean-Michel Girard. Entre deux photos, François Perraudin transmet cependant sa propre vision des choses. Les montagne «sont à mes yeux un lieu d’évasion sur le parcours duquel on décharge son fardeau de tout ce qui, en bas, est susceptible d’alourdir le quotidien. De par l’effort qu’elles exigent et la mise à nu qu’elles provoquent, elles sont un lieu non seulement de découverte de soi-même, mais surtout d’échange, d’amitié et de partage avec ses compagnons d’ascension ou de randonnée, avec aussi une dimension supérieure, quelles que soient ses croyances».
Au fil des pages, l’ouvrage prend une couleur résolument chrétienne à travers le quotidien et l’esprit des hospices du Simplon et du Grand-Saint-Bernard. On y découvre l’histoire de ces lieux d’accueil et leurs adaptations récentes. Au XXe siècle, les progrès techniques «ont presque annulé la barrière des Alpes, les fatigues, les périples et le rôle jadis capital d’une telle fondation hospitalière. Le courant a pris d’autres voies, moins évidentes, plus intérieures, assurément moins pittoresques».
«Ici, le Christ est adoré et nourri». La devise continue d’animer le cœur de la communauté canoniale, malgré les péripéties de l’histoire. Et la recette fonctionne. Chaque année, l’hospice et l’auberge du Grand-Saint-Bernard enregistrent quelque 14’000 nuitées – 18’000 du côté du Simplon. Un attrait qui se fonde sur l’écoute, selon le chanoine Bernard Gabioud, après plus de 25 ans passés à l’hospice du Saint-Bernard. «Les heures d’écoute font le charisme du lieu, explique-t-il, elles m’ont beaucoup plu. L’écoute permet aux gens de déposer leur fardeau, mais elle nous nourrit également et assure ainsi notre renouveau, car tout pèlerin a quelque chose à nous apporter de son intériorité».
C’est cette intériorité que la montagne dévoile naturellement. Sur plus de 180 pages, l’ouvrage s’en fait l’écho sans pour autant sacraliser ces majestueuses cimes. «La montagne n’est qu’un tas de cailloux, raconte Bernard Gabioud. C’est la relation que tu vis avec elle qui en fait un lieu propice à la spiritualité». En hauts lieux nous y convie résolument. (cath.ch/pp)
Référence: François Perraudin, En hauts lieux. Montagnes et spiritualité, Slatkine, Genève, 2016
Pierre Pistoletti
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