Frère Timothy Radcliffe s’est dit ému d’être ainsi honoré par l’Université de Fribourg. D’entrée de jeu, l’Anglais a captivé son public en partageant l’insolite souvenir de sa première venue dans la ville suisse à la fin des années 1960. «J’ai été accueilli par un dominicain irlandais. Il avait si honte de mon habit crasseux qu’il a cherché à m’empêcher de rencontrer la communauté en me portant un plateau-repas dans ma chambre».
Le lauréat honoris causa a révélé son talent d’orateur, mêlant humour et gravité dans ses propos. La situation des chrétiens qu’il a rencontrés au Maghreb et au Proche-Orient est telle, voire pire, que ce que nous pouvons imaginer. «Quand on vit en permanence sous une menace de mort, les petits soucis qui dominent si souvent la vie sont vite effacés», explique-t-il. «On découvre ce que ‘célébrer l’Eucharistie’ veut dire. Les habitants de zones de souffrance la célèbrent avec une joie que nous ne voyons pas toujours en Occident».
La prière, le chant, l’enseignement et les actes de charité. Quatre «signes d’espérance» autour desquels le prieur du couvent d’Oxford a articulé sa conférence. Quatre aspects de la vie chrétienne qui «font autant partie de votre vie à Fribourg que de celle des chrétiens et des autres croyants au Proche-Orient».
«Chaque jour, nous découvrons les œuvres bonnes que Dieu a préparées afin que nous les accomplissions aujourd’hui», déclare l’ancien professeur d’Ecritures saintes, paraphrasant la lettre de saint Paul aux Ephésiens. Il partage aux auditeurs les actes de charité de musulmans syriens dont il a été témoin. Quand le village de Qara a été pris par Daech, la communauté chrétienne s’est réfugiée dans une vieille tour romaine du monastère de Carmel, près d’Homs. Des amis musulmans leur ont apporté de la nourriture en secret, au péril de leur vie.
«Quand le village a été libéré de Daech, les églises chrétiennes avaient été profanées et les icônes défigurées. Les corps des chrétiens avaient été déterrés de leurs tombes et dispersés n’importe comment. Quand les chrétiens sont revenus, les musulmans locaux les ont invités dans leur mosquée pour célébrer l’événement», raconte le religieux.
«Ça aurait été irritant d’être tué par une bombe britannique!»
L’ancien Maître de l’ordre dominicain présente l’éducation comme un remède à la violence. «Dans les villes en ruines et dans des camps de réfugiés, vous trouverez des chrétiens qui enseignent. Dans la zone de guerre qu’est Bagdad, les sœurs dominicaines dirigent toujours deux écoles qui sont ouvertes aux enfants de toutes religions.» Il rappelle que l’Académie des Sciences humaines de la capitale irakienne, fondée par Mgr Youssif Mirkis, l’actuel archevêque de Kirkouk, compte 500 étudiants. La plupart sont musulmans et étudient la philosophie, la sociologie, et l’anthropologie, ou encore l’anglais et le français.
Humour british réenclenché, il raconte une précédente visite effectuée à Bagdad en 1998, alors qu’une zone d’exclusion aérienne était imposée à tout le pays par les Américains et les Britanniques. «J’ai passé une nuit blanche après avoir appris qu’on attendait un raid de bombardement par les États-Unis et le Royaume-Uni. Pour moi, ça aurait été irritant d’être tué par une bombe britannique!»
«Limités à 144 caractères, les messages de Twitter donnent peu de place pour les nuances!»
Revenant sur le thème de l’enseignement, Frère Timothy insiste fermement: «Dans les universités, nous devrions enseigner aux gens à ne pas avoir peur de la complexité. C’est une forme de résistance à la violence du populisme.» Le religieux s’explique, se faisant l’écho du documentaire Hypernormalisation d’Adam Curtis récemment diffusé sur la BBC: «Depuis les dernières décennies, la politique mondiale bat en retraite face à la complexité. La politique est pratiquement devenue une affaire de gestion d’impressions subjectives. Ce qui compte, ce n’est pas la vérité, mais ce que les gens pensent être vrai.»
Ce recul face à la complexité, le dominicain le met aussi en lien avec le pouvoir des médias sociaux. «Les messages sur Twitter étaient, à l’époque, limités à 144 caractères. Cela ne donne pas beaucoup de place pour les nuances!» Il explique que cette vaste hyper-simplification de la réalité est liée à la montée du populisme. «Nous le voyons dans le populisme de Donald Trump comme dans le terrible vote en faveur du Brexit. Plutôt que de regarder en face la complexité des problèmes, les politiciens se mettent à la remorque de l’opinion publique. C’est ce genre d’hyper-simplification qui alimente les djihadistes de partout.»
Frère Timothy offre une touche musicale appréciée à son exposé. «Avec des chants et de la musique, c’est ainsi que nous, chrétiens, avons l’habitude d’affronter la souffrance et la mort. Les martyrs ont toujours terminé leur vie en chantant». Il rappelle le tragique événement de février 2015, quand 21 chrétiens coptes égyptiens ont été décapités sur une plage de Libye. Avant de mourir, ils ont entonné des chants à Jésus.
«Quand un de nos Frères dominicains est en train de mourir, c’est notre tradition que la communauté se rassemble autour de son lit et chante le Salve Regina. Parfois, certes, on entend dire qu’un Frère mourant a ouvert un œil en se demandant si nous n’étions pas un peu pressés! J’espère qu’à l’heure de ma mort, la dernière chose que j’entendrai sera le chant de mes Frères… si possible sans fausses notes!» (cath.ch/gr)
Retrouvez l’intégralité du texte de la conférence ici.
Grégory Roth
Portail catholique suisse
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