La nuit, des églises londoniennes se transforment en hôtel pour sans-abri

Durant les mois d’hiver, quatorze lieux de culte londoniens offrent le gîte et le couvert aux sans-abri de la capitale. D’octobre à mai, toutes les nuits, des bénévoles s’activent pour leur éviter de dormir dans la rue. Reportage à l’église catholique Notre-Dame de France, au cœur de la capitale anglaise.

Certains week-ends, jusqu’à 400’000 personnes passent devant la porte bleue de la «maison Pierre Chanel». Entre un night-club et un restaurant italien, la discrète salle paroissiale de l’église Notre-Dame de France se situe de fait sur l’une des plus emblématiques artères piétonnes de Londres, Leicester Place. Mais peu la remarquent. Du moins, peu de touristes, absorbés par les centaines d’enseignes lumineuses qui brillent nuit et jour. L’endroit intéresse un autre type de population: les sans-abri de la capitale.

De la City à l’accueil des sans-abri

Depuis bientôt sept ans, des bénévoles s’y activent tous les mercredis soirs durant les mois d’hiver pour offrir à une quinzaine de sans domicile fixe un repas chaud, un toit pour la nuit et un petit déjeuner. Ce mercredi 16 novembre 2016, huit personnes travaillent en coulisse, sous la houlette de Jutta, coordinatrice de l’accueil pour la paroisse Notre-Dame de France. Une fois par semaine, cette mère de famille londonienne troque ses élégants tailleurs pour revêtir la tenue de service. «Je travaille à la City, dans le monde de la finance. Chaque jour, je vois défiler des sommes astronomiques sur mon écran d’ordinateur. Je crois que cet engagement m’aide à garder les pieds sur terre».

L’accueil est effectivement une démarche concrète. «Il faut contacter les bénévoles pour chaque tâche requise, explique-t-elle, en détaillant: la préparation du repas du soir, celle du petit déjeuner, la mise en place des matelas gonflables et des cloisons dans les deux salles à disposition». Mais le défi hebdomadaire reste de trouver les deux personnes qui dormiront sur place durant la nuit. Une tâche plus astreignante qu’elle assume régulièrement.

Dans le West End londonien, douze autres églises catholiques et anglicanes et une synagogue assurent tour à tour, une fois par semaine, le même engagement. Résultat, plusieurs dizaines de personnes échappent au froid des rues de la capitale anglaise d’octobre à mai. «Night shelter» [»Abris de nuit», ndlr] est un programme mis en place par le West London Day Centre, une organisation sociale d’inspiration chrétienne au service de toutes les personnes en situation de précarité. Cet accueil de nuit, un des nombreux services proposés par l’institution, a la particularité d’être assuré par des bénévoles en collaboration avec différentes institutions religieuses.

Des vies cabossées

«Nous ne sommes pas là simplement pour dépanner nos invités, souligne Jutta, nous essayons autant que possible de créer une atmosphère amicale et conviviale». Alors que les premiers arrivés montent à l’étage déposer leurs affaires auprès de leur matelas, on s’active en cuisine. Au menu, ce soir: soupe de lentilles, poulet au curry et salade de fruits. Elles sont trois à préparer le repas ce soir, dont Anne, la cinquantaine, joyeuse et affable paroissienne d’origine française. «Nous rencontrons des personnes au parcours de vie cabossé. Chacun a sa propre histoire, jamais banale, explique-t-elle en coupant les poires du dessert. Ils luttent pour s’en sortir et leur témoignage est souvent inspirant».

Autour de la table, dressée avec une simplicité soignée, autant d’Anglais que d’étrangers. Surtout des hommes. Parmi eux, Mick, 57 ans. Le regard est vif, intelligent. Espiègle. C’est une addiction aux jeux de loterie qui, progressivement, l’a conduit à la rue. Il a tout perdu: son travail, sa famille, son appartement. «J’en porte l’entière responsabilité. Je n’ai jamais rien trouvé de plus enthousiasmant que les casinos. Mais ils m’ont tout pris et j’essaie de m’en sortir».

En face de lui, Richard, 34 ans a plutôt les traits d’un viking. Grand, un peu trapu, long cheveux blonds, barbe fournie et yeux bleus. Une rupture sentimentale a été l’élément déclencheur de la descente aux enfers de cet ancien ouvrier. «Le plus dur, une fois à la rue, c’est de retrouver du travail. La condition de tout contrat reste une adresse et un logement, explique-t-il avec un brin de timidité. Or, la garantie de loyer est souvent impossible à payer dans une situation comme la mienne».

Quitter la rue

«Le but n’est pas seulement de leur offrir une solution provisoire, explique Amélie, jeune Française habituée des Night Shelter de Notre-Dame de France, sa paroisse. Avec le West London Day Centre, nous cherchons des solutions qui permettent aux personnes accueillies de retrouver une situation normale». Cela va des offres de formation dans différents domaines à un soutien financier pour payer des garanties de loyer. L’offre est vaste. Elle est aussi efficace. En 2015, 39 des 63 invités des Night Shelter ont retrouvé un toit et 11 un emploi.

«Il faut reconnaître que nos invités ont de bonnes chances de s’en sortir. La rue n’est pas devenue un point final pour eux», remarque Jutta, qui précise les règles de l’accueil: «Pas de violence, pas d’alcool ni de drogue et pas de problème psychologiques trop lourds». Trop difficiles à porter pour les bénévoles. Chaque invité, enfin, est tenu à une certaine assiduité. «Si une personne ne se présente pas deux fois de suite sans prévenir, il est exclu du programme». Bénéficier de ce soutien, c’est aussi une exigence.

Une heure après l’arrivée des invités, la soupe est servie. L’atmosphère se détend au fur et à mesure que les panses se remplissent. On parle de foot et des déboires de l’équipe anglaise, mais aussi des tracas du quotidien. Certains invités sont plus loquaces que d’autres. Soudain, Anne fait une entrée théâtrale dans le réfectoire avec son casque à vélo doré qui lui donne un air de soldat romain. Les regards se braquent sur elle. «Mais pourquoi vous me regardez comme ça? Vous n’aimez pas mon nouveau casque?», interroge-t-elle avec un accent français à couper au couteau. On rit aux éclats. Les barrières sociales et culturelles s’estompent autour de cette table bigarrée. On touche peut-être là au cœur de l’accueil. Il y a quelque chose de familial derrière la petite porte bleue de Leicester Place. Au-delà du couvert et du gîte, c’est aussi l’amitié qui réchauffe les cœurs. (cath.ch/pp)


La paroisse Notre-Dame de France

Etablie à Leicester Place dans le quartier de Soho, Notre-Dame de France se caractérise par une très grande diversité culturelle et sociologique. Selon le Père Pascal Boidin, curé de cette paroisse particulière, «plus de 30 nationalités se retrouvent ici autour d’une langue commune. Ce quartier est très festif, explique-t-il. C’est sa chance et son malheur». Intégrée depuis 150 ans dans la diversité de ce lieu, la paroisse déploie à la fois une pastorale d’évangélisation, pour aller à la rencontre des gens, et un accueil caritatif pour les plus démunis. En plus des «Night Shelter», la paroisse a créé un centre pour réfugiés et propose, tous les samedis, une distribution de nourriture. Selon le Père Boidin, c’est cette logique de service qui fait l’unité de cette communauté en brisant les barrières sociales.

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/nuit-eglises-londoniennes-se-transforment-hotel-abri/