Qui a assassiné le jeune Jérôme? Cette mort va amener le prêtre Vincent à parcourir Paris sous le règne de Louis XIII. Un monde cruel et sombre, que le courage et la foi de Monsieur Vincent parvient tout de même à éclairer.
Les auteurs de cette histoire, le scénariste Jean Dufaux et le dessinateur Martin Jamar sont des figures bien connues de la BD francophone. Les deux artistes qui collaborent depuis plus de 25 ans sont venus ouvrir, le 3 novembre 2016 à Genève, une exposition consacrée à leur dernière œuvre, éditée chez Dargaud. Cath.ch les a rencontrés juste avant le vernissage.
Pourquoi avoir choisi comme héros un saint catholique?
Jean Dufaux: C’était un élément important qui manquait dans ma création. Même si on peut y trouver des fragments de ce besoin de spiritualité. J’ai voulu, avec Vincent, aborder ces aspect de front. A l’âge que j’ai, à ce moment de ma carrière, il était temps de «compléter le tableau», de mettre au centre cet aspect essentiel de ma vie qu’est la spiritualité. Comme Vincent, j’aime la prière. J’y trouve toujours une voix qui me répond.
Ce livre, c’est aussi la concrétisation d’une émotion d’enfance. J’avais vu, chez ma grand-mère, le film Monsieur Vincent, de Maurice Cloche, avec Pierre Fresnay (1947), qui m’avait beaucoup marqué.
C’est donc la foi qui a motivé l’œuvre…
JD: Oui, cette foi, qui m’a suivi toute ma vie, avec beaucoup de tranquillité et de simplicité. Il fallait que je sois sincère, il fallait que je l’aborde. Je me suis alors tourné tout naturellement vers Martin Jamar pour le dessin.
En quoi cette collaboration s’imposait-elle?
JD: Martin était le compagnon idéal dans cette longue aventure [plus de deux ans ont été nécessaires pour réaliser l’œuvre, ndlr.]. Tout d’abord parce qu’il possède aussi cette dimension spirituelle et qu’il avait la capacité d’être touché par le personnage de Vincent. J’avais besoin de quelqu’un de sérieux et de passionné par le sujet. Son souci de précision historique dans le dessin, son style très réaliste étaient tout à fait adaptés à l’histoire. Durant le processus qu’a représenté la réalisation de la BD, son dessin a aussi influencé mon écriture.
«Ce n’est pas un album catalogué comme ‘religieux'»
Martin Jamar: Notre collaboration s’est en effet faite tout naturellement puisque moi aussi j’avais envie de traiter de la foi. Ce travail de longue haleine nécessitait ce fort lien de confiance et ce respect renforcés par un quart de siècle de collaboration. Nous sommes ainsi presque toujours sur la même longueur d’ondes. Un autre aspect est que j’ai toujours été passionné par les sujets historiques.
Une BD centrée sur un saint catholique plutôt méconnu…ne prenez-vous pas un risque?
JD: C’est vrai que c’est un pari, un pari pas gagné d’avance. Mais nous aimons ça. Nous voulions éviter le confort, et nous verrons où l’aventure nous mène. Nous avons été pleinement soutenu par notre éditeur qui a tout de suite rebondi sur l’idée, ce que je trouvais bien courageux. Il nous a laissé une très grande liberté d’action. Ce point était essentiel, car je ne me serais jamais engagé dans ce projet si je n’avais pas pu faire valoir mon propre point de vue et travailler avec qui je voulais.
Nous verrons comment l’album sera reçu. Mais nous avons voulu qu’il s’adresse à tous, autant aux laïcs qu’aux chrétiens, aux croyants qu’aux non-croyants. D’ailleurs, il n’est pas catalogué comme «ouvrage religieux». Nous ne voulions pas d’une hagiographie, ni que cet album s’aligne sur ce qui a déjà été fait, ni faire de prosélytisme.
Pourtant, le personnage de Vincent est uniment positif…
JD: Il s’agit de notre propre point de vue sur le personnage, et c’est vrai qu’il est positif. C’est un projet sincère et simple. Nous ne voulions pas d’un personnage lourd, qui porte sa destinée comme un fardeau.
«Il aurait pu être le saint patron des DRH»
MJ: Nous avons voulu un personnage vivant, léger avec des traces d’humour. Concernant son aspect méconnu, c’était aussi notre motivation de faire connaître la figure inspirante de saint Vincent de Paul, par ce moyen simple et accessible qu’est la BD.
Cette dimension spirituelle que vous avez mise dans cette œuvre, manque-t-elle dans la BD en général?
JD: Elle ne manque pas qu’à la BD, elle manque au monde, tout simplement, qui en souffre. Nous ne pensons qu’au profit et au bénéfice. Nous avons un temps qui est «blessé». Nous ne nous donnons plus l’opportunité de nous réfugier en nous-mêmes, d’être improductifs. Ca, c’est une chose qu’on ne vous pardonne pas souvent. Il faut savoir s’arrêter pour écouter, pour entendre. Nous finissons nos vies comme des sourds. Saint Vincent, lui, savait être dans le recul, en lui-même, en ordre avec lui-même. Dans la BD, il remet d’ailleurs en place une religieuse trop zélée dans son aide aux pauvres, lui rappelant que «c’est une ruse du diable» que d’inciter les personnes à faire plus qu’elles ne peuvent.
La personnalité que vous attribuez à saint Vincent est-elle documentée où vient-elle de votre imagination?
JD: Il y a des deux. Nous avons voulu respecter la figure historique de Vincent. Même s’il est amené ici dans un récit de fiction, nous nous sommes basés sur les données existantes et nous nous sommes fait suivre par une historienne.
«L’héroïsme de Vincent est intemporel»
C’était un personnage en mouvement, dans un mouvement vers l’autre, qui passait successivement de la prière à l’action sociale. C’est ce qui faisait sa force. Je crois que la prière lui donnait l’énergie pour aller de l’avant. Mais Ce n’était pas pour autant un agitateur. Il respectait les strates sociales, côtoyant aussi bien les nantis que les plus démunis. Il était dans le non jugement.
MJ: Il aurait pu être le saint patron des directeurs des ressources humaines. C’est quelqu’un qui avait des aptitudes exceptionnelles pour trouver les bonnes personnes et les mettre aux bons endroits. Il se faisait notamment aider par beaucoup de femmes, de toute classe sociale. C’était un homme de terrain, qui agissait de façon concrète au sein d’un monde très dur. Il a su créer et inspirer des institutions fortes, qui perdurent aujourd’hui.
L’histoire se déroule au 17e siècle. Comment peut-elle encore nous parler?
JD: Les problèmes sociaux d’aujourd’hui et d’alors ne sont pas si différents. Nous croisons encore des Vincents dans notre vie quotidienne. L’abbé Pierre, par exemple, en était un. Cet héroïsme, que nous mettons en lumière est intemporel. Il faut qu’il le soit.
Quels sont vos prochains projets?
JD: Nous avons déjà commencé à travailler sur une œuvre dans le même esprit que Vincent, cette fois sur Charles de Foucauld. Avec un contexte différent, mais un personnage qui a également beaucoup de choses à dire à notre époque. Un pari peut-être plus difficile encore que Vincent.
A Genève, œcuménisme et bande dessinée font bon ménage!
Accueillir un saint catholique à Genève? Un paradoxe que surmonte la Maison Tavel du 3 novembre au 31 décembre 2016, avec son exposition sur la BD Vincent. Une vingtaine de planches originales de Martin Jamar sont ainsi présentées en vieille ville de Genève. C’est la première fois que la prestigieuse Maison Tavel ouvre ses portes au neuvième art. «Comment ne pas faire place dans cette vénérable bâtisse, lieu d’histoire, aux superbes évocations de la vie urbaine du 17e siècle, magistralement dessinées et mises en couleur de l’album Vincent, un saint au temps des mousquetaires?», s’interroge PerspectivesArt9, qui organise la manifestation. «A Genève, œcuménisme et bande dessinée font bon ménage!», commente la galerie d’art.
L’exposition de Genève sera la troisième du genre après Bruxelles et Paris. L’objectif était de présenter le travail de Martin Jamar et Jean Dufaux dans trois grandes villes francophones chargées d’histoire, explique Anne-Catherine Barret, responsable marketing et communication pour les éditions Dargaud. Elle souligne également le dynamisme du marché romand dans le domaine de la bande dessinée.
Vincent est Sélectionné pour concourir au prix de la BD chrétienne du diocèse d’Angoulême. (cath.ch-apic/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/jean-dufaux-bd-vincent-temoignage-de-foi/