«Shalom, Salam, Shanti, Pace e Bene. Lorsqu’on se salue dans nos différentes traditions, on se donne la paix» commence Gabrielle Nanchen, de l’Hôtellerie franciscaine. La modératrice présente les quatre intervenants à la table ronde à St Maurice «Vecteurs de paix, religions, société civile». Comment les trois monothéismes peuvent-ils diffuser leur message de paix dans la société? Pour le rabbin Lionel Elkaïm, il est impératif d’améliorer l’autocritique chez les jeunes générations: «C’est un devoir des enseignements religieux d’apprendre questionner les textes, ainsi que sa propre confession».
A l’autre bout de la table, Mostafa Brahami, physicien et auteur d’ouvrages sur l’éthique islamique. Selon lui, la première condition de la paix est la justice: «Assister à une injustice et la taire est incohérent avec l’islam». La dénonciation des problèmes est aussi ce qui anime l’engagement de Dominique Voinçon, assistant pastoral et ancien journaliste. «Il faut sortir de l’habitude du mépris de l’autre». Le croyant chrétien met en évidence le travail des aumôneries comme vecteurs de paix dans les hôpitaux, les universités ou les prisons.
Les trois intervenants citent des extraits de l’Evangile, du Coran et de la Torah encourageant le dialogue interreligieux. Or, malgré des exemples historiques, tous constatent «un hiatus entre les textes et la pratique des hommes». Mallory Schneuwly, sociologue des religions, replace les pratiques religieuses dans le contexte d’un monde en accélération et hyperconnecté: «Par le biais des médias, l’altérité s’est rapprochée, mais ce rapprochement fragilise aussi les identités. On se crispe sur une appartenance pour se construire. Il n’y a pas d’approfondissement de la religion, et le risque est grand de la réduire à un discours légaliste et simpliste» analyse-t-elle.
Etre bien ancré dans sa religion, pour mieux s’ouvrir à l’autre. C’est aussi la raison de l’absence d’une célébration interreligieuse commune à St Maurice le 30 octobre. Les communautés chrétiennes, bouddhistes et musulmanes prient en même temps, chacune de leur côté. La pratique respecte l’esprit des premières rencontres d’Assise en 1986: «Il s’agit d’éviter l’idée de syncrétisme et de relativisme. Chaque énergie spirituelle converge tout en donnant le maximum d’elle-même» explique Brigitte Gobbé, responsable du projet Souffle d’Assise. Durant la célébration oecuménique, un symbolon marque la communion interreligieuse: dans le puzzle formant une colombe, chaque pièce représente une tradition, comme le béhaïsme ou le shintoïsme.
Les communautés religieuses et culturelles se retrouvent pour le partage convivial d’un couscous. Afghans, Erythréens, Syriens, Togolais: la réalité de la migration et l’exil est bien présente autour des tables. Pour rendre cette réalité encore plus palpable, la veille les organisateurs avaient invité le père jésuite Ziad Hilal, d’Alep, donnant actuellement des conférences en Suisse romande. Puis une centaine de personnes se sont jointes au Cercle de silence sur une place de St-Maurice. Pour réaffirmer la dignité humaine, et réclamer la protection des humains avant celle des frontières. Les participants ont exprimé leur solidarité par des dessins à la craie sur le sol. L’action fait écho au slogan du week-end «Hé! Dessine-moi la paix».
Le public fait preuve d’une attention bienveillante durant la table ronde, ouvert ou conquis à la cause. Un des objectifs de la rencontre est certainement de pallier l’ignorance. Carolina, formée dans les droits de l’enfant, était curieuse d’entendre des représentants juifs et musulmans: «A l’ONU on assiste à un discours uniquement laïque. Les religions sont souvent vues comme des ennemis et parfois la source des extrémismes». Son compagnon est venu tisser un réseau interreligieux: «Je suis chrétien mais également très attiré par un courant hindouiste. Je ne renie pas pour autant mes origines». Le jeune photographe recherche des fonds pour la construction d’un espace de contemplation destiné à des croyants et non-croyants.
Le lien avec le monde politique se fait en fin de journée, sur la place du parvis à Saint-Maurice. Cinq représentants des mondes religieux et politiques bravent le froid pour porter un discours d’espoir. En écho à la table ronde du matin, la conseillère nationale Ada Marra affirme que tant qu’il y a des injustices, la paix n’est pas possible. Sa conrétisation passerait par des choix quotidiens pas si anodins: «Qui est-ce que je décide d’inviter à ma table? Est-ce que l’on se mélange? Suis-je prête à aller parler avec mon adversaire politique?» A sa suite Céline Lugon, jeune verte, communique son désir d’une politique sensible aux valeurs du bien-être, de l’amour et du partage: «Il n’y a rien de pire que l’indifférence. La politique a le pouvoir d’ouvrir le dialogue avec les citoyens autour de ces valeurs».
La journée se conclut par la lecture de l’Appel pour la paix, signé par les représentants des principales religions, et un lâcher de ballon. L’expression d’un désir de paix pour lequel il faut travailler au quotidien, comme l’exprime le rabbin Lionel Elkaïm: «Les dessins de cette journée inspirent le rêve. Il est de notre devoir de lui donner forme. Et ce n’est pas uniquement l’affaire des politiciens et de responsables religieux, mais celui de tous les membres de la société».
Le 27 octobre 1986, le pape Jean-Paul II invita à Assise les représentants des grandes religions à prier pour la paix, dans un contexte de guerre froide. La ville fut choisie en souvenir de Saint François, figure du dialogue interreligieux. Durant la cinquième croisade (1217-1221), le saint manifesta un rôle pacificateur en rencontrant le sultan Al-Kamel.
Quatre journées de prière ont suivi les premières rencontres d’Assise, en 1993, 2002, 2011 et 2016. Lors du dernier rassemblement, le pape François a appelé «les paroisses, les associations ecclésiales et les fidèles du monde entier» à prier pour la paix. (cath.ch-apic/pc/mp)
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