[5/5] Bertrand Georges: «Une vocation diaconale ne naît pas hors sol»

Bertrand Georges est diacre et agent pastoral à Fribourg. Avec son épouse Françoise, il dirige la formation diaconale pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). Il explique en quoi consiste son engagement et quel regard il porte sur les diacres d’aujourd’hui. Interview.

Qui sont les diacres aujourd’hui?
Bertrand Georges: Le diaconat est une réalité multiforme et polymorphe! Si bien que je ne peux pas donner une définition de qui ils sont. Par contre, ils ont des points communs: il s’agit d’hommes qui ont fait une expérience de Dieu en Eglise, et chez qui on a reconnu des qualités de service et un désir de s’engager. La très grande majorité d’entre eux sont mariés. On trouve des jeunes et des anciens parmi les diacres. Désireux de servir, ils se situent tous à la suite du Christ.

A quoi servent-ils?
En soi, le diacre n’est pas indispensable! Tout ce qu’il fait peut être effectué par un autre. Les diacres servent, mais tous les baptisés sont appelés à servir. Ils prient, mais tous les croyants sont appelés à prier. Ils célèbrent parfois des sacrements, mais le prêtre et l’évêque aussi. Ce qu’il y a de particulier chez le diacre, c’est qu’il pénètre parfois des lieux où d’autres ne vont pas. Ministre du seuil, il a un rôle de trait d’union. On dit qu’il est appelé à être «bilingue».

C’est-à-dire?
Il porte les préoccupations du monde vers l’Eglise, tout en déployant le désir de servir de l’Eglise vers le monde. Pourtant, encore une fois, on pourrait dire que le laïc également est investi de cette mission. Mais contrairement au laïc, le diacre, ayant reçu le sacrement de l’ordre, l’exerce comme une présence sacramentelle. En communauté et dans les marges de la société, il représente un signe, parfois identifié comme signe de l’amour et du service du Christ et de l’Eglise.

Un diacre est forcément bénévole?
Les évêques français ont ainsi défini le diaconat permanent. «Envoyer des hommes [bénévoles] dans les réalités humaines, familiales et professionnelles». Cette orientation initiale demeure la référence, du moins dans les diocèses de LGF et Sion. Par ailleurs, on remarque depuis quelques temps, en France comme en Suisse, qu’il y a de plus en plus de diacres actifs en pastorale. Dans notre diocèse, nous avons effectivement ouvert l’option d’ordonner les agents pastoraux, s’ils portent un appel dans ce sens. Leur métier d’agent pastoral devient ainsi le cœur de leur ministère diaconal.

Ce changement ne risque pas de faire du diacre un fonctionnaire?
Le risque de s’attiédir et de perdre de vue l’essentiel nous concerne tous, diacres ou non diacres. L’intention du Concile était d’enrichir l’Eglise, avec des fonctions du ministère diaconal, qui dans beaucoup de régions, aurait difficilement pu être exercées autrement. Bien que la forme du ministère se soit déployée pour répondre aux besoins qui sont les nôtres, nous n’avons pas changé l’intuition de Vatican II.

Cette nouvelle orientation n’empêche-t-elle pas le diacre d’être auprès des pauvres et des marginaux?
Nous ne perdons pas de vue l’axe initial. Le diacre reste un signe visible effectif auprès des pauvres et des laissés-pour-compte en marge de nos sociétés. Mais nous pouvons élargir notre regard à la diaconie de la Parole, qui contient l’annonce de la Bonne Nouvelle. Nous mettons aussi l’accent sur la diaconie de la liturgie. Répondre à des demandes de mariages, émanant de personnes souvent peu pratiquantes, mais pourtant interpelées par Dieu au point qu’elles s’adressent à l’Eglise, les aider à discerner leur chemin, n’est-ce pas une manière de rejoindre les périphéries?

«Le diacre rencontre aussi les gens au bord du terrain de foot»

Tous les diacres ont le souci de rejoindre les plus pauvres. Mais nous ne devons pas nous arrêter sur une seule forme de pauvreté. Aujourd’hui, il y en a d’autres. La Parole et la vie pastorale sont aussi des chemins pour y répondre.

N’est-ce pas un moyen de combler le manque de prêtres?
Je ne crois pas. Les services pastoraux à rendre sont multiples et complémentaires. La prêtrise, c’est un appel. Le diaconat, c’en est un autre. Et le laïc, encore un autre.

Est-ce que l’engagement en paroisse n’éloigne pas le diacre des périphéries?
Dans nos diocèses, les agents pastoraux diacres restent minoritaires. Et le diacre agent pastoral entretient aussi des contacts avec les périphéries. Ceci du fait d’être marié et d’avoir une famille. Parce qu’il rencontre les gens au bord du terrain de foot. Parce que, dans son voisinage, il rencontre des personnes qui ne fréquentent pas l’Eglise. Qu’il le veuille ou non, son insertion dans la société fait qu’il vit les préoccupations du monde. Mais, je le répète, la grande majorité des diacres de notre diocèse ne quitteront pas leur travail professionnel.

Quels sont les métiers qu’ils exercent?
Parmi les futurs diacres, il y a par exemple un candidat qui travaille à Caritas Vaud. Un autre est menuisier et possède une entreprise. Une fois ordonnées, ses personnes conserveront généralement un plein temps dans leur profession. Il y a également des diacres âgés qui, parce qu’ils n’exercent plus de métier, sont davantage présents en paroisse.

Comment se présente la formation diaconale actuelle?
Il y a d’abord une période de pré-discernement. Parce qu’une personne s’est sentie appelée ou qu’elle a été interpellée. C’est un temps de quelques mois durant lequel, ma femme Françoise et moi la rencontrons a moins une fois. Après cette phase, et avec l’accord de l’évêque, la personne peut rentrer en année de discernement. Si cette année de réflexion est positive, le candidat s’engage à trois ans de formation, jusqu’à l’ordination.

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«En tant qu’hommes d’Eglise, les diacres sont attendus dans leur milieu.
Ils doivent être capable de rendre compte de l’espérance qui les habite.»

Depuis cette année, nous avons ajouté encore deux ans post-ordination. Pour continuer la formation et l’approfondissement, sous forme, notamment, de relecture de pratique pastorale.

Parce que ces personnes deviennent hommes d’Eglise, nous avons pressenti comme une tension. Dans leur milieu, lorsqu’on apprend qu’ils sont diacres, ils sont attendus et doivent être capable de rendre compte de l’espérance qui les habite. Parallèlement, ils sont très occupés par leur travail et leur famille. Nous devons tenir compte de ces deux réalités pour bâtir le cursus de formation.

Quelles qualités sont requises pour être candidat au diaconat?
Certains arrivent avec les bases du chrétien engagé. D’autres sont déjà docteurs en théologie. Mais tous possèdent le sens de la foi et de l’Eglise, et un certain charisme pour le service. Si ce n’est pas le cas, dans la phase de pré-discernement, nous allons les inviter commencer par s’enraciner une année ou deux dans leur paroisse et s’engager quelque peu avant d’entamer le discernement.

«L’ancrage du diacre dans une communauté est nécessaire»

Quelles sont les nouveautés dans la formation proprement dite?
Habituellement, les diocèses formaient leurs diacres. Maintenant, avec l’arrivée du CCRFE (Centre catholique romand de formations en Eglise), la formation des candidats au diaconat de diocèse de Sion et de LGF est regroupée. Nous allons vers une intensification de la formation.

Les futurs diacres suivent un cursus de neuf samedis par an, complétée par une retraite annuelle vécue ensemble. Les épouses des candidats sont toujours bienvenues à ces rencontres. Ce sont des journées de formations, mais aussi d’approfondissement de la vie spirituelle. Petit à petit, il s’y façonne quelque chose de l’être diaconal et de la fraternité diaconale. Nous vivions de belles choses à ce niveau-là, si bien que lorsqu’un candidat arrive avec une licence en théologie, nous lui demandons quand même de venir à ces journées. Parce qu’on n’y reçoit pas seulement des bases de formation théologique, mais parce qu’on n’y cultive l’être diaconal.

Une personne avec une attitude chrétienne évidente, mais sans attaches paroissiales, a-t-elle une chance de devenir diacre?
Je dis volontiers qu’une vocation ne naît pas hors sol. Donc oui, un enracinement est essentiel. Il n’est pas impossible qu’une personne soit interpelée intérieurement. Mais, dans ce cas-là, la première étape consiste à prendre contact avec sa paroisse, si n’est pas déjà fait, afin de vivre un enracinement et un engagement dans une communauté. La vocation diaconale émerge d’une communauté. Elle ne pousse pas hors sol.

Est-ce que le diacre est habituellement engagé dans sa communauté d’origine?
A priori, oui. Il existe des diacres qui ont ministère plus sectorisé. Il y a par exemple un professeur de cinéma qui exerce un rôle dans la culture et qui est beaucoup moins engagé dans la liturgie. Il y a aussi les diacres agents pastoraux, qui comme tout agent pastoral, peuvent être appelé à changer de service. Mais le diacre bénévole n’est en principe pas appelé par l’évêque à se déplacer. Il est appelé à être serviteur de Christ, là où il vit.


Bertrand Georges: de l’hôtel à l’autel

Bertrand Georges s’est formé dans l’hôtellerie. Ses parents ayant un café-restaurant en Valais, son projet initial était de le reprendre. Mais vers l’âge de 20 ans, il vit «une rencontre décisive avec le Seigneur Jésus». Cette révélation le conduit à prendre une année sabbatique au Verbe de Vie, en France. Une pause durant laquelle il entame une formation biblique, théologique et spirituelle. C’est là qu’il rencontre sa future épouse Françoise. Bertrand reprend son travail pendant leurs fiançailles et leur première année de mariage. Puis le couple retourne dans la communauté du Verbe de Vie, à Pensier, près de Fribourg, dans laquelle ils servent durant 18 ans.

«Voilà qu’un jour, au sein de la communauté, on m’interpelle pour devenir diacre permanent. Une vocation à laquelle Mgr Bernard Genoud a cru. Il m’appelé et il m’a ordonné en 2003», se souvient Bertrand.

Quelques années plus tard, avec sa femme, il ressent un appel à s’engager, toujours en Eglise, mais plus dans une vie communautaire. Il est mandaté comme agent pastoral à Fribourg, tout en complétant sa formation à l’IFM (Institut romand de formation au ministère). Succédant à Georges et Agnès Savoy, Bertrand et Françoise Georges reprennent la responsabilité de la formation diaconale pour le LGF en novembre 2011. Parallèlement, le couple s’occupe de la pastorale familiale pour le canton de Fribourg. Bertrand est aussi engagé dans le service accompagnement et formation en pastorale (AFP) au vicariat de Fribourg. «J’aime à dire que je suis passé de l’hôtel à l’autel», conclut Bertrand, père de trois enfants. (cath.ch/gr)

Grégory Roth

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