En juillet dernier, le gouvernement a publié les résultats du recensement effectué en 2014, avec l’appui technique et financier des Nations-Unies. Les recherches ont révélé plusieurs surprises, note Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.
Auparavant, en l’absence de statistiques récentes, les extrémistes bouddhistes divulguaient des rumeurs sur un prétendu boom démographique musulman. Les chiffres officiels ne corroborent pas cette hypothèse.
Les catholiques et les protestants forment 6,2% de la population birmane quand ils n’en représentaient que 4,9% en 1983 et 4,6%en 1973. L’Etat chin, situé à l’ouest du pays, le long de la frontière indienne, est le plus chrétien de tous (85,4%). A l’échelle nationale, la proportion des autres groupes religieux (bouddhiste, musulman, hindou) est demeurée à peu près stable. Sans surprise, la Birmanie est bouddhiste à 87,9%.
L’augmentation de la population catholique concerne surtout les régions ethniques comme les Etats chin et kachin, explique à EdA le cardinal Charles Bo, archevêque catholique de Rangoon, la plus grande ville du pays. Elle s’explique surtout par les populations animistes qui ont rejoint la religion chrétienne. De fait, les animistes représentaient 2,2% de la population birmane il y a quarante ans, contre 0,8% aujourd’hui. D’après le cardinal Bo, la Birmanie compte environ 800’000 catholiques répartis en seize diocèses, ainsi que 800 prêtres, et environ 2’000 religieux et religieuses.
La surprise vient surtout de l’Etat kachin. Cette région la plus septentrionale de Birmanie est souvent présentée comme majoritairement chrétienne. Mais d’après le recensement de 2014, les chrétiens ne représentent 33,8% de la population. Les bouddhistes les devançant largement, avec 64%.
Mgr Francis Daw Tang, évêque catholique de Myitkyina, le chef-lieu de l’Etat kachin, juge cependant que cette proportion de bouddhistes est trop élevée pour être vraie. Le docteur Tu Ja, dirigeant du Parti pour la démocratie dans l’Etat kachin (KSDP), estime pour sa part que les autorités dirigées par les bouddhistes ont falsifié les chiffres afin de dominer les chrétiens dans cette zone.
Egalement interrogé par EdA, le Rév Hkalam Samson, secrétaire général de l’Eglise baptiste kachin, pense que les migrations internes pourraient expliquer le nombre très bas de chrétiens dans l’Etat. «Les autorités ont fait venir de nombreuses personnes qui ne sont pas kachins et leur ont donné des cartes d’identité. Ces gens viennent de la Basse-Birmanie, ils sont Bamars, Chinois, Shans… etc. C’est une stratégie pour occuper notre Etat ethnique», regrette-t-il. De fait, les résultats du recensement indiquent que plus de 200’000 personnes qui y vivent, soit 17% de la population, ne sont pas originaires de l’Etat. La plupart sont des migrants des régions de Sagaing et de Mandalay, majoritairement bouddhistes.
Sous le précédent gouvernement, les extrémistes bouddhistes invoquaient régulièrement un prétendu boom démographique musulman qui risquait de diluer la culture et les traditions bouddhistes. Ils estimaient que la porosité de la frontière avec le Bangladesh permettait à de nombreux immigrés musulmans de s’infiltrer. Ils expliquaient que la polygamie pratiquée par certains hommes faisait monter en flèche la natalité dans les régions proches du Bangladesh. Ces allégations avaient servi de prétexte à la rédaction de quatre lois sur la «protection de la race [birmane] et de la religion [bouddhiste]» qui ont, par exemple, restreint les conversions religieuses.
Le recensement est venu contredire la rhétorique des extrémistes bouddhistes. Les musulmans représentent 4,3% des 51 millions de Birmans. Leur proportion a à peine augmenté ces dernières décennies puisqu’ils formaient 3,9% de la population en 1973 et 1983. Ils représentent un maximum de 35% de la population dans l’Etat de l’Arakan, adjacent au Bangladesh.
Malgré les résultats du recensement, le groupe de moines bouddhistes extrémistes Ma Ba Tha continue de brandir le spectre de l’invasion musulmane. «Dans l’Arakan, la majorité de la population est musulmane», assène Ashin Sopaka, un bonze qui dirige le mouvement radical et qu’EdA a interrogé à Rangoon. Il n’apporte comme preuves que des souvenirs de voyage dans l’Arakan selon lesquels certaines maisons sont peuplées de plus de cinquante musulmans. Il affirme que les énumérateurs du recensement n’ont pas osé pénétrer dans des villages musulmans «dangereux». Ashin Sopaka réfute ainsi la proportion de 4,3% de musulmans au niveau national, l’estimant à 22 %, sans citer de sources fiables. Ma Ba Tha a souvent été accusé de divulguer des rumeurs, note EdA.
«Trois mois après la publication des résultats du dénombrement par groupe religieux, le discours du groupe extrémiste sonne creux», commente l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. «Les résultats du recensement ont montré à quel point la diffusion de la propagande haineuse de Ma Ba Tha était ridicule», résume Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie pour l’association Human Rights Watch. En juillet, le clergé bouddhiste a désavoué Ma Ba Tha. Depuis, le groupuscule radical semble moins puissant. «On entend moins de discours de haine contre les musulmans, confirme Mgr Bo. La liberté de religion a progressé en Birmanie. Le gouvernement essaie de se débarrasser des extrémistes. Quand cela sera fait, l’évangélisation et la proclamation de la Bonne Nouvelle seront alors possibles». (cath.ch-apic/eda/rz)
Raphaël Zbinden
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