Plus qu’une liste de points d’attention à l’intention des électeurs catholiques qui liront les programmes des candidats à la présidentielle, le petit livre Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, s’adresse à tous les Français, explique l’hebdomadaire La Vie. Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France y fait le constat d’une crise profonde du politique, appelle à sortir des logiques gestionnaires pour retrouver la question du sens et encourage les Français à s’engager. Ce texte court, accessible et général, avec très peu de références religieuses, ne s’adresse pas qu’aux catholiques, ni aux seuls Français, mais à tous les «habitants de France».
Avec les attentats terroristes, mais aussi les crises sociales et sociétales, les dernières années sont marquées, selon les évêques, par des phénomènes de réaction voire de surréaction. «La contestation est devenue le mode de fonctionnement habituel, et la culture de l’affrontement semble prendre le pas sur celle du dialogue (…) On ne supporte plus guère toute parole émanant d’une autorité quelle qu’elle soit. L’unité nationale est mise à mal.»
Plus que les autres Européens, les Français redoutent un déclassement de leur niveau de vie, constatent les évêques. S’y ajoute une insécurité sociale liée au chômage et à la pauvreté. L’islam, la crainte du terrorisme, les flux migratoires, les transformations climatiques et écologiques et les changement sociaux contribuent à déstabiliser et à inquiéter beaucoup de gens. Dans une société où l’individu prime sur le collectif, «les valeurs républicaines de ‘liberté, égalité, fraternité’ souvent brandies de manière incantatoire semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur notre sol national.»
Pour les évêques, le creuset républicain qui a plutôt bien fonctionné pendant des siècles n’intègre plus ou plus assez vite. «Les identités et les différences sont affichées, et la revendication communautaire met à mal l’idée d’une Nation homogène. Il devient dès lors plus difficile de définir clairement ce que c’est d’être citoyen français.»
Les différences que doit conjuguer la France ne sont pas seulement culturelles. Elles touchent aussi aux fondamentaux de la société, s’inquiètent les évêques. «Il n’y a plus, ou de moins en moins, de vision anthropologique commune dans notre société», déplorent-ils, en allusion explicite aux débats sur le mariage homosexuel et sur l’euthanasie.
Face à cette interrogation sur les valeurs partagées, les évêques insistent sur la nécessité de donner aux contemporains «une charpente plus qu’une armure», notamment par l’action conjointe de la famille et de l’école. Ils incitent aussi les chrétiens à ne pas rêver à un repli du monde. «Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits, ou à l’inverse, de rêver à un retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Eglise de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juge. La révélation chrétienne ne conduit pas à une telle contre-culture.»
Dans ce contexte, les évêques rappellent également la définition de la laïcité : «Un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes religions et non croyants, de vivre ensemble.» Ils s’élèvent contre ceux qui voudraient reléguer la religion à la sphère privée, une vision «qui prive la vie publique d’un apport précieux pour la vie ensemble.»
«Notre société française connaît une grave crise de sens. Or le politique ne peut échapper à cette question du sens et doit se situer à ce niveau», écrit le Conseil permanent. «On ne fait pas vivre ensemble des individus avec de seuls discours gestionnaires.» Pour en sortir, au fond, «la seule question qui mérite d’être posée n’est-elle pas : «qu’est-ce qui fait qu’une vie mérite d’être donnée aujourd’hui ? Pour quoi suis-je prêt à donner ma vie aujourd’hui?» La réponse, individuelle, doit, selon les évêques, pousser à sortir de soi, à s’engager avec d’autres et à le faire sur le temps long.
Les évêques de France posent aussi le constat d’une «crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général», le comportement désastreux de quelques-uns jetant le discrédit sur tous ceux qui sont engagés sincèrement. Pour les évêques, ce qui doit fonder l’exercice du pouvoir est «la recherche du bien commun et de l’intérêt général qui doit trouver son fondement dans un véritable débat sur des valeurs et des orientations partagées.»
Dans un monde politique marqué par les rapports de force, les évêques invitent à trouver la voie du compromis qui, à partir de positions différentes, pousse à entrer dans un vrai dialogue, à construire ensemble quelque chose d’autre, où personne ne se renie. Compromis n’est cependant pas compromission. Ainsi, «s’il faut parfois donner un témoignage de fermeté, que celle-ci ne devienne jamais raideur et blocage.»
Alors que les catholiques sont de plus en plus nombreux à être tentés par le vote Front National, le parti d’extrême-droite n’est pas évoqué dans le document. Le Conseil permanent n’a pas fait le choix de s’adresser spécifiquement à cet électorat mais se maintient dans un cadre général.
Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, coédition Bayard, Cerf, Mame, 90 p, 4 »‚¬ en vente à partir du 14 octobre. (cath.ch-apic/la vie/cx/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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