Emmenée par son évêque, Mgr Charles Morerod, l’Eglise veut se rendre aux périphéries. Et elle s’en donne les moyens. Pour sa session pastorale, le diocèse a jeté son dévolu sur le temple genevois… des expositions. Entre un congrès pour directeurs RH et un autre dédié aux pros de la communication, Palexpo et sa salle des congrès dernier cri accueillent la réflexion du diocèse. But de la démarche: réfléchir à la manière d’atteindre les périphéries, ces lieux où la présence de l’Eglise est encore trop rare, en scrutant l’identité du «disciple missionnaire» et le contexte de son activité pastorale.
Ce mercredi 5 octobre, après la prière des laudes, recueillie, l’abbé Nicolas Glasson ouvre les feux. «L’expérience de la miséricorde fonde la communauté des disciples missionnaires». Pour le directeur du séminaire diocésain, cette mission est celle de tous les baptisés, non «pas d’abord des professionnels». Il s’interroge. «Peut-être avons-nous un peu enfermé l’annonce de l’Evangile dans les sphères professionnelles de l’Eglise?»
Une question qui rejoint Alexandre Clemente, fraîchement arrivé du Brésil. Il est aumônier à Pasaj, la Pastorale d’animation jeunesse du canton de Vaud. «En Suisse, l’Eglise est beaucoup mieux structurée qu’au Brésil. Elle fonctionne effectivement de manière plus professionnelle. Dans mon pays d’origine, la grande majorité des laïcs engagés sont bénévoles. Il y a donc plus d’improvisation, ce qui n’est pas que négatif». Si l’efficacité prime en Suisse, qu’en est-il de la fécondité? «Difficile à dire, répond l’intéressé. Idéalement, une pastorale féconde devrait être à la fois structurée et spontanée. Peut-être manque-t-il un peu d’improvisation en Suisse et un peu d’organisation au Brésil».
Autre défi évoqué: le rapport au temps. «Il n’y a pas de plus grand luxe que de prendre du temps pour rencontrer nos contemporains», affirme du haut de l’estrade Elisabeth Parmentier, professeure de théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de Genève. Pour la théologienne luthérienne, l’enjeu est de taille. Tout chemin de conversion nécessite la disponibilité des accompagnateurs. Or, cette disponibilité est parfois à l’étroit dans un cahier des charges millimétré. «Ce n’est pas toujours simple, reconnaît Nicole Andreetta, surtout si on travaille à plein temps avec une charge de famille à côté. Pour ma part, je suis engagée à mi-temps à l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA). En travaillant à 50%, j’ai un peu plus de flexibilité. Elle est nécessaire, car on se sait jamais quand se terminent nos accompagnements». Mais le temps n’est pas qu’affaire de quantité. Il faut aussi considérer sa densité, assure-t-elle. «Parfois 5 minutes d’un accompagnement profond et intense valent 15 heures».
La présence de Nicole Andreetta auprès des requérants d’asile est emblématique des périphéries qui sont au cœur de la réflexion diocésaine. D’autres, comme elle, exercent leur ministère en dehors des sentiers battus paroissiaux. C’est le cas de Xavier Gravend-Tirole, aumônier à l’EPFL. «Sur le campus, nous, chrétiens, sommes minoritaires. On se doit d’être à l’écoute des étudiants pour répondre à leurs attentes concrètes. Certains militent pour plus de justice sociale, d’autres sont attentifs à l’écologie ou aux nouvelles technologies. Qu’est-ce que l’Eglise peut leur dire?». Une question déterminante pour son activité pastorale qui consiste, la plupart du temps, à tisser des liens entre des réalités peu coutumières.
Les périphéries ne sont pas pour autant la prérogative des pastorales singulières. Nombre de paroisses prennent le risque de sortir de leurs habitudes. «Nous essayons de changer nos manière de faire à travers de petites choses, explique l’abbé Guy Jeanmonod, curé de l’Unité pastorale de la Venoge – L’Aubonne. Beaucoup de personnes prennent contact avec nous pour un sacrement. Certaines ne savent même pas où est l’Eglise. Nous souhaitons qu’ils rencontrent la communauté en les invitant à une messe, par exemple». Le but? «Casser l’image ‘traditionnelle’ de l’Eglise. On se retrouve, on discute, on boit un verre, on fait connaissance. Il faut casser les cadres dans lesquels on a tendance à enfermer», explique le prêtre, avant de se laisser emporter par un bouillonnement intérieur. «On doit vraiment s’interroger sur la manière dont on peut rejoindre les gens, s’exclame-t-il avec une véhémence soudaine. On se regarde le nombril en tournant en rond dans nos églises, alors qu’à l’extérieur certaines personnes meurent, littéralement». «Il y a une mentalité complète à changer dans nos paroisses, poursuit sereinement Alice Nielsen, laïque engagée dans la même Unité pastorale. Il faut en faire des ressources-clé dans la mission de l’Eglise. Il faudrait que tous les paroissiens prennent une part active dans l’évangélisation».
Mission impossible? Sans révolution profonde, il semble qu’un tel changement de paradigme soit illusoire. Mgr Morerod n’est pas dupe. «Cette session à elle seule ne révolutionnera pas d’un seul coup la vie de notre diocèse, écrit-il dans la brochure qui présente la session diocésaine. Mais si elle suscite en nous une prise de conscience et une remise en question de notre identité de disciples missionnaires, alors ce sera en partie ‘mission accomplie'».
Trois questions à Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg
Vous avez accolé un point d’interrogation au thème de cette session. «La mission vers les périphéries. Mission impossible?» Est-ce utopique de vouloir rejoindre ces périphéries?
C’est bien évidemment possible, sinon nous ne serions pas là. Le but de la communauté chrétienne n’est pas seulement de soigner ceux qui viennent. C’est aussi de s’intéresser à ceux qui ne viennent pas. Mais il faut clarifier ce qu’on entend par «périphérie». Pour beaucoup, aller à l’église, c’est être conformiste. En réalité, c’est l’inverse. Etre conformiste aujourd’hui, c’est ne plus aller à l’église.
Est-ce que les structures pastorales, dans votre diocèse, sont adaptées à ce changement de paradigme?
Sacrée question! Je dirais qu’elles sont en partie adaptées. Si on les transforme de manière profonde, certaines personnes risquent de ne plus s’y retrouver. La question centrale est celle de la place que prennent ces structures dans notre activité pastorale. Je suis convaincu qu’il faut les alléger. Mais c’est compliqué. Parfois, on se rend compte après coup de l’utilité d’une chose que l’on vient de supprimer. Il est plus facile de démolir que de reconstruire. Il faut y aller avec délicatesse.
La professionnalisation de l’activité pastorale a été évoquée comme un point problématique. Qu’en dites-vous?
Avant le concile Vatican II, on pensait que l’évangélisation était l’affaire des prêtres et de religieux. Par conséquent, elle ne concernait pas les laïcs. Si aujourd’hui, on considère qu’elle est réservée aux prêtres, aux religieux et aux laics payés pour cela, on reproduit le même schéma.
Il me semble toutefois que nous avons une plus vive conscience, aujourd’hui, que tout baptisé est appelé à témoigner de sa foi. Reste le danger de développer une mentalité de fonctionnaire. Lors de la dernière visite ad limina, j’ai dit au pape ma crainte du fonctionnariat dans l’Eglise en Suisse. Il m’a répondu que c’était là un danger pour notre pays. On risque ainsi de réduire l’Eglise à une espèce d’organe parallèle à l’Etat. Or, l’Eglise c’est bien plus que cela! (cath.ch/pp)
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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