APIC – Reportage

Georges Scherrer / agence APIC

Les anges gardiens de la gare de Zurich

Zurich, 20août(APIC) Le temps des dames patronesses est révolu. Aujourd’hui à la gare du Zurich on a besoin de femmes qui sachent réagir et

prendre les choses en mains, de femmes qui sachent aussi, s’il le faut, réparer une chaise roulante. Les services d’accueil à la gare de Zurich ce

sont deux noms: «Pro Filia» et «Les Amies de la jeune fille». Ces deux associations se ont la tâche de venir aide aux voyageurs en difficulté. Les

CFF sont très satisfaits du travail des deux organismes et les ont même encouragés à en faire plus. L’oecuménisme entre l’association catholique «Pro

Filia» et les «Amies de la jeune fille», confessionnellement neutre, ne pose aucun problème.

«Pro Filia», le nom peut induire en erreur. Autrefois, on riait de ces

dames en brassard orange-blanc-rouge qui attendaient les jeunes filles sur

le quai et les aidaient à descendre des wagons. Aujourd’hui, les hommes

d’affaires interpellent les aides de gare pour leur demander où se trouve

le bureau des objets trouvés. Pas étonnant: les tâches des femmes en brassard ont évolué, la gare de Zurich elle-même a complètement changé. Ce

noeud ferroviaire de la Suisse s’étale maintenant sur quatre niveaux. L’ancienne gare, que le voyageur pouvait embrasser d’un seul coup d’oeil, est

devenue un labyrinthe de halls et de couloirs. Chaque jour, entre 250’000

et 300’000 personnes y passent pour emprunter un des 1’500 trains qui transitent quotidiennement . Beaucoup des gens, et sutout les personnes âgées,

se sentent dépassés par les nouvelles installations de la gare.

Charlotte Preiswerk n’attarde pas son regard sur les entrailles

gigantesques de la gare la plus moderne de Suisse, mais sur les gens qui

doivent patienter entre deux trains, entre les murs de béton et les façades

de verre. C’est en mai 1989 que Charlotte Preiswerk a passé pour la première fois le brassard orange-blanc-rouge de l’association catholique «Pro

Filia», pour venir en aide aux personnnes de tout âge en difficulté.

«Si elles n’existaient pas, on devrait les inventer»

6h 45: Charlotte Preiswerk ouvre la porte du local de l’accueil en gare

à l’entresol, sous le nouvel hall central. Aujourd’hui le local est ouvert

toute la journé et jusque dans la soirée. Avant le 1er janvier 1992, les

heures d’ouverture étaient plus restreintes. «Nous sommes très contents de

les avoir, si elles n’existaient pas nous devrions les inventer», déclare

Kurt Steinmann, à propos des femmes en brassards. Les feuilles de chêne et

les trois bandes dorées de sa casquette indiquent qu’il est le chef de gare

de Zurich. Il apprécie à sa juste valeur le travail effectué par les huits

femmes du service d’accueil en gare. S’occuper des gens perdus dans le

tourbillon de la gare demande efficacité et patience.

Depuis le 1er janvier, le service d’accueil en gare fonctionne durant

101,5 heures par semaine, soit 30% de plus que l’année précédente. Le tiers

des frais est pris en charge par les CFF, une contribution est apportée par

le Sihltal-Zurich-Üetlibergbahn. Pour le reste, «Pro Filia» dépend de la

Conférence centrale catholique romaine et des dons. L’association des

«Amies de la jeune fille» finance quant à elle cette activité par des dons

et des actions dans le canton de Zurich.

7h 20: Trois jeunes asiatiques portant des sacs de montagne et plan de

la ville en mains se présentent au guichet. Elles veulent se rendre le lendemain à la Jungfrau et désirent trouver un hôtel ou une auberge de jeunesse à Interlaken. Charlotte Preiswerk leur indique le chemin par les escaliers roulants, le hall puis à travers un portail et enfin au coin à droite

jusqu’à l’Office du tourisme. Pourquoi les trois touristes sont-elles venues ici à l’entresol? «Cela arrive souvent», explique Charlotte. Le logo

qui a indiqué le chemin aux jeunes filles est un panneau officiel bleu

figurant une poignée de main.

«Elles ne connaissent pas la langue, mais elle voient les mains et viennent vers nous», ajoute Charlotte dans son dialecte bernois. Une autre qualité des anges gardiens de la gare est le don des langues: trois ou quatre

au minimum. Si un turc ou un sud-américain demande de l’aide, pas de problèmes. Pour les dames de la gare, il n’est pas nécessaire de tout comprendre. Il est toujours possible de trouver de l’aide quelque part. Dans de

tels cas on s’adresse au service des bagages. A la gare de Zurich, des hommes de toutes nationalités y travaillent. Si nécessaire, on demande à Abdul

de faire la traduction. Le service des bagages rend volontiers aussi d’autre services.

Un élévateur pour décharger une chaise roulante

7h 53: Arrivée de l’intercity de Genève. Un voyageur en chaise roulante

doit changer de train pour aller à Coire. Pas facile dans la cohue matinale. Comme il lui est impossible de décharger seule une chaise roulante,

Charlotte Preiswerk a réquisitionnée un élévateur et un chauffeur des CFF

pour transporter la personne handicapée jusqu’au train pour Coire.

Pour ce genre de service, les voyageurs peuvent s’adresser directement

aux CFF, mais ils préfèrent souvent appeler les dames de l’accueil en gare,

car il faut s’occuper soigneusement des personnes en chaise roulante. «Très

souvent il arrive que ces gens aient une assez longue attente. Nous les invitons alors dans notre local. Certains clients habituels regretteraient de

ne pas se faire servir un café», explique Charlotte. Mais cette fois le

changement de train a très bien fonctionné.

9h 20: Le cas d’une Japonaise qui ne pouvait plus ouvrir sa valise est

liquidé. Quelques mots en anglais ont permis de calmer sa panique. Un homme

en fauteuil roulant, qu’un agent en uniforme a amené ici, se trouve devant

la porte. Willam Tan, de Nouvelle-Zélande, a participé au 4e marathon en

chaise roulante de Schenkon (LU). Pendant le retour une entretoise de son

fauteuil a cassé. Les hommes des bagages sont actuellement trop occupés

pour l’aider. Il a appelé alors un employé dans le hall de la gare pour lui

demander de réparer la partie cassée avec une barre de fer. Mais l’employé

a répondu: «Non, je vais vous amener au SOS». Que doit faire Charlotte?

«Nous avons besoin de personnes qui puissent décider rapidement» explique Anita Elsener, la présidente de la section cantonale de «Pro Filia». Il

y a aussi des personnes âgés qui viennent des homes et qui se perdent dans

la gare. Et elles ne savent plus où aller. Il faut faire preuve alors de

beaucoup de patience pour trouver où elles habitent.» La section de Zurich

a une délégué pour le service d’accueil en gare. Anne-Marie Nideröst s’occupe des questions de personnel. «Certes, il y a beaucoup de gens engagés

dans le social, mais nous avons besoin de personnes à qui ce job convient

et qui sont d’accord avec le salaire. Une jeune femme à Zurich ne travaille

plus guère pour 19.– francs de l’heure».

Qu’est ce qui a conduit Charlotte Preiswerk à la gare? «Toutes celles

qui sont ici exerçaient auparavant une profession. J’ai été moi-même directrice d’exploitation. J’ai ensuite élevé mes trois enfants. Ils sont maintenant indépendants, je me suis demandé alors que faire. Je savais que je

ne pouvais pas reprendre ma profession car je suis trop âgée. Je suis venue

ici suite à une petite annonce». Elle admet aussi avoir répondu à un vieil

amour pour les gares. «En premier lieu, je viens volontiers à la gare parce

que j’aime voyager. Deuxièmement je voulais faire quelque chose qui ait un

caractère social. Quelque chose qui ait un sens. Ici on doit être très mobile et savoir décider rapidement». A propos du cas de William Fan – «il

faut connaître les gens» – elle a trouvé entretemps quelqu’un au service

des bagages qui a pu réparé provisoirement la chaise roulante.

Scènes de drogue à la gare

10h: Dans un des couloirs de la gare, Charlotte est abordée par un jeune

homme qui lui demande deux francs. Un drogué, explique-t-elle. «Nous ne

donnons jamais d’argent: ils le dépenseraient tout de suite pour de la drogue. Mais quand ils viennent et nous disent: «j’ai faim», nous leur achetons une saucisse ou nous leur donnons un bon de repas du service social.»

La collaboration avec l’assistance publique de la ville va plus loin. Lorsque les services sont fermés, l’accueil en gare peut donner à une personne

en difficulté un titre de transport et le mettre au compte du service social. «Nous demandons toujours aux gens de nous renvoyer l’argent, mais 80%

ne le font pas. Mais il vaut mieux que quelqu’un puisse rentrer à la maison, plutôt qu’il rôde en ville.»

«Les jeunes drogués s’adressent parfois à nous. Il y a quinze jours, une

jeune femme gisait devant la centrale téléphonique. Les services sanitaires

l’ont réanimée puis ne se sont plus occupés d’elle. Elle était sale et effrayante. Je l’ai invitée ici, où elle a pu se remettre. Plus tard je l’ai

mise dans le train et j’ai informé son ami de venir la chercher à la gare.»

La gare est aussi le lieu de perégrination de nombreux alcooliques.

Charlotte a aussi à faire à eux. «Les alcooliques ne veulent absolument pas

qu’on s’occupe d’eux. C’est fantastique, nous les connaissons et ils nous

connaissent, mais c’est sans espoir. La Ville les a renvoyés dans leur village, mais ils sont revenus. Parfois ils me donnent un coup de main, ou

vont chercher quelqu’un aux bagages».

La chaleur éprouve les personnes âgées

S’occuper des personnes âgées et aussi l’une des tâches de l’accueil en

gare. En été, les voyages deviennent éprouvants pour les personnes âgées à

cause de la chaleur. Elles s’asseoient épuisées sur un banc de la gare. «On

nous appelle ou on les amène chez nous. Nous leur donnons à boire et nous

les invitons à se coucher un moment.» Beaucoup de personnes âgées ne savent

plus entrer ou sortir de la nouvelle gare. Elles sont désorientées par la

multitude de panneaux et d’indications et sont effrayées par le bruit des

freins des locomotives ou des innombrables passants. Aux heures de pointe,

une seule aide de gare ne suffit pas. C’est pourquoi à ce moment-là, le

service est doublé.

11h: Pour Charlotte, la matinée a passé comme un éclair. Johanna Trüeb,

des «Amies de la jeune fille» vient la relayer. Elle est ici depuis 15 ans.

Comment a-t-elle vécu ces dernières années? «La vie dans la gare est naturellement tout à fait différente de celle d’autrefois. Il y a beaucoup plus

de marginaux. Nous avons vécu à la gare le développement de la scène de la

drogue. Cela me préoccupe de plus en plus. Nous constatons notre propre impuissance.» Ce travail lui a toujours procuré de grandes satisfactions et

elle poursuit: «Je suis heureuse de pouvoir venir en aide aux gens et cela

gratuitement».

Helen Gucker, présidente des «Amies de la jeune fille» est très

satisfaite de la collaboration avec «Pro Filia»: «Nous sommes certes politiquement et confessionnellement neutres, mais je trouve que nous devons

faire ce travail ensemble.» Kurt Steimann, le chef de gare renchérit:

«L’oceuménisme à la gare n’est pas un problème». (apic/gs/mp)

Encadré

Une demande en hausse à la gare de Zurich

En 1991, le service d’accueil en gare est venue au secours de 8166 personnes à la gare de Zurich (7’352 en 1990). La plus forte augmentation concerne les adultes (+26%). Pour les enfants et les jeunes, le nombre est stable. Celui des personnes handicapées dépasse de peu les 2’000. Quant aux

téléphones, en augmentation de 8%, ils se chiffrent à 3’000 par an. Plus de

35% du temps de travail est consacré à donner des renseignements, un peu

moins de 35% à apporter de l’aide. L’accueil de personnes dans leur local

occupe 18% du temps. Le reste est consacré à s’occuper de personnes en

chaise roulante, à fournir à manger ou des bons de transport, à procurer un

logement, ou à s’occuper de drogués. (apic/gs/mp)

Encadré

L’accueil dans les gares de Suisse

«Pro Filia» entretient un service d’accueil dans 13 gares de Suisse: Bâle,

Berne, Brigue, Buchs(SG), Chiasso, Coire, Romanshorn, Lucerne, Olten, Zurich et en Suisse romande à Bienne, Genève-Cornavin, Genève-aéroport et

Lausanne. Les service d’accueil en gare existent aussi dans les principales

gares européennes.

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’APIC.

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