I.MEDIA: Cette Rencontre religieuse d’Assise célèbre les 30 ans de la première Journée mondiale de prière interreligieuse pour la paix. En 30 ans, le contexte mondial a changé. Le pape François parle notamment de «troisième guerre mondiale par morceaux». La rencontre d’Assise peut-elle encore répondre aux défis actuels ?
Mgr Domenico Sorrentino: Il y a trente ans, le scénario mondial était marqué par la guerre froide et les blocs opposés. Aujourd’hui, le scénario a changé avec ce que le pape François appelle «la troisième guerre mondiale par morceaux», le terrorisme. Le scénario a changé mais l’exigence de paix, la soif de paix est plus vivante que jamais.
Quel souffle nouveau le pape François peut-il apporter ? Il n’a de cesse d’invoquer la culture de la rencontre, du dialogue, mais aussi d’appeler à davantage d’unité. Ces thèmes seront-ils présents dans son discours le 20 septembre ?
Je ne peux imaginer ce que le pape François dira. Nous l’écoutons tous les jours et connaissons ses thèmes de prédilection. Il les répétera: le besoin d’abattre les murs, de reconstruire des ponts, d’ouvrir les cœur, de ne pas se juger à distance mais de se connaître entre différentes cultures et horizons, tout cela dans un accueil réciproque, en isolant les tranches extrémistes et fondamentalistes qui vont jusqu’à la terreur. Espérons que la parole du pape François donnera de la valeur ajoutée et nous aidera à croire à la perspective de paix.
Le 20 septembre, les différentes communautés religieuses auront des moments de prière, chacune dans des lieux distincts. «Il ne s’agit pas de faire une salade d’expériences religieuses» ni de «syncrétisme fondé sur le relativisme», avez-vous expliqué récemment…
Oui, cette rencontre entre les différentes expériences religieuses ne doit pas se faire au détriment de nos identités. Chaque expérience religieuse a son contenu, ses fondements, sa ligne. Pour nous chrétiens, notre foi est centrée sur Jésus et l’Evangile. La rencontre avec d’autres religions ne veut pas dire renier ce en quoi on croit, mais créer des ponts d’unité qui vont au-delà des différences. Il y a 50 ans, la déclaration conciliaire Nostra Aetate a souligné qu’il y avait beaucoup de points communs entre les religions, que d’autres étaient plus spécifiques, et d’autres encore, irréconciliables. Il s’agit de chercher les points communs sans renier sa propre identité. C’est l’esprit d’Assise tel que l’avait présenté Jean-Paul II.
Un des défis majeurs actuels est le terrorisme islamique. Deux débats, durant la Rencontre interreligieuse d’Assise, sont dédiés au terrorisme au nom de Dieu, et au dialogue islamo-chrétien. Aujourd’hui, ce dialogue est-il plus que jamais nécessaire ?
J’invite à penser qu’il ne s’agit pas d’un problème de l’islam, mais de personnes dérangées, à l’intérieur de cette religion. Des problèmes analogues peuvent se créer ailleurs. Dans le catholicisme aussi, certains groupes ne vont pas dans la direction d’un comportement pacifique. Les communautés religieuses doivent faire leur discernement en distinguant ce qui est authentique, et ce qui constitue une trahison de la perspective de leur foi. Assise est un non décisif à la culture de la guerre, de l’intolérance au terrorisme, un oui à la culture de la tolérance et de la paix.
Peut-on pour autant mettre sur le même plan des actions terroristes présentées au nom de l’islam, avec ces groupes catholiques que vous évoquez ?
Sur le même plan, actuellement, non. Il existe à l’intérieur de la religion catholique des formes de radicalisation très fortes, mais notre histoire est longue de plusieurs millénaires et comme l’a rappelé Benoît XVI (2005-2013) lors de sa visite à Assise en 2011, on a aussi connu de grandes expériences de violence au nom de notre religion. Aujourd’hui, le monde catholique n’incite pas à la violence terroriste, grâce à Dieu ! Nous avons le devoir, avec notre prière et notre engagement, d’isoler les groupes «déchaînés» et de les ouvrir toujours plus à l’Evangile, qui nous invite à l’amour de nous ennemis. Nous avons nos propres faiblesses historiques et devons essayer d’être toujours plus fidèles à l’Evangile.
Lors de son homélie pour la messe de suffrage du Père Jacques Hamel, le pape François a dit : «tuer au nom de Dieu est satanique». Est-il important que des leaders musulmans le disent à leur tour ?
Sans aucun doute. Cette Rencontre d’Assise permet d’arriver à cette prise de conscience et à un témoignage conjoint.
On a parfois reproché au pape François de ne pas parler de façon plus explicite de terrorisme «islamique». Il y a-t-il une volonté, de la part du Saint-Père, d’éviter de provoquer de nouvelles guerres de religions, et de protéger, peut-être, les chrétiens du Moyen-Orient menacés par l’Etat islamique ?
Je crois que le Saint-Père s’inquiète des généralisations dans la lecture de ces événements. Le fait qu’un épisode terroriste prenne une couleur religieuse et devienne un motif pour le généraliser à toute une aire religieuse est injuste. Il faut regarder les choses dans leur identité et les appeler avec leur nom mais il faut aussi se référer aux positions précises (de ces terroristes) dans l’aire religieuse en question. Le pape souhaite éviter que les réactions dans l’opinion publique ne portent préjudice au chemin de la rencontre et de la paix. Plus qu’une stratégie diplomatique, il s’agit plus pour moi d’une pédagogie de la rencontre. (cath.ch-apic/imedia/bl)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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