Burkina Faso: Menaces sur les relations interreligieuses

L’essor des nouvelles Eglises protestantes, qui adoptent parfois un discours intolérant à l’égard des autres religions, et le mécontentement grandissant des musulmans face à leur sous-représentativité dans l’administration menacent la coexistant pacifique entre les religions au Burkina Faso, estime l’organisation International Crisis Group (ICG).

Le Burkina Faso est une exception parmi les pays sahéliens, en raison de sa grande diversité religieuse et de la tolérance qui y règne. S’il reste solide, le modèle burkinabè de coexistence religieuse connait pourtant des tiraillements, estime un rapport de l’international Crisis Group (www.crisisgroup.org/fr).  Du fait de la porosité des frontières et de la vitesse à laquelle les nouvelles Eglises protestantes implantées, notamment dans la zone côtière, véhiculent leurs idées, le pays ne peut demeurer éternellement imperméable aux évolutions qui affectent ses voisins.

Dans la région sahélienne du pays, un islam rigoriste semble gagner du terrain et des groupes armés et terroristes y sont actifs, a poursuivi le rapport. «Le décalage entre le poids démographique des musulmans (environ 60% de la population, contre 25 % de chrétiens et 15% d’animistes, selon un recensement contesté cité par le document) et leur faible représentation au sein de l’élite politique et administrative créé des crispations». L’ICG appele l’Etat burkinabé, à prendre des mesures pour « atténuer les frustrations, tout particulièrement dans le domaine de l’éducation, afin de garantir la pérennité du modèle de coexistence pacifique».

Tabou et mise en garde

Alors que le pays se remet d’une période d’instabilité liée à la chute du président Blaise Compaoré, en octobre 2014, et face à l’urgence sécuritaire et à la forte demande sociale, le pouvoir actuel pourrait être tenté d’ignorer ces crispations. Ouvrir la question sensible de la religion dans un pays où elle est un marqueur d’identité secondaire comporte des risques.

Pour ICG, le Burkina Faso n’a jamais connu de conflit civil ou de tensions liées à l’appartenance religieuse. Musulmans, chrétiens et animistes vivent ensemble dans le pays, sont voisins et se marient entre eux. Mais les attentats de groupes radicaux musulmans, en janvier 2016 à Ouagadougou, ont constitué un choc, tant pour la population que pour la classe dirigeante. Ils ont été suivis de cas isolés d’agression verbale contre des musulmans, révélant une certaine stigmatisation et une inquiétude qui n’existaient pas jusqu’ici. Les questions liées à la religion sont entourées de tabous au Burkina. La coexistence pacifique repose sur le pluralisme religieux et le caractère secondaire, généralement peu marqué, de l’identité confessionnelle.

« Propulser la question de la religion dans la sphère publique et politique comporte des risques, tant d’exacerbation des différences religieuses que d’instrumentalisation politique des identités», a relevé le rapport, pour lequel, « il est temps de lever le tabou, face à un contexte régional préoccupant et à l’émergence de certaines crispations internes».

Il est d’autant plus important de préserver l’équilibre entre les communautés, que les comportements religieux individuels connaissent des transformations, dont il est difficile de mesurer l’ampleur exacte. C’est le cas chez les musulmans, certains étant attirés par un islam rigoriste d’inspiration wahhabite. Des responsables musulmans s’inquiètent d’ailleurs de l’influence étrangère, notamment des pays du Golfe, qui, bien que difficile à mesurer, peut contribuer à un raidissement des pratiques religieuses. C’est également le cas chez les protestants, attirés par le discours des nouvelles Eglises qui prônent parfois des valeurs peu compatibles avec la tolérance.

Réformes

« Il faut toutefois prendre garde à ne pas assimiler montée de la religiosité et risque de violence», a indiqué le rapport, relevant « une distinction trop rarement soulignée dans le débat actuel sur l’extrémisme violent et la radicalisation religieuse». «Le retour à un islam plus strict n’implique pas nécessairement une plus forte propension à la violence, en témoigne l’existence de courants rigoristes quiétistes». « De même, la violence qui se réclame de la religion trouve souvent ses origines ailleurs : délinquance, appât du gain, doléances locales, ethniques ou socio-économiques».

« Les mutations des comportements religieux peuvent néanmoins être dangereuses, lorsqu’elles bouleversent les relations sociales. Le mépris ou la fermeture par rapport aux autres confessions peut entrainer un dangereux repli communautaire. Les autorités doivent prendre conscience de ce risque et s’impliquer davantage dans la régulation du discours religieux», note le rapport. (cath.ch-apic/ibc/mp)

 

Maurice Page

Portail catholique suisse

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