En présence de Mgr Roque Paloshi, archevêque de Porto Velho, en Amazonie, et président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), ainsi que de deux caciques indiens, le CIMI a présenté son nouveau rapport, jeudi 15 septembre 2016 au siège de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB), à Brasilia.
Le rapport recense dix-neuf formes de violences et violations pratiquées dans tout le pays contre les peuples natifs, tels que les assassinats, la mortalité des enfants, la non régularisation de terres indigènes, le racisme ou encore l’abus de pouvoir et le suicide.
Comme lors des éditions précédentes, le rapport donne un coup de projecteur sur les réalités auxquelles sont confrontés les peuples indigènes du Mato Grosso du Sud, particulièrement les peuples Guarani et Kaiowá, qui souffrent de violentes et fréquentes attaques de milices privées.
En 2015, comme dans les années antérieures, le CIMI souligne qu’il y a eu très peu d’avancées dans les processus de régularisation des terres indigènes. Seulement sept homologations ont ainsi été signées par la présidente Dilma Rousseff, alors que le Ministère de la justice, lui, n’a publié que trois propositions de déclaration et que la Fondation Nationale de l’Indien (Funai) n’a identifié que quatre terres indigènes.
Pourtant, comme l’indique la Constitution fédérale brésilienne adoptée en 1988, toutes les terres traditionnelles indigènes devraient avoir été démarquées depuis… 1993. Mais, d’après le recensement effectué par le Conseil Indigéniste Missionnaire, au 31 août 2016, 654 terres indigènes au Brésil attendent toujours un acte administratif de l’Etat pour pouvoir lancer leur processus de démarcation définitif. Ce nombre correspond à 58,7% du total des 1’113 terres indigènes que compte le pays.
Conséquence directe de cette absence de démarcation des terres indigènes ? Les peuples sont particulièrement touchés dans leurs droits de vivre en accord avec leur mode d’existence traditionnel. Sans oublier les conflits et les invasions de terres. Sur ce point, le rapport du CIMI révèle qu’en 2015, le Brésil a connu pas moins de 18 conflits relatifs aux droits territoriaux des peuples natifs et 53 cas d’invasions de terres pour en exploiter illégalement les ressources naturelles, causant ainsi des dommages divers et souvent irréversibles au patrimoine des peuples.
Le document souligne que ces invasions de terre ont été accompagnées de nombreuses agressions à l’encontre des personnes qui luttent pour leurs droits légitimes. Résultat ? Des assassinats, des passages à tabac, des menaces de mort, notamment. Autre fait récurrent, le nombre inquiétant d’enfants de moins de cinq ans morts, souvent suite à des maladies pourtant facilement curables.
Ainsi, en 2015, d’après les chiffres officiels fournis notamment par le Secrétariat Spécial de Santé des Indigènes (SESAI), 137 indigènes ont été assassinés dans tout le pays, dont 36 pour le seul Etat du Mato Grosso du Sud, le plus touché du pays. A ces homicides, il convient de rajouter 31 tentatives d’assassinat, 18 homicides involontaires, 12 plaintes pour menaces de mort, 25 cas de menaces diverses, 12 cas de blessures graves, 8 abus de pouvoir, 13 cas de racisme et 9 plaintes déposées pour violences sexuelles.
Le rapport indique également que 87 cas de suicide ont été enregistrés en 2015 dans le pays, dont 45, encore et toujours dans l’Etat du Mato Grosso du Sud, en particulier au sein des peuples Guarani et Kaiowá. Au total, entre 2000 et 2015, le CIMI indique que 752 cas de suicides ont été enregistrés dans cette région. Plus inquiétant encore, le rapport révèle qu’en 2015, dans l’Etat du Mato Grosso du Sud, 61% des personnes qui se sont suicidées étaient âgées de… 10 à 19 ans !
Le CIMI évoque d’ailleurs une récente étude conjointe du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (Unicef) et du Groupe International de Travail pour les Questions Indigènes (Iwgia) sur les Guarani et les Kaiowá. «Ces jeunes indigènes portent en eux un traumatisme humanitaire rempli d’histoires contées par leurs parents, des histoires d’exploitation, de violence, de mort, de perte de dignité, bref de l’ensemble des faits qui ont construit l’histoire récente de nombreux peuples indigènes. Des histoires chargées de traumatismes, emprisonnées dans un présent de frustrations et d’impuissance».
Derniers chiffres alarmants, ceux de la mortalité infantile. En s’appuyant sur la loi d’accès à l’information, le CIMI a en effet obtenu de la part des organismes concernés des informations sur la mortalité infantile indigène. Et les chiffres sont glaçants. «599 enfant de moins de cinq ans sont morts en 2015 dans tout le pays, dont 349 au nord du pays».
Et encore les chiffres ne sont que partiels puisqu’il manque les résultats d’Etats comme Bahia où se trouve une importante communauté d’indiens Pataxos. Les trois principales causes de mortalité infantile sont: la pneumonie, la diarrhée et la gastroentérite d’origine infectieuse. Autant de maladies parfaitement curables.
Face à ces violences, les auteurs du rapport ont invité plus que jamais les pouvoirs publics à assumer leurs responsabilités à l’égard des peuples indigènes. Mais, lucide, ce service social de l’Eglise estime que la tâche est rude. D’autant que bat son plein «l’offensive contre les droits des indigènes» lancée par les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), une opération dans laquelle le groupe parlementaire ‘Bancada Ruralista’ (regroupant des parlementaires liés à l’agrobusiness) joue un rôle très actif. L’absence de démarcation des terres est de la même manière «directement responsable de ce contexte de violence sévère que subissent les peuples indigènes du Brésil».
En concluant cette présentation du rapport sur la «Violence contre les peuples indigènes au Brésil – Données 2015», Mgr Roque Paloshi, président du Conseil Indigéniste Missionnaire, s’est indigné de constater que «se répètent et s’approfondissent les mêmes pratiques criminelles sans que des mesures ne soient effectivement adoptées». Et de questionner: «Jusqu’à quand devrons-nous présenter ces rapports ?» (cath.ch-apic/jcg/be)
Jacques Berset
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