Maurice Page, Agence APIC
Einsiedeln: la splendeur princière d’une abbaye (080792)
La gestion complexe d’un patrimoine millénaire
Fribourg, 8juillet(APIC) 130 employés, 2400 hectares de propriétés,
500’000 visiteurs par an, 69,5 millions de francs d’investissement depuis
une vingtaine d’années. Ces chiffres bruts ne concernent pas une quelconque
entreprise du pays, mais la plus grande abbaye de Suisse: Einsiedeln. Une
image de grande richesse, due principalement à la magnificence de l’église,
mais aussi à certaines fables, colle au monastère bénédictin. De fait, la
gestion de son patrimoine, hérité d’une histoire millénaire, n’est pas une
tâche facile pour l’abbaye. Pour la première fois cette année, les responsables du monastère ont ouvert au public une partie des comptes. L’agence
APIC a voulu connaître les bases économiques de ce haut-lieu de la vie de
l’Eglise en Suisse.
Le visiteur qui arrive à Einsiedeln est toujours impresssionné, après
avoir traversé une petite cité sans caractère, par la masse de l’abbaye qui
domine la grand-place semi-circulaire. A l’intérieur du monastère on a la
même impression en suivant le Père Markus jusqu’à son bureau. Le long des
vastes couloirs aux stucs très sobres et au dallage de brique rouge s’alignent les cellules des moines. Le bureau est composé d’un vaste salon boisé
dont un superbe secrétaire marqueté constitue la plus belle pièce de mobilier. Dans l’antichambre, la table de travail, le téléphone, l’ordinateur,
et les classeurs occupent presque tout l’espace. Derrière encore, la chambre à coucher.
Une organisation régie par la règle de saint Benoît
Le Père Markus, qui vient de terminer son enseignement au collège, détaille avec précision l’organisation de l’abbaye et sa situation économique. La communauté compte actuellement 112 membres y compris 4 novices,
auxquels s’ajoutent deux candidats. 25 moines environ résident à l’extérieur du monastère. Selon la règle de saint Benoît, c’est le chapitre l’assemblée générale des moines – qui prend les grandes décisions et qui
élit l’Abbé, en principe à vie. L’Abbé, Mgr Georg Holzherr depuis 1969,
tranche toutes les questions de personel et distribue les tâches à tous les
membres de la communauté. Le doyen, appelé aussi prieur, en l’occurence le
Père Markus, est son représentant. Il est surtout responsable de l’organisation interne et de l’administration. Le père cellerier est chargé de
l’accueil des hôtes et de l’approvisionnement du monastère. Le procureur
s’occupe de l’administration des bâtiments et des activités. Il supervise
la ferme, l’exploitation forestière et les divers ateliers du monastère. Le
collège enfin est sous l’autorité du recteur.
Le Concilium ou conseil, formé des divers responsables du monastère, de
Frères et de Pères élus dans la communauté, entoure l’abbé dans ses décisions. Diverses commissions s’occupent de questions particulières: bâtiments, finances etc.
Chaque secteur de l’abbaye dispose d’une certaine autonomie financière
et s’administre lui-même. La commission des finances et le Concilium s’occupent de la gestion et des comptes d’ensemble. Un des frères est comptable
central; il est conseillé par deux experts extérieurs au couvent. La communauté peut compter encore sur le soutien de l’Association des amis de
l’abbaye qui a pour but d’aider le monastère dans la recherche de moyens
financiers, en mettant à disposition des spécialistes des questions financières, ou en prenant en charge des projets concrets, comme la rénovation
de l’orgue de la chapelle des étudiants, ou prochainement la réfection de
la bibliothèque.
La discussion est interrompue sur le coup de midi pour se rendre à l’office. Du haut de la galerie du choeur, les hôtes dominent les moines alignés dans les stalles. La surchage du décor baroque et les ors brillant au
soleil distraient le visiteur, mais ne troublent pas la sérénité des lieux.
Le repas en silence suit dans l’immense réfectoire. Il est rythmé par la
lecture, sur un ton monocorde, de la Bible, de la règle et d’un ouvrage sur
le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique. Après le café, un luxe
que les moines ne s’offrent pas tous les jours, la discussion reprend sur
la situation financière du monastère.
Le revenu principal: l’activité des moines
«Ora et labora» (prie et travaille), telle est la devise des bénédictins. En bonne logique, les revenus financiers de l’abbaye sont constitués
en grande partie par le travail des pères et des frères, principalement les
salaires des curés ou d’autres moines actifs à l’extérieur, aumôniers, prédicateurs, professeurs. (882’000 francs de bonus en 1991). Les subventions
publiques pour les rénovations, mais aussi pour l’agriculture et le collège, forment la seconde part. La troisième part est constitué par les dons
liés à la restauration de l’église ou libres (474’000 francs). Les revenus
des valeurs boursières et les intérêts bancaires ont rapporté 285’000
francs en 1991. Il y a aussi les fermages, les locations et les activités
des divers ateliers (248’000 francs) mais ces revenus tendent à se réduire.
Autrefois, le couvent tirait l’essentiel de ses ressources de ses propriétés foncières et de ses biens. Mais aujourd’hui, l’agriculture est plutôt
une charge qu’un revenu. La situation est semblable pour la forêt. Les prix
sont actuellement très bas. Le monastère cherche à utiliser lui-même le
bois et a investi 13,7 millions de francs dans la reconstruction de la
scierie et dans une centrale de chauffage au bois.
130 employés: le deuxième employeur de la commune
Avec ses 130 employés, l’abbaye est le deuxième employeur de la commune
d’Einsiedeln, après Landis & Gyr. Il faut y ajouter les 28 fermiers. Un
nombre important des employés travaille à la forêt. Le collège emploie 18
professeurs laïcs. Les autres membres du personnel sont occupés dans
l’agriculture, dans les divers ateliers, à l’entretien ainsi qu’à la cuisine. Les charges de personnels sont ainsi la principale dépense de l’abbaye.
Des propriétés dans plusieurs cantons et en Autriche
Le Père Markus sort un instant du bureau; il revient avec une carte
qu’il déplie sur la table. En de larges taches jaunes pour les terres agricoles, vertes pour les forêts et bleues pour les lacs, elle représente les
propriétés de l’abbaye. En tout 2’400 hectares: 1119 de forêts, 857 de terres et 350 de lac. Les taches les plus grandes se trouvent dans la région
même d’Einsiedeln. Le vin que nous avons bu à midi vient du domaine du
Leutschen sur les bords du lac de Zurich où se trouvent d’autres propriétés
du monastère avec 350 hectares d’eau qui sont affermés à des pêcheurs professionnels et la petite île d’Ufenau, où les promeneurs aiment à passer le
dimanche après-midi. Dans le canton de Zurich, 36 ha de forêts et 57 ha de
terres appartiennent à l’abbaye, mais il n’y a pas d’immeuble à la Bahnhofstrasse comme certains l’imaginent, précise le doyen. Le couvent de bénédictines de Fahr, dans le canton d’Argovie, est une autre petite tache
sur la carte des propriétés monastiques: «les hasards de l’histoire». En
Thurgovie, l’abbaye possède le Sonnenberg qui comprend un vignoble et un
hôtel-restaurant. En Autriche enfin, l’abbaye possède un domaine à St-Gerold, dans le Voralberg, (20 ha de forêt, 40 ha de terres) où les bénédictins ont aussi la charge de la paroisse.
De la scierie à la reliure, de la forge à la blanchisserie
Saint Benoît avait imaginé pour ses monastères une vie très autarcique.
Les divers ateliers doivent répondre aux nécessités du couvent. Les bénédictins d’Einsiedeln ont suivi la règle. Ce n’est plus une nécessité de nos
jours, mais cela permet de substantielles économies. La scierie, la menuiserie, la forge et l’atelier mécanique, la ferblanterie-couverture, les installations sanitaires et la peinture permettent d’exécuter la majeure partie des travaux de rénovations. Il y a encore l’imprimerie et l’atelier de
reliure, sans oublier bien sûr, le jardin, la cuisine et la blanchisserie.
Ces «entreprises» paient des impôts sur leurs activités. Seuls 4 frères
sont encore employés à plein temps dans ces ateliers, le reste du personnel
est constitué d’employés laïcs. Les autres frères travaillent à l’intérieur, à la sacristie, à l’entretien, à la cuisine, à la centrale téléphonique, à l’accueil.
Une déclaration d’impôts pour chaque moine
L’abbaye d’Einsiedeln n’est pas totalement exemptée d’impôts. Si les activités d’Eglise sont libres d’impôts, l’abbaye paie par contre des impôts
sur la fortune. Selon un calcul qui ne charge pas trop les finances, admet
le Père Markus. Pour l’impôt sur le revenu, le comptable doit remplir une
déclaration d’impôts pour chaque religieux! Les moines qui ont un salaire
personnel paient des impôts comme tout le monde. Pour les moines qui sont
au couvent et qui n’ont pas de salaire personnel, par exemple les professeurs, on calcule un salaire «en nature» selon le barême officiel et on
paie des impôts sur ce montant. Pour l’AVS, c’est également ce salaire en
nature qui est pris en considération. A 65 ans, les religieux ont ainsi
droit à la rente minimale. Actuellement les cotisations AVS et les rentes
s’équilibrent.
Avec 5,5 millions de francs de dette, il faut reconnaître, admet le Père
Markus, que la situation financière de l’abbaye est encore assez saine.
Mais les 69,5 millions d’investissements de ces 15 dernières années, 28
millions pour l’église et 41,5 millions pour le reste, ont épongé pratiquement toutes les réserves du monastère, qui a été obligé d’effectuer quelques ventes. La vente prochaine de l’école d’agriculture de Pfäffikon à
l’Etat de Schwyz pour un montant 18 millions permettra d’éponger la dette
et de constituer quelques réserves pour les investissements futurs, surtout
pour la rénovation des communs du monastère. (apic/mp)
Encadré
28 millions pour la restauration de l’église
Des travaux payés par les fidèles
Depuis 1975, 28 millions de francs ont été investis dans la restauration de
l’église d’Einsiedeln. Un principe établi dès le départ veut que la restauration ne pèse pas sur les finances du monastère, explique le Père Matthäus, responsable des travaux. Les subventions couvrent environ 55% des
dépenses. La Confédération alloue 31% de subventions; le canton de Schwyz
est tenu de donner les deux tiers de la part fédérale, soit 20% enfin le
district d’Einsiedeln accorde un subside de 4,5%. La part restante, soit
entre 40 et 50%, est couverte par les dons des fidèles et des pèlerins.
On peut dire finalement que ce sont les fidèles qui ont restauré l’église comme elle a d’ailleurs été construite et entretenue, souligne non sans
une certaine fierté, le Père Matthäus. Chaque année un plan de travail est
établi en tenant compte des sommes disponibles. L’avancement des travaux
est donc en lien direct avec les moyens financiers à disposition.
Deux causes ont rendu nécessaire la restauration. L’humidité avait, depuis deux siècles, causé de sérieux dégâts. D’importants travaux d’assainissement ont été nécessaires pour abaisser le niveau de l’humidité. Le
deuxième problème était la stabilité et la statique de l’église, la sécurité des voûtes n’étant plus suffisante. Ces travaux ont également permis la
construction d’une basilique souterraine où les pèlerins peuvent se reccueillir, et d’un abri pour le trésor.
Les travaux ont débuté en 1975, aujourd’hui les décors du choeur et de
la nef resplendissent à nouveau, seul l’octogone entourant la sainte chapelle est encore prisonnier des échafaudages. En 1991, le Père Matthäus a
comptabilisé 35’000 h de travail. Cela représente une moyenne de 15 a 20
collaborateurs en permanence. A côté de la restauration, il faut prévoir
aussi tous les cinq ans un nettoyage pour éviter que la poussière ne s’incruste sur les parties déjà restaurées. C’est sur un espoir que le Père
Matthäus conclut: terminer la restauration d’ici l’an 2000.(apic/mp)
Encadré
Un collège qui pèse lourd sur les finances
La plus grosse charge financière pour l’abbaye d’Einsiedeln est sans conteste le Collège. Depuis une dizaine d’années les investissements, se sont
montés à près de 10 millions de francs que les revenus d’un peu plus de 3
millions de francs pour la même période ne parviennent en aucun cas à couvrir. En 1991, le découvert atteint 1,5 million de francs. Face à une augmentation constante des coûts, l’abbaye compte sur un soutien accru de
l’Etat de Schwyz et de la région d’Einsiedeln.
Le collège est considéré comme une école privée. Il reçoit une subvention du canton et de la région de 8’000 francs par an et par élève pour les
gymnasiens et de 4’000 francs par élève pour le cycle d’orientation (école
obligatoire). Pour les élèves étrangers au canton, on a introduit à partir
de cette année un écolage à trois tarifs: 6’000 francs pour le tarif social, 9’000 pour le tarif normal et 12’000 pour le tarif de soutien. A cela, les internes doivent encore ajouter 6’000 francs pour la pension.
Le collège a fait de gros investissements depuis une dizaine d’années.
Pour plus de 9 millions de francs: construction de deux halles de gymm,
salles de chimie, de biologie et de dessin, restauration de la salle de
théatre. La rénovation des salles de classes attendra qu’on ait trouvé de
nouveaux fonds.
Le collège compte actuellement 335 élèves, dont 122 filles (le Collège
est mixte depuis 1970 déjà) répartis en 15 classes sur 7 niveaux. 93 sont
internes 242 sont externes. 199 proviennent du canton de Schwyz, 136 d’autres cantons et de l’étranger. 24 Pères et 18 laïcs forment le corps des
enseignants. Les pères qui enseignent au collège ne reçoivent pas de salaire personnel et l’abbaye ne reçoit pas de loyer pour la mise à disposition
des bâtiments.
A cause de la situation financière, le maintien à long terme du collège
n’est actuellement pas assuré. On espère une aide accrue de l’Etat et de la
région et un groupe de parents s’est formé pour venir en aide au collège.
(apic/mp)
Encadré
Einsiedeln: 500’000 visiteurs par an
Avec 500’000 visiteurs par an, 116’558 nuitées en 1991, l’impact du pèlerinage d’Einsiedeln sur l’économie locale est très important. Cette cité de
6’000 habitants compte 19 hôtels et un millier de lits pour coucher le pèlerin et pas moins de 66 restaurants pour le nourrir. Tout n’est pas rose
pourtant dans la cité schwyzoise. Depuis vingt ans, le nombre de nuitées
annuelles a chuté de près de 40%, même si le nombre des visiteurs tend à
progresser. Pour le père Othmar, directeur du pèlerinage, il s’agit là
d’une évolution inéluctable liée à la motorisation croissante.
Le chiffre de 500’000 visiteurs ne résulte pas d’une statistique, comme
cela se fait dans d’autres lieux de pèlerinage, il s’agit d’une estimation,
précise le Père Othmar. Ces visiteurs se divisent en trois catégories:
100’000 sont de véritables pèlerins, 100’000 sont des simples touristes et
300’000 sont pèlerins et touristes. En 1991, 952 groupes se sont annoncés
au bureau du pèlerinage. La plus grande part des pèlerins est actuellement
celle des pèlerins d’un jour qui arrivent par la route et ne dorment pas
dans la région. Cette évolution due au développement des liaisons routières
est très nette depuis une vingtaine d’années. Peu de Suisses passent la
nuit à Einsiedeln par exemple. Entre 1970 et 1980 l’hôtellerie locale a enregistré une moyenne de 175’571 nuitées annuelles. Pour la décennie suivante, ce chiffre n’était plus que de 132’062 nuitées. Quelques hôtels ont
d’ailleurs fermé leur portes. Einsiedeln continue cependant à se maintenir
dans la bonne moyenne de l’hôtellerie suisse.
La Suisse dans son ensemble est le premier pays d’origine des visiteurs.
Le Tyrol, le Voralberg, l’Allemagne du Sud et le nord de l’Italie sont les
lieux de provenance traditionnels, de même que l’Alsace-Lorraine. Einsiedeln est aussi un pèlerinage d’étape pour les gens qui se rendent à Lourdes, à Rome ou parfois à St-Jacques de Compostelle. Les simples touristes
sont surtout des Japonais et des Américains pour qui Einsiedeln est une
étape dans un tour de Suisse ou d’Europe.(apic/mp)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’agence CIRIC Ch.
des Clochetons 8, 1000 Lausanne 7 tél. 021/25 28 29
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