Luc, en rapportant ces paroles de Jésus, pensait aux chrétiens de sa génération. Beaucoup d’entre eux avaient fait un choix radical en devenant chrétiens. Le jeune juif devenu chrétien avait sans doute été rejeté par sa propre famille comme un hérétique. Le jeune païen avait dû rompre, non seulement avec sa famille, mais avec tout son environnement social et culturel. Et ces ruptures étaient sans doute très douloureuses. Elles pouvaient entraîner, non seulement un rejet de la part de l’entourage, mais peut-être la ruine, et parfois la mort. Certains, sans doute, avaient reculé et parfois même renié leur foi. Il n’était donc pas inutile de rappeler fortement la mise en garde du Christ : « Attention, marcher avec moi, cela exige des choix difficiles. Il vaut donc mieux commencer par s’asseoir et réfléchir, avant de se lancer dans l’aventure ».
Un exemple : c’est le cas de Philémon, le destinataire de la lettre de Paul que nous lisons aujourd’hui. Paul lui renvoie, avec un petit billet, l’un de ses esclaves, Onésime, qui s’était enfui. Dans la bonne société à laquelle appartient Philémon, l’esclave c’est, comme disait Aristote, « un instrument ambulant ». Un objet dont on peut disposer à sa guise. Or, Paul demande au maître d’accueillir l’esclave fugitif comme un frère bien-aimé ! Vous pouvez imaginer ce qu’il a dû en coûter à Philémon pour se faire à l’idée que ses esclaves étaient des frères ! A la racine de ces nouveaux comportements, il ne peut y avoir qu’une foi très vive en ce Jésus mort et ressuscité en qui les nouveaux chrétiens ont placé toute leur confiance.
«Passer de la religion à la foi»
Et nous, gens des vieilles chrétientés ? Nous qui avons été élevés dans une religion qui s’est transmise de générations et générations. Nous qui pratiquons cette religion du mieux que nous le pouvons ? C’est à nous que, ce matin, le Christ s’adresse. Et qu’est-ce qu’il nous demande ? De passer de la religion à la foi. C’est-à-dire, d’une religion de tradition à une démarche personnelle : l’adhésion à Jésus-Christ. Et pour cela, de nous asseoir, de réfléchir, de voir si nous sommes prêts à payer le prix, à opérer les ruptures nécessaires. Reconnaissons que ce choix, nous ne le faisons jamais franchement. Renoncer à tout pour le Christ ? Le préférer à tout ? Nous avons peur de perdre, de nous perdre. Et cela parce que nous ne faisons pas assez confiance à Dieu, à sa parole.
Au fond, nous confondons croire et réciter le Credo. Mais croire, c’est engager sa vie. C’est déplacer la confiance : au lieu de faire confiance, en priorité, à ce que nous avons, à ce que nous sommes, à nos relations, faire d’abord confiance à Dieu. Au fond, le Christ nous invite à la rencontre, et la première question qu’il faut nous poser est celle-ci : « Est-ce que, pour moi, le Christ est une personne qui compte dans ma vie ? »
Nous avons de la chance : nous vivons à une époque où le christianisme de tradition n’est plus guère possible. Et même si, souvent encore, on naît chrétien, la vie et l’environnement social se chargent bien de nous amener à choisir d’être chrétien ou de ne pas l’être, de vivre en chrétiens ou de vivre comme tout le monde. Nous ne sommes plus portés par un environnement chrétien.
23ème dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques: Sagesse 9, 13-19; Psaume 89; Philémon 9b-10.12-17; Luc 14, 25-33