Si le nom d’Antoine Poidebard est quasiment tombé dans l’oubli, ce missionnaire jésuite, né à Lyon en 1878 et décédé à Beyrouth en 1955, a pourtant marqué la première moitié du 20e siècle par son rôle de pionnier de l’archéologie aérienne et sous-marine. Le Laténium de Hauterive (NE) lui rend hommage en présentant une soixantaine de ses clichés originaux.
Jusqu’en 1932, les documents photographiques réalisés par cet infatigable explorateur à bord de biplaces de l’armée française ont permis d’exhumer une partie du passé antique du Proche-Orient. «C’est toute la région des confins désertiques de la Syrie, du Safa et du Leja au sud jusqu’à l’Euphrate, sur 700 km de long et une profondeur de 100 à 200 km, qui a été explorée par les reconnaissances aériennes d’Antoine Poidebard», écrit l’archéologue libanais Lévon Nordiguian.
Ce patrimoine culturel, dont la valeur artistique éclate aux yeux à l’heure où la folie destructrice de l’Etat islamique s’est abattue sur Palmyre, reprend vie au Laténium jusqu’au 8 janvier 2017 dans une exposition intitulée «Archives des sables, de Palmyre à Carthage».
Fortin romain de Beriaraca, ancien camp légionnaire d’Oryza à Tayibeh (Syrie), peloton de méharistes dans la steppe syrienne, scaphandrier en quête des traces de l’ancien port de Tyr au Liban: les photos d’Antoine Poidebard fascinent par leur valeur historique et leur puissance poétique.
Le parc et musée d’archéologie de Hauterive, près de Neuchâtel, présente, dans une scénographie dépouillée, une soixantaine de tirages originaux, des toiles imprimées, des reproductions photographiques, ainsi que des documents scientifiques inédits. Ceux-ci proviennent des collections de la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, qui abrite une photothèque de 70’000 clichés, que l’on doit pour la plupart à des pères jésuites.
«La Compagnie de Jésus cultive l’esprit scientifique, l’exigence de rigueur, deux dimensions que l’on retrouve dans l’œuvre photographique d’Antoine Poidebard. A l’instar de la plupart des représentants de cet ordre, le Père était libre de ses initiatives, ce qui lui a permis de faire œuvre de pionnier, de se lancer dans entreprises audacieuses, parfois folles, mais il n’a jamais agi en dilettante. Son apport est avant tout méthodologique. Il a introduit une extrême précision dans les procédures, une très grande discipline dans l’exécution, démarches héritées de son éducation jésuite», explique Marc-Antoine Kaeser. Le commissaire de l’exposition et directeur du Laténium poursuit: «Les religieux, il faut le rappeler, ont joué un rôle majeur dans le domaine de l’archéologie. Il suffit d’évoquer l’abbé Breuil, surnommé le pape de la préhistoire, ou Pierre Teilhard de Chardin, lui-même jésuite.»
Habité par l’esprit de découverte, sensible, comme tous les jésuites, aux sciences et à la modernité, le Lyonnais était également un humaniste. Celui que l’on a comparé à un héros de Hugo Pratt assoiffé d’aventures a également réalisé toute une série de photos d’inspiration ethnographique, présentées elles aussi au Laténium.
«Antoine Poidebard était extrêmement curieux et doté d’un talent d’observation qu’il a développé chez les jésuites. Il s’est ainsi intéressé à la mosaïque culturelle et ethnique de l’Asie Mineure, notamment aux Arméniens, aux Tcherkesses et aux Turcomans», souligne Marc-Antoine Kaeser, qui précise que pour les jésuites la mission évangélisatrice s’accompagne toujours de la nécessité d’aller à la rencontre des autres cultures, de les comprendre, d’où l’importance de la photo.
Entre 1904 et 1907, quand il accomplit sa formation dans la mission jésuite dite de Petite Arménie à Tokat, dans l’Empire ottoman (aujourd’hui la ville est située en Turquie), et dès 1924, quand il s’installe à Beyrouth, Antoine Poidebard n’aura de cesse d’immortaliser les us et coutumes des populations d’Orient qu’il rencontre au gré de son engagement apostolique et de ses explorations.
Au-delà de son apport immense à l’archéologie aérienne et à la connaissance de l’héritage romain du Proche-Orient, le père jésuite, qui avait œuvré comme infirmier-aumônier pendant la Grande Guerre, restera dans l’histoire comme celui qui a porté secours aux survivants du génocide arménien. Dans les années 1920, la mission de Petite Arménie, repliée au Liban, met en place pour les réfugiés arméniens d’Alep et de Beyrouth une école, une chapelle, un dispensaire, un ouvroir et un bureau de placement des travailleurs, ces trois derniers étant dirigés par Antoine Poidebard.(cath.ch-apic/eda/mp)
Maurice Page
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