Brésil: «Anapu, c’est le Far West!»

Malgré les menaces de mort, le Père Amaro, curé d’Anapu, une petite ville située dans l’Etat du Para, au cœur de l’Amazonie brésilienne, se mobilise depuis des mois contre les violences et le climat d’insécurité qui règne dans la ville. Entretien.

Onze ans après la mort de Sœur Dorothy Stang, une religieuse américaine, (tuée le 12 février 2005, à la demande de grands propriétaires terriens, ndlr), Anapu est de nouveau secouée par une vague de violence sans précédent. Homicides, vols, agressions, augmentation de la délinquance… Sept personnes sont mortes depuis juillet 2015. Et les habitants ne comptent plus les vols avec violence et les actes de délinquance commis de nuit comme de jour. De quoi entretenir un climat particulièrement lourd dans cette commune de quelques 20’000 habitants traversée par la fameuse route transamazonienne.

Le 6 mai dernier, les membres de l’église catholique locale et leur prêtre, le Père José Amaro, ont organisé une «Marche pour la paix» dans les rues de la ville. Avec un double objectif: exprimer le ras le bol de la population face à l’insécurité et obtenir l’organisation d’une audience publique dans les locaux du Conseil Municipal pour permettre à la population d’alerter directement les pouvoirs publics, locaux et nationaux.

Une ville «aux mains du crime organisé»

La réunion s’est tenue le 24 août dernier et a rassemblé plusieurs centaines de personnes. Si les représentants de plusieurs services de l’État ont répondu présent à l’invitation, (Ministère de la Justice, Institut National de la Colonisation et de la Réforme Araire (INCRA), etc…, les organisateurs ont néanmoins regretté l’absence de représentant de la municipalité. Quant aux habitants d’Anapu, ils ont exprimé leur inquiétude. Certains ont déploré que «la ville soit tombée entre les mains du crime organisé et de la corruption». D’autres ont estimé que «Anapu ressemblait désormais à une ville du Far Ouest». Un sentiment que partage le Père Amaro.

En quoi la  »Marche pour la Paix» et cette audience publique, le 24 août, étaient importantes pour la population d’Anapu?

Ces deux événements étaient destinés à exprimer la vive préoccupation de la population. Face à la vague de crimes et de vols qui touche notre commune et ses environs, elle réclame la paix et la sécurité et plus simplement, le droit d’aller et venir sans avoir à craindre la violence.

Il est important de rappeler que si la plupart des homicides ont été perpétrés sur des petits paysans qui vivaient dans le Projet de Développement Durable «PDS Esperança», (créé en 2003 par Sœur Dorothy, ndlr), les violences existent désormais aussi dans le centre urbain, jusqu’alors exempt de problèmes. Le pire: ceux qui commettent ces actes circulent librement, au vu et au su de la population. C’est donc un désir de justice et la volonté d’en finir avec le climat d’impunité que les habitants d’Anapu sont venus exprimer aux représentants des pouvoirs publics. Le peuple a revendiqué ses droits, notamment à la sécurité.

Pour le monde entier, Anapu est associée à la mort de Sœur Dorothy. Onze ans plus tard, avez-vous le sentiment qu’il existe toujours un climat d’impunité dans la région?

Avant l’assassinat de Sœur Dorothy, Anapu n’existait pour ainsi dire pas sur la carte du Brésil. Mais à partir de cette date, c’est devenu «l’endroit où on a tué la religieuse». Le gouvernement a donc envoyé des troupes de l’armée et de la police fédérale, ils ont capturé les mandataires du crime et les exécutants. Certains ont été remis en liberté et, s’ils sont retournés en prison, c’est parce qu’ils ont commis d’autres crimes. Concernant l’un des mandants, Regivaldo Pereira Galvão, dit «Taradão», condamné à 30 ans de prison, est toujours libre! On peut donc se demander si la Justice fait réellement son travail. D’autant qu’aucun procès n’a été ouvert concernant les cinq paysans du PDS Esperança assassinés au cours de l’année 2015. Je déplore donc l’inefficacité globale de la Justice, même si je veux souligner qu’il existe malgré tout des personnes de bonne volonté au sein du système judiciaire.

Comment l’Église Catholique se mobilise-t-elle? Avez-vous l’appui de la Conférence Épiscopale (CNBB)?

L’Église catholique se tient au côté des plus démunis à travers les Communautés Ecclésiales de Base (CEB) et des mouvements et associations de travailleurs ruraux. Il faut souligner également la présence des Églises évangéliques. Elles répondent favorablement aux différentes sollicitations et invitations que nous pouvons leur transmettre, comme cela a été le cas lors de la «Marche pour la Paix» et pour l’audience publique.

Nous n’avons pas reçu à ce jour de soutien officiel de la CNBB pour la mobilisation à Anapu, ni directement, ni à travers les évêques de la Prélature du Xingu, Mgr Erwin Kräutler et Mgr João Muniz.

Êtes-vous toujours menacé de mort?

Oui, mais je ne suis pas le seul! Aujourd’hui, les menaces sont nombreuses et visent autant les paysans du PDS Esperança que les membres de l’équipe de la Commission Pastorale d’Anapu. Parmi elles figurent aussi les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame-de-Namur, dont une travaillait déjà avec Soeur Dorothy. (cath.ch-apic/jcg)

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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