A 78 ans, l’infatigable lutteur se bat toujours pour la cause des populations des Monts Nouba, cette région montagneuse du Kordofan du Sud, où les peuplades noires résistent les armes à la main à l’arabisation et à l’islamisation que tente d’imposer le régime de Khartoum. Il déplore également l’avidité des «élites» qui se déchirent à Juba, la capitale du Soudan du Sud.
Cinq ans après les festivités du 9 juillet 2011 pour la fête de son indépendance chèrement conquise, le Soudan du Sud déchante. Le pays est dévasté par la guerre fratricide qui a éclaté en décembre 2013 entre les partisans du président Salva Kiir et ceux de son ancien vice-président Riek Machar.
Selon l’ONU, près d’un million de Soudanais du Sud, essentiellement des femmes et des enfants, ont fui la guerre civile vers les pays voisins, où ils vivent dans des camps surpeuplés.
Riek Machar s’est enfui de Juba après de nouveaux heurts sanglants entre ses troupes et celles du président Salva Kiir. Ces combats ont fait au moins 300 morts dans la capitale sud-soudanaise du 8 au 11 juillet dernier. Ce regain de violence met en péril l’accord de paix signé le 26 août 2015, censé mettre fin à une lutte pour le pouvoir entre Salva Kiir et Riek Machar, qui a fait des dizaines de milliers de victimes et ruiné le pays.
Cette lutte, note Mgr Macram Max Gassis, s’est transformée en une guerre tribale, entre l’ethnie des Dinkas, de Salva Kiir, un catholique, et celle des Nouers, de Riek Machar, qui appartient à l’Eglise évangélique presbytérienne du Soudan du Sud. L’évêque constate que pour beaucoup, qui voyaient le Soudan du Sud comme une «terre promise», notamment en raison de ses ressources pétrolières et minérales, la désillusion est grande.
«Tant que subsistera le cancer du tribalisme et de la corruption, l’Afrique n’aura jamais la paix et ne pourra pas se développer!», lâche-t-il amer. L'»évêque des Monts Nouba» était de passage en Suisse du 11 au 16 août à l’invitation de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
«Au Soudan du Sud, des ministres, des secrétaires d’Etat, des directeurs, envoient leurs femmes aux Etats-Unis, en Europe ou en Australie. Leurs enfants étudient à l’étranger, tandis qu’il y a tant de villages vidés de leur population, de terres laissées en friche, d’écoles ou de cliniques bombardées…». A l’instar de ses confrères, l’évêque émérite d’El Obeid entrevoit pourtant des signes d’espoir, comme la présence de l’Eglise dans les différentes ethnies, sans distinction. Elle travaille à la réconciliation, notamment par le biais du Conseil interreligieux pour une Initiative de Paix (ICPI) et du Conseil des Eglises du Soudan du Sud (SSCC).
«A Anet, près de la ville d’Abiyé, de nombreux Nouers se rendent en territoire Dinka pour trouver de la nourriture, pour les baptêmes et les confirmations, et cela se passe bien. Ils se rendent également à l’hôpital à Turalei. Les Dinkas ne leur montrent aucune hostilité: c’est déjà un bon signe!», souligne l’évêque, qui appartient à la congrégation missionnaire des comboniens. «Ceux qui sèment la mort dans la région ne sont qu’une minorité».
Par contre, dans les Monts Nouba, les gens des montagnes, qui sont plusieurs centaines de mille, pourraient servir d’exemple au Sud. «Malgré le fait qu’ils parlent différentes langues et qu’ils appartiennent à diverses tribus, ils forment un seul groupe ethnique et le revendiquent. Ils donnent une bonne leçon d’unité dans la diversité!» Les combats sanglants – qui durent depuis 5 bonnes années dans les Etats du Nil-Bleu et du Kordofan du Sud – sont actuellement suspendus en raison de la saison des pluies.
Dans les Monts Nouba, l’armée d’Omar el-Béchir mène des attaques aériennes et terrestres contre les populations vivant dans les zones contrôlées par les rebelles, bombardant les logements, les écoles, les hôpitaux et les commerces, y compris dans les endroits éloignés de toute cible militaire.
«Le président soudanais Omar el-Béchir recrute des mercenaires au Tchad et au Niger, il cherche des armes modernes. Il a dit qu’il voulait en finir une fois pour toutes avec la rébellion des Monts Nouba et exterminer totalement la résistance. La situation est pire qu’il y a 2 ans. Omar el-Béchir a formé sept fronts disposant d’un armement moderne, mais la résistance du Mouvement Populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N) en a défait six. Ils étaient composés de bataillons de plusieurs centaines d’hommes. Les combats ont commencé après Pâques; les soldats du SPLM-N ont eu de nombreux tués et blessés. Ce n’a pas été une victoire facile…»
Actuellement, la guerre est toujours présente, même s’il y a un cessez-le-feu durant la saison des pluies, car les routes – de simples chemins boueux ou de gravier – deviennent impraticables. Les négociations entre les rebelles du SPLM-N et le gouvernement de Khartoum, qui se tiennent actuellement à Addis-Abeba, n’ont pas encore abouti et sont interrompues pour le moment.
Assiégée et bombardée par les Antonov ou les Sukhoï de l’armée de l’air soudanaise, la région est totalement isolée, les voies de communication terrestres sont coupées, les gens souffrent de la faim. «Ils bombardent des objectifs civils, des villages, l’hôpital… En mai dernier, ils ont bombardé une de nos écoles et une bibliothèque – les enfants n’étaient heureusement pas présents dans les bâtiments -, ainsi que l’Institut qui forme les enseignants à Kauda».
Mgr Macram Max Gassis tient également à dénoncer la politique «cynique» de l’Union européenne face aux migrants africains passant par le Soudan. Les médias allemands, notamment l’hebdomadaire ‘Der Spiegel’ et la télévision publique ARD, ont révélé ce printemps que le 23 mars dernier, des responsables européens se seraient entendus discrètement pour que l’Allemagne fournisse du matériel de sécurité aux garde-frontières soudanais. Ils souhaiteraient également la mise en place, au nord du Soudan, de centres de rétention pour les migrants.
Ces informations sur le «processus de Khartoum» – destiné à lutter contre le trafic d’êtres humains dans la Corne de l’Afrique, mais surtout à empêcher les migrants de rejoindre l’Europe par la mer – auraient dû rester secrètes. Elles ont certes été catégoriquement démenties par la Commission européenne, mais elles soulèvent le problème de la coopération européenne avec des pays répressifs.
«Des dictatures de la Corne de l’Afrique comme le Soudan ou l’Erythrée vont recevoir des équipements sophistiqués et d’importantes sommes d’argent – on parle de 40 millions d’euros – pour stopper l’émigration vers l’Europe de personnes venant de ces régions, de Somalie, du Congo… Nous comprenons que des gens désespérés fuient des régimes répressifs et corrompus, et cherchent à tout prix à rejoindre l’Europe. On aura beau faire, ces gens vont tout entreprendre pour s’échapper et ils finiront toujours par arriver. Il est à mes yeux totalement immoral que des nations démocratiques européennes se mettent à flirter avec des régimes qui ont tant de sang sur les mains!»
Originaire de Khartoum, Mgr Macram Max Gassis, qui aura 78 ans le 21 septembre prochain, appartient à la congrégation des missionnaires comboniens du Cœur de Jésus (MCCI). Nommé administrateur apostolique du diocèse soudanais d’El Obeid en 1983, il est devenu, en 1988, évêque de cet immense diocèse comptant quelque 100’000 catholiques dispersés sur une superficie de 889’000 km2, soit vingt et une fois la Suisse. Avec près de 10 millions d’habitants, il est le plus grand du Soudan.
Plus de la moitié de ses habitants sont musulmans, le reste étant divisé entre catholiques, protestants et fidèles des religions africaines traditionnelles. El Obeid regroupe le Kordofan, le Darfour et les Monts Nouba. Mgr Macram Max Gassis s’est retiré pour raison d’âge en octobre 2013. La situation politique l’a contraint à l’exil: il dirigeait son diocèse le plus souvent de son bureau de Nairobi, au Kenya.
Dans les Monts Nouba – que la guerre a séparés du reste du pays – la population a ses propres priorités et ne veut pas appartenir au Soudan islamiste. Dans cette région les écoles utilisent l’anglais, la zone gouvernementale utilisant l’arabe. La partition existe «de facto», mais Khartoum aimerait y mettre fin par tous les moyens. Durant la guerre, Khartoum avait essayé de tout arabiser, imposant tous les signes extérieurs en arabe, même à Juba (ou Djouba), l’actuelle capitale de la République du Sud Soudan. Dans le nouvel Etat, l’anglais est devenu également la langue de l’instruction publique. (cath.ch-apic/be)
Jacques Berset
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