Ses interventions, rares, en font un personnage d’exception. C’est dire si le discours télévisé de l’empereur du Japon Akihito, le 8 août 2016, a surpris. Celui qui a succédé à son père Hirohito en 1989 a indiqué, après 27 ans de règne, sa «difficulté à remplir [ses] fonctions en tant que symbole de l’Etat». Il n’a pas prononcé le mot abdication ou renonciation, mais a insisté sur le déclin de son état de santé à la suite de ses diverses opérations.
Tout le Japon savait Akihito, 82 ans, vieillissant et en proie à des problèmes de santé. Mais en principe, l’empereur – le tennõ ou «empereur du ciel» – reste en fonction jusqu’à sa mort. C’est ainsi qu’Akihito a succédé en 1989 à son père Hirohito, qui avait accédé au trône du Chrysanthème en 1926.
L’empereur du ciel incarne depuis la nuit des temps la continuité de la nation, en dépit des aléas de son l’histoire. C’est au 7e siècle avant Jésus-Christ que serait née la plus ancienne monarchie du monde. En l’an 660 avant notre ère, le premier empereur Jinmu Tennõ est décrit comme descendant d’Amaterasu, la déesse du Soleil, l’une des divinités fondatrices du Japon.
Depuis la succession est ininterrompue, faisant du Pays du Soleil Levant un exemple unique au monde. Pour certains idéologues nippons, le caractère unique du Japon tient à cette origine divine. Contrairement aux empereurs chinois (les «fils du ciel»), les «empereurs du ciel» nippons ont régné sans interruption.
L’image de l’empereur déifié a évolué avec Akihito
Le discours d’Akihito, début août, semble donc annoncer une ère nouvelle. Le fils aîné de l’empereur, le prince Naruhito, 56 ans, pourrait ainsi succéder à son père. Toutefois le statut de l’empereur ne rend pas la succession aussi aisée. Car dans ce le système impérial, l’empereur – bien que sans rôle politique – incarne la stabilité et la continuité. Dans la longue histoire du Japon, c’est lui le détenteur du pouvoir réel.
De fait, même tenue à l’écart de la politique, la monarchie nippone doit sa survie à sa source profondément religieuse. Lorsqu’un nouveau souverain est investi, lors d’une célébration rituelle codifiée, une nouvelle ère commence. Ce retour aux origines, par un acte de répétition, abolit le temps. C’est ainsi que l’accès au trône de Akihito en 1989 a fait passer le pays de la période Showa («Paix brillante»), celle de son père Hirohito, à la période Heisei («L’accomplissement de la paix»). Et l’actuel empereur a bien été élevé, avant la Seconde Guerre mondiale, dans ce contexte de shinto d’Etat, la religion dominante au Japon. Eduqué comme un futur «dieu vivant», il a vécu comme un être distant, isolé et sans défaut, comme le considérait à l’époque l’opinion japonaise.
Le conflit mondial de 1939-1945 a changé la donne. Si le caractère divin de l’empereur reste inscrit dans la mentalité nippone, les terribles ravages subis par le pays, la défaite mortifiante et la capitulation après les bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki ont écorné l’image divine du souverain japonais.
Les Américains imposent la démocratie aux vaincus, mais l’empereur demeure. Dans la constitution de 1947 imposée par les Etats-Unis, Hirohito renonce publiquement à sa divinité. Même s’il reste «le symbole de l’Etat et de l’unité du peuple» (article 1 de la constitution), l’empereur n’est plus le commandant suprême des forces militaires. Et le Japon battu doit renoncer à l’usage de la force.
Toutefois le costume taillé outre-Atlantique convient difficilement à Hirohito. Et ce dernier revient rapidement aux anciens rites shintos, même si le shintoïsme n’est plus la religion d’Etat. Son fils Akihito est également sorti parfois de sa réserve, notamment pour exprimer des excuses personnelles, au nom de la famille impériale, aux pays asiatiques ayant souffert pendant l’occupation japonaise.
L’image de l’empereur déifié a évolué avec Akihito. Voir ce demi-dieu s’adresser, à genoux, devant des victimes de la catastrophe de Fukushima a constitué un révélateur pour les Japonais. Le souverain est apparu comme un homme normal, loin de la distance que lui imposait son statut. Spécialiste reconnu de l’étude des poissons, mari d’une roturière, Michiko, l’empereur Akihito fait l’objet d’une véritable vénération de la part de ses compatriotes. Mais la part religieuse de cet attachement semble atténuée, sauf pour les groupes nationalistes. Le Japon pacifiste et démocratique a encore un empereur. Mais le souverain est descendu de son piédestal religieux.
L’ascendance divine de l’empereur du Japon
Akhihito représente non seulement l’Etat japonais mais il est également la plus haute autorité de la religion shinto. Le shinto – ou shintoïsme – est aussi la plus ancienne religion du pays du soleil levant. Il signifie littéralement «voie des dieux». Ses adeptes vénèrent tout autant les forces de la nature que les animaux. Par comparaison, cette croyance peut être assimilée à celle de l’animisme. La plus importante de ces divinités est le soleil. On en retrouve l’aspect symbolique dans le drapeau du pays. Le disque rouge évoque l’astre solaire et plus précisément la déesse shinto Amaterasu. Elle est considérée comme la mère des empereurs.
Cette ascendance divine de l’empereur explique qu’il soit vénéré comme un dieu vivant. Akhihito est le 125ème empereur d’une «lignée impériale» fondée par le descendant direct de la divinité solaire. Cette «lignée impériale», unique au monde et ininterrompue, selon la légende, depuis l’an 660 avant JC, a une grande valeur symbolique. L’empereur incarne donc la nation japonaise mais il personnifie aussi les aspects divins du shintoïsme.
L’empereur célèbre, par exemple, plus d’une vingtaine de cérémonies par année. Elles rendent principalement hommage aux empereurs défunts et remercient les dieux. Akhihito honore également les deux équinoxes et prie pour le bonheur du peuple japonais. Son prénom renvoie d’ailleurs aux notions de bienveillance, d’humanité et de piété. Il bénéficie en outre, comme ses prédécesseurs, du titre respectueux de «souverain céleste». (cath.ch-apic/bl/mcc/pp)
Pierre Pistoletti
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