Homélie du 7 août 2016 (Lc 12, 35-40)

Chanoine Raphaël Duchoud – Hospice du Grand-Saint-Bernard

 

 « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. » Cette exhortation du Christ à l’adresse de ses disciples peut paraître totalement ajustée dans le cadre de l’année de la miséricorde divine que nous sommes en train de vivre.

En effet, vivre la miséricorde au quotidien demande une attitude de vigilance, d’attention et d’écoute. Car, si celle-ci consiste en un sentiment par lequel la misère d’autrui touche notre cœur et qu’un cœur miséricordieux est celui qui devient sensible à toute situation de misère que traverse notre prochain, qui d’entre nous n’a-t-il jamais eu l’occasion d’avoir manqué de discerner tout de suite et de comprendre une telle situation de souffrance vécue par un proche se présentant inopinément dans son quotidien et après, le regretter de ne pas s’en être aperçu tout de suite ? Par la suite, on entend souvent cette réflexion : « Je ne m’en étais pas aperçu tout de suite. » On peut donc comprendre à quel point l’exhortation de Jésus à rester en tenue de service revêt toute son importance pour vivre au quotidien ce que l’on peut appeler «l’attitude de miséricorde».

«Vivre sa foi  nécessite un décentrement de soi-même»

Si l’on regarde le message de Jésus dans une traduction plus proche du texte grec, l’expression «restez en tenue de service» est rendue par «gardez les reins ceints» évoquant l’attitude les fils d’Israël lors de la Pâques au moment de quitter l’Egypte : être à l’œuvre dans la perspective de se mettre en voyage. Quoi de plus parlant que de vivre une démarche concrète de pèlerinage afin de se rendre compte que vivre sa foi au quotidien nécessite un décentrement de soi-même et une mise en route vers l’imprévu et l’inconnu? Le chanoine Gratien Volluz, guide de montagne, dont nous commémorons cette année le 50ème anniversaire de sa mort, nous rappelle dans sa prière du pèlerin de la montagne, la nécessité de se mettre en route pour vivre une expérience de vie.

 

Seigneur Jésus,

toi qui as fait un si long déplacement d’auprès du Père

pour venir planter ta tente parmi nous;

toi qui es né au hasard d’un voyage,

et as couru toutes les routes,

celle de l’exil, celle des pèlerinages, celle de la prédication:

tire-moi de mon égoïsme et de mon confort,

fais de moi un pèlerin.

 

Dans l’Evangile de ce jour, Jésus exhorte ses disciples à être « comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. » Attendre dans la foi. « La foi est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère » nous enseigne la lettre aux hébreux et en soi, elle est la vertu théologale qui nous pousse à une grande audace vécue dans la confiance. Pour accueillir une parole de vie, la parole de Dieu, il faut oser se risquer dans la confiance. La parole évoquée précédemment invite à être comme des gens qui attendent, qui sont en éveil, les éveillés du Seigneur. Cette attente comporte une perspective heureuse, teintée de joie : dans la petite parabole employée ici, ce n’est pas un maître autoritaire qui est attendu, mais quelqu’un qui est de bonne humeur vu qu’il est à son retour des noces.

«L’aspect de la fête de l’amour : centre de la relation Dieu-homme»

Jésus aime prendre ce symbole des noces au cœur de ses prédications afin d’exprimer l’aspect de la fête de l’amour qui se veut être le centre de la relation Dieu-homme. Dans notre passage d’évangile, afin d’inviter ses disciples à attendre leur maître dans une perspective de fête et de joie, l’image des noces apparaît comme un signe invitant à vivre le message de miséricorde dans une perspective de béatitude : « Heureux les serviteurs vigilants… ». Oui, la disposition de notre cœur est invitée à être orientée vers la venue de l’auteur de toute joie et de l’inattendu. Combien de fois, alors que nous envisageons nos projets d’une certaine manière nous sommes obligés de «modifier le tir» comme on dit et on s’aperçoit ainsi que la réalité qui se présente à nos yeux nous apporte bien plus que ce qu’on imaginait auparavant. L’inattendu de Dieu nous révèle bien autre chose que ce que nos idées et notre manière de voir laissent souvent entrevoir.

 

A l’exemple de saint Bernard,

j’ai à écouter ta parole,

j’ai à me laisser ébranler par ton amour;

sans cesse tenté de vivre tranquille,

tu me demandes de risquer ma vie,

comme Abraham, dans un acte de foi;

sans cesse tenté de m’installer,

tu me demandes de marcher en espérance

vers Toi le plus haut sommet dans la gloire du Père.

 

Risquer sa vie au service de l’amour, au service de celui qu’on aime et dont on se sait être aimé, dans un acte de foi ! C’est une aventure exigeante qui ouvre notre cœur au delà de ce qu’on peut espérer et la dynamique de la miséricorde s’inscrit dans cette marche vers l’intérieur, de la tête au cœur.

Jésus nous dit encore : « Heureux les serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. » Le comportement du maître à son retour des noces révèle cet inattendu de Dieu en décrivant le visage du Seigneur comme celui de la joie, qui ne tient pas compte de la classe sociale quand il s’agit d’exprimer et de communiquer les sentiments qui habitent le cœur. C’est la personne humaine qui l’intéresse et l’estime dont celle-ci jouit dans le cœur de Dieu provoque un renversement social inattendu et voire même scandaleux aux yeux des disciples : le maître revêt la tenue de service pour se mettre au service de ses serviteurs ; attitude qui annonce le signe du lavement des pieds que Jésus effectuera à l’égard de ses disciples le soir du Jeudi saint.

Marcher en espérance sur un chemin de miséricorde, c’est justement orienter les yeux vers Jésus, le plus haut sommet dans la gloire du Père et le contempler dans son état de Ressuscité, portant son enfant perdu et retrouvé, dans une unité de regard sur le monde avec les marques de sa Passion inscrites dans son être, signes de la miséricorde infinie puisque, mourant sur la croix, il a pris sur lui la misère et le péché du monde. Amen.


19ème dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Sagesse 18, 3; Hébreux 11, 1-2. 2-12; Luc 12, 35-40


 

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