Qu’ont en commun quatre anciens Premiers ministres, quinze membres du Conseil royal et de nombreux pontes de l’économie thaïlandaise? Ils sortent tous de l’Assumption College, dans le quartier de Bangrak, «pouponnière» des hommes de pouvoir thaïlandais depuis plus d’un siècle.
L’institution éducative, l’une des plus connues de Bangkok, est fondée en 1877 par Emile Auguste Colombet, un Père des Missions Etrangères de Paris (MEP). Le jeune curé de 28 ans, fraîchement arrivé à Bangkok de son village alpin de Gap, décide d’ouvrir une école pour les enfants qui traînent autour de l’église toute la journée. La plupart sont les enfants des ouvriers chinois pauvres qui viennent d’arriver par bateau. L’éducation publique thaïlandaise est alors indigente.
Le Père Colombet commence ses cours dans une petite maison en bois attenante à l’église et enseigne lui-même à une vingtaine d’enfants les mathématiques, le français et la géographie. Très vite, en 1879, il adjoint une section anglaise et emploie d’autres professeurs. Le succès est immédiat et fin 1885, le collège compte 130 élèves. L’établissement acquiert progressivement une réputation et commence à accueillir des enfants de familles thaïes et chinoises un peu plus fortunées. A l’origine, c’est la maîtrise des langues étrangères qui fait la différence. Les jeunes qui sortent de cette école parlent au moins thaï, anglais, français, souvent chinois. Une telle éducation se révèle être un facteur d’opportunités inestimable dans un royaume de Siam qui s’ouvre aux intérêts étrangers, au début du 20e siècle.
Lors de la période de la dictature militaire suivant la Seconde guerre mondiale, grandit à l’étranger un mouvement pro-démocratique, le Seri-Thai (Forces thaïlandaises libres) dont certains des membres les plus influents sont passés par le Collège de l’Assomption. C’est de cette mouvance que sont issus la plupart des hommes politiques arrivés au pouvoir après le soulèvement d’octobre 1973, une génération éduquée, imprégnée par les idéaux démocratiques occidentaux.
L’établissement a donc acquis au fil du temps la réputation de la meilleure école pour ceux qui veulent entrer dans les affaires, moins pour ce qu’on y apprend, que pour les relations qu’on peut s’y faire. Les directeurs de la plupart des grandes banques de Thaïlande, une douzaine de ministres des Finances, des membres des comités exécutifs des plus grandes sociétés nationales, se sont tous croisés à l’Assomption durant leurs jeunes années.
Mais si le collège est destiné aux élites, ce n’est pas tant des élites d’argent dont il s’agit, assure Gavroche: l’école s’adresse certes aux classes moyennes aisées mais pas forcément aux fils de millionnaires. Il s’agit plutôt d’une élite culturelle, morale, d’une certaine idée thaïe de la bonne société, reliée au concept politico-bouddhiste de «khon dii», les gens de bien, qui revient si souvent sur la scène politique thaïlandaise. Les valeurs de loyauté, d’honnêteté sont notamment mises en valeur par l’établissement.
Malgré une imagerie catholique omniprésente, l’école ne dispense pas d’enseignement catholique obligatoire et veille à respecter la diversité religieuse des élèves. Les rares représentants des familles chrétiennes – un peu plus néanmoins que dans la société thaïe, moins de 2 à 3 % des élèves – ont la possibilité d’aller à la messe dans l’imposante cathédrale de l’Assomption qui donne directement dans la cour de l’école. Les messes ont lieu le vendredi pour permettre aux musulmans – 1 à 2 % des élèves – d’aller à la mosquée à deux rues de là. Quant aux bouddhistes, l’écrasante majorité des étudiants, ils reçoivent chaque premier vendredi du mois la visite de moines des temples de la région. Pour l’équipe dirigeante, il s’agit de garder la spiritualité de l’école vivante, quelle que soit la religion.
Le mensuel francophone note cependant qu’un ralentissement se fait sentir actuellement dans «la production de leaders du pays», la nouvelle génération tardant à venir. La rumeur veut que le collège de l’Assomption soit désormais un peu à la traîne par rapport à ses prestigieuses consœurs, les écoles internationales. Trop traditionnelle, trop conservatrice, l’école n’aurait pas su évoluer avec son temps. Mais forte de son histoire centenaire, l’Assomption peut jouer sur différents tableaux, assure Gavroche. L’école s’est toujours enorgueillie de transmettre à ses élèves «plus que du savoir, des valeurs, un certain esprit de don» explique le Frère Dechachai, recteur de l’établissement. Ces «valeurs universelles», autant chrétiennes que bouddhistes seraient la raison essentielle pour laquelle les parents choisissent de mettre leurs enfants dans une école catholique. Fait peu commun dans les écoles privées thaïes ou internationales, des bourses existent pour les élèves brillants de milieux moins aisés, et l’école soutient ses élèves en cas de revers de fortune. (cath.ch-apic/eda/gav/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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