L’attentat terroriste qui a fait plus de 200 morts dimanche 3 juillet 2016 dans le quartier à majorité chiite de Karrada, à Bagdad, ne fait, en effet, qu’alimenter la haine et le désir de vengeance.
Dans cette ville pétrolière multiethnique du nord de l’Irak, peuplée de Turkmènes, d’Arabes et de Kurdes et convoitée par la région autonome du Kurdistan, le religieux dominicain prône la réconciliation.
«Le message de Jésus est un message de salut, il faut casser la spirale des vengeances… Il y a toujours le risque que la haine ressurgisse, quand on sait qu’à Mossoul, par exemple, ce sont les propres voisins qui ont pillé les maisons des chrétiens. Nous devons tourner la page, même si ce n’est pas dans la logique de notre société».
C’est comme nager à contre-courant, assure-t-il, mais la meilleure façon de lutter contre Daech est de changer l’état d’esprit de la population et de sortir de cette logique clanique et tribale. Kirkouk est paisible depuis un an et Daech, le soi-disant Etat islamique, est en recul: «L’espoir renaît!», martèle Mgr Thomas Mirkis, de passage en France fin juin dernier.
Dans un français parfait, ce docteur en théologie et en histoire religieuse de l’Université de Strasbourg déplore la corruption, le népotisme et le clientélisme des autorités irakiennes et le clivage chiite-sunnite, en bonne partie fomenté par des puissances extérieures.
Des 1,2 million chrétiens qui vivaient entre Tigre et Euphrate avant la première guerre menée contre l’Irak par les Etats-Unis, il n’en reste plus qu’un tiers, dont une bonne partie a pris la fuite après la prise de Mossoul en juin 2014 et de la plaine de Ninive par Daech, en août suivant. Ceux qui ne vivaient pas à Bagdad se sont réfugiés en bonne partie à Erbil-Ankawa, Dohouk ou Souleymanieh, au Kurdistan irakien, et à Kirkouk, ou bien sont partis à l’étranger.
«Certains, peut-être 50’000, vivent dans une situation très précaire à Istanbul, à Beyrouth ou en Jordanie. Ils ont actuellement très peu de chance d’émigrer en Occident, car priorité est donnée aux Syriens… Ils ne partent qu’au compte-gouttes, alors qu’en 2014, après la prise par Daech de Mossoul et la plaine de Ninive, les chrétiens étaient accueillis en Occident. Dans ces pays, on carbure à l’affectif!»
Au Kurdistan, les réfugiés ont au moins la sécurité, et ils peuvent espérer retourner chez eux un jour. «Quant à ceux qui sont arrivés en Europe occidentale ou en Amérique, ils ne vont plus jamais rentrer. Et même si la première génération est sacrifiée, en raison des problèmes de langue et de formation, leurs enfants sont scolarisés. Intégrés, ils vont faire leur vie là-bas, mais il y a de la souffrance difficile à surmonter pour les plus âgés».
Comme les chrétiens de langue arabe ne peuvent aller à l’Université au Kurdistan, à moins de maîtriser le kurde, ils vont étudier à Kirkouk. En 2013, avant l’arrivée de Daech, 3’000 étudiants de la plaine de Ninive se rendaient à l’Université de Mossoul. La plupart d’entre eux sont désormais à Erbil, où ils sont accueillis dans une ou deux facultés. Mais tous n’y ont pas accès.
«J’accueille cette année 400 étudiants à Kirkouk – 200 filles et 200 garçons -, chrétiens, musulmans sunnites et chiites, yézidis, mandéens… Ils n’y a pas de tensions interreligieuses, car nous rejetons tout prosélytisme: le Bon Samaritain n’a rien exigé en contrepartie de son aide. Tous sont reconnaissants que l’Eglise les soutienne, car la plupart n’ont pas le sou. Nous avons pour cela reçu l’appui du gouverneur et les autorités nous montrent un grand respect, car nous ne faisons aucune discrimination».
«Mais pour faire vivre tout ce monde, j’ai absolument besoin de la solidarité, car la vie est chère à Kirkouk». L’évêque chaldéen cherche des soutiens financiers extérieurs, car un étudiant lui coûte environ 7 euros par jour, tout compris. Il loge ses 400 étudiants dans 10 maisons qu’il loue 1’000 dollars par mois. Il peut le faire grâce à des soutiens qu’il reçoit de l’Œuvre d’Orient, à Paris, de la Conférence des Evêques de France (CEF) ou de l’association alsacienne «Aux porteurs de Lumière- solidarité IRAK».
Depuis le 3 décembre 2015, l’Eglise de France a mis en place un partenariat avec l’Œuvre d’Orient pour permettre à ces 400 étudiants de poursuivre leurs études dans leur langue. Ils se préparent à être médecins, pharmaciens, architectes ou ingénieurs. «Aider les futurs cadres à poursuivre leurs études, c’est essentiel pour reconstruire notre pays. En soutenant les jeunes, nous les maintenons dans le pays. S’ils viennent en Occident, faute de connaître la langue ou de faire homologuer leurs diplômes, ces universitaires ne peuvent souvent que trouver des emplois non qualifiés. S’ils restent en Irak, ils trouveront du travail en rapport avec leurs qualifications, et c’est d’abord leur pays!»
L’archevêché à Kirkouk prend en charge logement, subsistance, frais universitaires, avec une seule exigence: «réussir les études». C’est par l’ouverture culturelle de sa jeunesse que pourront s’établir le dialogue et la réconciliation entre les diverses composantes ethniques et religieuses de l’Irak.
«L’Irak, dont la jeunesse représente 60% de la population, veut un Etat démocratique, pas un Etat religieux. L’islam a été utilisé par les partis d’opposition pour mobiliser les foules contre la dictature de Saddam Hussein, mais maintenant les gens rejettent la théocratie. Ils ont vu que les religieux sont incapables de gouverner. Le gouvernement de Nouri al-Maliki a été très maladroit, et l’héritage pour l’actuel Premier ministre Haïder Al-Abadi, son successeur, est très lourd».
Les jeunes descendent dans la rue par millions, pour réclamer la démocratie, aux cris de «Dégagez! Dégagez!» Ils veulent avoir un avenir, alors que les élites au pouvoir ne sont pas prêtes au changement: «Le pays est en bonne partie démoli, il faut absolument arrêter cette descente aux enfers! Il y a plusieurs millions de réfugiés et de déplacés internes, mais le petit peuple veut ardemment l’unité».
Kirkouk, ville de plus de 1,2 un million d’habitants, a accueilli quelque 400’000 réfugiés venus de tout le pays. Ce sont des chiites, des sunnites, des yézidis, des chrétiens, venus de Mossoul, de la plaine de Ninive, de Tikrit, de Sinjar, de la province d’Al-Anbar…
«Les gens ici sont accueillants, ils ne regardent pas la provenance ou l’ethnie des réfugiés: ainsi, des chrétiens accueillent des musulmans, et l’atmosphère générale est bonne actuellement. Toutes les minorités ont le sentiment d’être écrasées, alors elles se soutiennent mutuellement. La jeunesse veut l’unification du peuple, une laïcité positive. L’ethnicisme, le tribalisme, la théocratie, c’est fini pour les jeunes. Ils savent que leur avenir ne sera construit que par les enfants du pays, pas par les étrangers. Même ceux qui ont accueilli Daech à bras ouverts ont depuis longtemps déchanté en raison des exactions de ce groupe terroriste. Tout le monde les déteste!» Mgr Thomas Mirkis espère que la ville de Mossoul sera libérée de Daech avant la fin de l’année. (cath.ch-apic/be)
Jacques Berset
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