Je ne sais pas si vous avez été attentifs à la deuxième lecture. « Femmes, soyez soumises à vos maris ». C’est un « must » de St Paul. Un thème difficile et souvent très critiqué. Une de ces phrases chocs que l’on sort volontiers de son contexte pour faire de St Paul un affreux misogyne, un antiféministe de l’antiquité, un célibataire endurci tout pétri de paternalisme viril, un précurseur du clergé rigide col-romain du 3e millénaire.
Mais réécoutons l’entier du passage car il est de grand intérêt pour la famille et le couple: « Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! Si l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle ; (…) C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme : comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même ».
En lisant les paroles de Paul avec la mentalité d’aujourd’hui, une difficulté saute immédiatement aux yeux. Paul recommande aux maris « d’aimer » leur femme (jusque là tout va bien), mais ensuite il recommande à la femme d’être « soumise » à son mari. Et là il faut bien reconnaître que là nous sommes tous un peu choqués !
Comment comprendre cette parole de Paul dans une société fortement « et à juste titre » consciente de la parité des sexes, consciente de l’égale dignité de l’homme et de la femme, il faut le dire, cette parole de Paul semble tout à fait inacceptable.
Qu’est ce que c’est « cette soumission » dont parle Paul ? L’étymologie nous renseigne que se soumettre, c’est se mettre dans un état de dépendance. La soumission, c’est ainsi une disposition à accepter la dépendance. La dépendance c’est une restriction de sa liberté, c’est reconnaître que l’on a besoin de l’autre.
En clair, celui qui est soumis, c’est celui qui renonce à sa capacité à tout gérer de façon autonome. Celui qui est soumis reconnaît le lien, l’interdépendance qu’il a avec un autre. Celui qui est soumis admet sa dépendance, i.e. celui qui renonce à se gérer de façon autonome. Celui qui est soumis, c’est celui qui vit et réalise l’interdépendance dans la relation.
Ainsi, il ne faut pas supprimer le mot « soumission » des relations entre mari et femme, mais bien plutôt rendre cette soumission réciproque, comme l’amour d’ailleurs qui doit toujours être réciproque. C’est affirmer que, non seulement le mari doit aimer sa femme, mais la femme doit également aimer son mari.
Non seulement la femme doit être soumise à son mari, mais le mari doit également être soumis à sa femme.
Amour réciproque et soumission réciproque. Voilà ce qu’il faut en vérité dans un amour à l’image et la ressemblance de Dieu.
Mais très concrètement, dans la vie ordinaire, qu’est-ce que cela veut dire se soumettre ?
Cela veut dire « tenir compte de la volonté du conjoint », de son opinion et de sa sensibilité ; cela veut dire dialoguer et non décider tout seul, comme un tyran ;
cela veut dire souvent savoir renoncer à son opinion personnelle.
Pour se soumettre, il faut que le couple se rappelle qu’il est devenu « conjoints » le beau jour du mariage, c’est-à-dire, littéralement, des personnes qui sont sous « le même joug », des personnes dépendante l’une de l’autre, liée, reliée, attachée l’une à l’autre.
Mais pour se soumettre, il faut, plus profondément encore, avoir un modèle à imiter. L’Apôtre donne, comme modèle aux époux chrétiens, la relation d’amour existant entre le Christ et l’Eglise. Jésus Christ est le modèle de la sainte soumission et de l’amour authentique : Jésus Christ a aimé l’Église et il s’est livré pour elle.
Entendez bien comme le véritable amour et la vraie soumission se manifestent dans le « don de soi » à l’autre. Le don de soi, c’est la plus belle des façons d’aimer.
Dans le fond, et pour faire bref, il existe essentiellement deux façons de manifester son amour à la personne aimée. La première est de lui offrir des cadeaux, de la combler de dons. La deuxième, beaucoup plus exigeante, consiste à souffrir pour elle.
La première façon consiste à donner ce que l’on a.
La deuxième à donner ce que l’on est.
Dieu nous a aimés de ce deux manières : Dieu nous a aimés de la première manière
lorsqu’il nous a créé et nous a comblés de dons : le ciel, la terre, les fleurs, notre corps lui-même, tout est don venant de lui… Mais ensuite, dans la plénitude des temps, en Jésus-Christ, il est venu parmi nous et a souffert pour nous jusqu’à mourir sur la croix.
Voilà donc se qui devrait également se passer dans l’amour humain : Au début, en tant que fiancés, on exprime son amour en se faisant des cadeaux. Mais vient le temps pour tous où il ne suffit plus d’offrir des cadeaux : il faut être capable de souffrir avec et pour la personne aimée. L’aimer en dépit des limites que l’on découvre, les moments de pauvreté, les maladies elles-mêmes. C’est là qu’on touche le véritable amour qui ressemble à celui du Christ sur la croix.
En général on appelle le premier type d’amour eros, le deuxième type agape. Le signe qu’un couple est en train de passer de la recherche au don, de l’eros à l’agape est ceci : au lieu de se demander : « Qu’est-ce que mon mari (respectivement, ma femme) pourrait faire de plus pour moi, qu’il ne fait pas encore ? », on commence à se demander : « Qu’est-ce que je pourrais faire de plus pour mon mari (ou ma femme) que je ne fais pas encore ? »
Seigneur, tu nous demandes d’être soumis les uns aux autres.
Apprends à accepter nos dépendances réciproques, notre foncière interdépendance.
Que notre soumission soit réciproque comme notre amour veut être réciproque.
Jésus, tu es le modèle de la soumission et de l’amour authentique.
Tu nous aimes jusqu’au don de tout ce que tu as,
Tu aimes jusqu’au don de tout ce que tu es.
Seigneur, à ton école, nous voulons que notre joie
soit toujours plus
de donner que de recevoir.
Amen.
Père Jérôme Jean
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