C’est à Miséricorde, dans un auditorium C archicomble que s’est déroulée lundi soir 13 juin la cérémonie d’ouverture officielle du CSIS, en présence de représentants des autorités politiques fédérales, cantonales et de la ville de Fribourg.
De nombreux membres du corps professoral, des Eglises et des communautés chrétiennes et musulmanes, ainsi que de simples curieux, avaient tenu à faire le déplacement, notamment pour soutenir cette démarche académique et sociétale «d’entre-connaissance» et pour s’opposer à la fermeture envers une population musulmane qui fait désormais partie du paysage suisse.
Dans son mot de bienvenue, Astrid Epiney, rectrice de l’Université de Fribourg, s’est d’emblée déclarée fière d’accueillir au sein de l’alma mater friburgensis le Centre Suisse Islam et Société, un centre de compétence demandé par la Confédération, et qui rayonne déjà au plan national. La création de cette plateforme académique de dialogue avec l’islam et de rencontre avec la communauté musulmane en Suisse correspond tout à fait à l’esprit de la charte de l’Université.
Cette dernière prône l’engagement en faveur d’une société qui respecte les principes éthiques et les exigences de la justice sociale et de la dignité humaine. Elle offre, dans un esprit d’ouverture spirituelle et intellectuelle, la possibilité de réfléchir aux valeurs de l’humanisme chrétien, et participe au dialogue multiculturel. La rectrice a souligné que l’Université doit contribuer à cultiver le «vivre ensemble» en respectant les différences. «C’est un vrai défi!», a-t-elle souligné.
Silvia Studinger, vice-directrice du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI, remplaçait le secrétaire d’Etat Mauro Dell’Ambrogio, empêché. Elle a rappelé que ce Centre, voulu par la Confédération, a pour but de faire mieux connaître l’islam et la vie des musulmans en Suisse, et de développer notamment des programmes de formation continue à destination des personnes en contact avec les musulmans et des musulmans eux-mêmes.
Elle a souligné qu’en accueillant le CSIS, l’Université de Fribourg restait fidèle à sa tradition d’interdisciplinarité dans l’enseignement et la recherche, et que le Centre faisait d’ores et déjà montre d’une dynamique positive sous la direction conjointe de Hansjörg Schmid et Serdar Kurnaz.
Directeur de l’instruction publique, de la culture et du sport (DICS), le conseiller d’Etat fribourgeois Jean-Pierre Siggen a rappelé que cette cérémonie marquait la fin de la phase initiale du Centre. Celle-ci ne s’est pas déroulée sans problèmes, a-t-il admis, en allusion à l’hostilité du parti UDC «qui nous a accusés de vouloir étouffer la discussion publique» quand le Grand Conseil fribourgeois a déclaré invalide son initiative «Contre l’ouverture d’un centre Islam et Société à l’Université de Fribourg: non à la formation étatique d’imams».
«C’est tout le contraire. Pour moi, pour le Conseil d’Etat, comme pour toutes les autres autorités et personnes impliquées, une communication et une discussion ouvertes et constructives sont primordiales. Difficile d’insister davantage sur le fait que le Centre suisse islam et société ne formera pas d’imams. Par contre, il contribuera au débat public, un débat public enrichi par des réflexions scientifiques». Le parti populiste a déposé à la mi-mai un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, dans le but de contester la décision du Parlement fribourgeois.
Cet objectif reflète bien l’esprit de la Constitution fribourgeoise, a-t-il relevé, en citant son préambule: «Nous, peuple du canton de Fribourg, croyant en Dieu ou puisant nos valeurs à d’autres sources, conscients de notre responsabilité envers les générations futures, désireux de vivre notre diversité culturelle dans la compréhension mutuelle, déterminés à bâtir une société ouverte, prospère et solidaire, garante des droits fondamentaux et respectueuse de l’environnement, nous nous donnons la présente Constitution«.
«Ce sont ces valeurs qui fondent notre droit et notre société, c’est sur ces valeurs que repose notre engagement, a-t-il poursuivi, et c’est au nom de ces valeurs que l’Université a répondu positivement à la demande fédérale de créer le Centre Suisse Islam et Société».
Le conseiller d’Etat a profité de l’occasion pour rappeler ce qu’avaient apporté à la Suisse les réfugiés: «Comment nier l’évidence – la Suisse est faite de différences et continuera à l’être: multiplicité des langues et des cultures qui constituent la Confédération, des travailleurs immigrés qui ont construit nos barrages et tunnels, des scientifiques du monde entier qui contribuent à la qualité de nos hautes écoles, des réfugiés de différentes guerres qui participent à notre économie et, récemment, des demandeurs d’asile qui s’engagent comme bénévoles au sein de nos villages. Ils vivent tous en Suisse et laissent leur marque!»
Le professeur Hansjörg Schmid relève le fait que le CSIS veut construire des ponts entre différents acteurs de la société et contribuer à objectiver le débat, «trop souvent polarisé», concernant l’islam. Il a évoqué les images des violences au Moyen-Orient qui arrivent sur nos écrans de télévision et finissent par se mélanger, dans nos perceptions, avec la réalité des musulmans vivant en Suisse.
Cet islam local pacifique que nous connaissons en Suisse pourrait servir d’alternative à un islam qui est représenté comme violent au plan mondial. Et de rappeler que l’islam est pluriel, que 34 % des musulmans vivant en Suisse ont la nationalité suisse, et que comme ils sont majoritairement issus de l’immigration, ils ont une identité «hybride», entre un vécu de diaspora et une participation citoyenne dans le pays d’accueil.
«Ce n’est pas contradictoire, ce sont deux éléments de la même identité!» Cette «identité hybride» s’est manifestée tout récemment lors du match de football Suisse-Albanie, où des fans portaient les drapeaux des deux nations. Le professeur Schmid a rappelé que la société civile plurielle offre un espace pour les activités sociales des diverses communautés religieuses, y compris les communautés musulmanes.
Membre de la Commission consultative du CSIS, Khaldoun Dia Eddine, de la ZHAW School of Management and Law à Winterthur, a dressé les points communs entre la toute récente inauguration du tunnel du Gothard et le Centre Islam et Société. Tout comme le CSIS, le tunnel a dû passer par-dessus un lot de critiques, de dénigrements, de doutes et de réticences politiques et publiques.
Après l’acceptation en 2009 par le peuple suisse de l’initiative populaire interdisant la construction de minarets, beaucoup pensaient que les portes du dialogue et du consensus suisse étaient complètement fermées, mais des personnalités se sont, malgré les difficultés, engagées de façon infatigable en faveur du dialogue sur la question de l’islam. Avec le résultat que l’on connaît aujourd’hui.
Personnage-clé de cette réussite: le professeur Antonio Loprieno, ancien recteur de l’Université de Bâle et ancien président de la Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS), qui fait également partie de la Commission consultative du CSIS. Ce dernier constate de façon poétique que le Centre, après la phase de fondation, est encore une «petite plante en croissance qui a encore besoin de beaucoup d’eau et de soleil».
A la fin de la cérémonie d’ouverture, divers intervenants à une table ronde se sont interrogés sur une question de fond qui occupe le Centre: «Musulmans de Suisse: quelles participations à la société civile?». La cérémonie a également été l’occasion d’annoncer un nouveau partenariat; la Conférence suisse des hautes écoles accorde au CSIS une subvention fédérale de 1’600’000 francs sur quatre ans pour soutenir ses différentes activités. Le Centre développera ainsi de nouvelles collaborations avec les Universités de Berne et Lucerne, ainsi qu’avec la Haute école pédagogique de Fribourg (HEP). (cath.ch-apic/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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