Le Vatican insolite: une technique de micromosaïque inventée à la Fabrique de Saint-Pierre

Plusieurs millions de visiteurs s’émerveillent chaque année devant les ‘tableaux’ de la basilique Saint-Pierre qui ressemblent, à s’y méprendre, à de la peinture à l’huile. Réalisés à partir de petites tesselles d’émail, ce sont en réalité des mosaïques produites par un petit atelier dépendant de la Fabrique de Saint-Pierre. Transmettant et améliorant son savoir-faire, ces maîtres mosaïstes ont révolutionné la discipline en cherchant à imiter l’art pictural au 18e siècle.

Presque invisible, l’atelier de mosaïque du Vatican est situé entre la Maison Sainte-Marthe, résidence du pape, et le bureau de la Fabrique. On y trouve une galerie d’art et un magasin de couleurs qui fait office de salle de stockage pour plus de 26’000 nuances de tesselles, dont certaines remontent à l’origine de la basilique. Une douzaine de maîtres en blouse blanche y travaillent.

Outre la restauration de la basilique avec des couleurs d’origine, ils préparent avec des émaux vénitiens des cadeaux diplomatiques pour les voyages du pape et des commandes privées, profanes ou sacrées. Ces œuvres coûtent de 2’000 à 30’000 euros. Le savoir de ces mosaïstes se transmet en dehors du Vatican grâce à des écoles privées et indépendantes qui font perdurer la tradition du micromosaico minuto romano pour le plus grand bonheur des touristes fortunés.

L’école romaine de la mosaïque

La Fabrique est une administration née avec la construction de la basilique Saint-Pierre au 16e siècle. Sa mission actuelle consiste à «s’occuper de tout ce qui concerne la basilique (…) pour la conservation et la beauté de l’édifice». Des architectes et une petite centaine d’artisans – menuisiers, maçons, électriciens, décorateurs, marbriers, etc -, appelés sanpietrini, comme les pavés en basalte des rues de Rome, veillent avec fierté sur un patrimoine demi-millénaire.

Pour bâtir la basilique Saint-Pierre, Jules II (1503-1513) rase l’antique basilique de Constantin qui menace de s’effondrer et dont il ne subsiste plus que la mosaïque de la Navicella de Giotto, restaurée et déplacée dans l’atrium actuel. Cet art développé dans l’antiquité et résistant aux flammes et à l’humidité décore les basiliques paléochrétiennes. La technique s’étant perdue, Grégoire XIII (1572-1585) sollicite des maîtres vénitiens pour rappeler cette tradition à Rome. Bien que la Sérénissime garde le monopole de la production des émaux, c’est le début de l’école romaine de la mosaïque.

A la fin du 16e siècle, l’intérieur du dôme de Michel-Ange est entièrement couvert de tesselles. Comme la durée de la mosaïque tient à la qualité des mastics, une recette à base d’huile de lin et de poudre de marbre est développée par la Fabrique. Tenue secrète, elle est encore utilisée par les sanpietrini. Le scintillement et le manque de nuances des émaux vénitiens ne donnent cependant pas satisfaction aux artistes qui souhaitent se rapprocher du rendu mat et subtil de la peinture.

Un hectare de tesselles

Au 17e siècle, la Révérende Fabrique de Saint-Pierre élabore dans des fours spécialisés des composés vitreux capables de couvrir une large gamme chromatique pour reproduire les nuances de la peinture à l’huile. Rome devient une référence, au point que Venise, privée de ses principaux artisans pendant la peste de 1630, doit recourir aux mosaïstes romains.

Le reflet de la lumière est apprivoisé au 18e siècle par Alessio Mattioli qui crée des émaux opaques à partir de pâtes métalliques. En 1727, l’atelier de mosaïque est institutionnalisé par Benoît XIII (1724-1730) afin d’organiser la véritable industrie qu’est devenue l’école de Rome. Le studio del mosaico, rattaché la Fabrique, est alors chargé de transposer toutes les peintures de la basilique en mosaïques et d’assurer la maintenance de près d’un hectare de tesselles, dont le revêtement des coupoles. Peu de touristes le savent, mais le triomphe de la croix de Giovanni Lanfranco est une des rares peintures restantes dans la basilique. Les artistes admis à l’atelier sont alors appelés ‘peintres de mosaïque’.

Micromosaïque

Vers 1770, les «peintres» Cesare Aguatti et Giacomo Raffaelli découvrent en chauffant une deuxième fois des émaux que la pâte malléable ainsi obtenue peut être tissée en de fines baguettes. Une fois découpées, ces matrices donnent des tesselles de moins d’un millimètre, bien plus petites que celles taillées au marteau.

Cette technique permet de réaliser des œuvres profanes et sacrées d’une finesse incomparable comme des ornements de boîtes, de petits tableaux, de bijoux, de vases, de cadrans de montre… Elles représentent principalement la place Saint-Pierre, des paysages ou des ruines de l’époque antique. Le succès économique de la mosaïque miniature n’est pas étranger au commerce des souvenirs rapportés par les voyageurs au 19e siècle, littéralement éblouis par le talent des maîtres.

Suite à un incendie de la basilique de Saint-Paul-hors-les-murs en 1823, le studio del mosaico réalise depuis 1847 les célèbres portraits en mosaïque de la série chronologique des souverains pontifes. (cath.ch-apic/imedia/gjes/rz)

Raphaël Zbinden

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