De Savièse à Appenzell, en passant par Lucerne, le canton de Fribourg ou Le Landeron (Neuchâtel), la Cité catholique sort, au moment de la Fête-Dieu, tout ce qu’elle compte de traditions populaires pour rendre gloire à Dieu.
Savièse
A Savièse, la fête est organisée tour à tour par chaque village de la commune sur la base d’un tournus de cinq ans. Le défilé se met en marche, augmenté des «tsanbrides» (groupe d’enfants), et se rend à l’église, où est célébrée la grand-messe. La procession est le point culminant de la journée. «Les grenadiers rythment le pas. Autour du Corps du Christ, présenté dans l’ostensoir par le curé, hommes, femmes et enfants participent à un événement religieux, traditionnel et culturel à nul autre pareil», indique sur son site internet la Fondation Bretz-Héritier, qui s’est donné pour but de préserver le patrimoine saviésan.
Singine
Dans la partie alémanique du canton de Fribourg, en Singine, des autels temporaires sont aménagés sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu. Dans beaucoup de paroisses, le port du costume souligne l’aspect festif de la procession. C’est principalement pour la Fête-Dieu que des groupes de filles portent le costume avec la coiffe appelé «Kränzlitracht». A Düdingen, la procession compte aussi une société en uniformes militaires anciens.
Le Landeron
Le Landeron est la seule commune du canton à majorité réformée de Neuchâtel où la procession sillonne les rues du village. Un décret cantonal déclare que le jeudi de la Fête-Dieu est un jour férié sur le territoire communal.
Appenzell
En Appenzell Rhodes Intérieures a lieu une procession baroque très colorée. L’ostensoir contenant l’eucharistie est porté par un prêtre qui défile à l’abri d’un dais tenu par des ecclésiastiques et sous l’escorte des «Grenadiers de Dieu». Le défilé est formé de tour ce que le canton compte de groupes traditionnels. Le groupe des femmes en costumes est particulièrement impressionnant tout comme celui des quinze «Täfelimeedle», vêtues du costume noir et blanc des jeunes femmes non mariées, qui portent chacune une table de bois peinte représentant les quinze mystères du rosaire.
Lucerne
La veille et le jour de la Fête-Dieu, les canonniers tirent de nombreuses salves d’honneur et coups de canon depuis le Gütsch, en dessus de la ville de Lucerne. Ils manifestent ainsi leur déférence au Saint-Sacrement. Le tir avec les trois canons anciens suit des règles militaires strictes. Pendant la procession des fidèles dans la vieille ville, les coups de canon marquent chaque phase et élément du rituel. Les canonniers sont tous catholiques, des soldats de l’armée suisse en activité ou retraités. Pour cette coutume, ils sont organisés en «Confrérie des canonniers de Lucerne». Elle a été fondée en 1850, à une époque où les processions de la Fête-Dieu devenaient des manifestations de représentation de l’Eglise catholique dans la mouvance de la contre-réforme.
Fribourg
A Fribourg, les artilleurs sont à pied d’œuvre dès 6h du matin pour tirer une série de coups de canon, donnant ainsi aux trois corps de musique (La Concordia, la Landwehr et l’Union instrumentale de la Ville de Fribourg) l’ordre de départ pour animer les rues de la ville. Au terme de la célébration de 9h, en plein air, un long cortège rassemblant derrière le Saint-Sacrement les premiers communiants, les fanfares, les groupes traditionnels, les associations d’étudiants ainsi que les autorités ecclésiales, politiques et judiciaires se rend depuis la cour du Collège St-Michel jusqu’à la Cathédrale St-Nicolas.
Actuellement, même si les rapports entre Eglises et Etat sont davantage marqués par un régime de séparation, la participation des autorités politiques, législatives et judiciaires reste une tradition bien ancrée.
Une fête qui remonte au 13e siècle
«Contrairement à Noël, Pâques, l’Ascension, Pentecôte ou d’autres célébrations, par lesquelles la descendance spirituelle du Fils de Dieu accorde le rythme de sa propre existence ici-bas aux moments-clefs de Son passage sur terre, le Fête-Dieu n’a pas germé directement dans le terreau de l’Ecriture; elle ne rejoue aucun événement de la vie de Jésus. Insérée dans le cycle annuel du temps chrétien plus de douze siècles après la Cène et la résurrection du Verbe incarné, elle le fut comme on greffe un jeune surgeon sur une souche vénérable, escomptant lui rendre par là son antique vigueur.» (L’Etat de Ciel / La Fête-Dieu de Fribourg, Claude Macherel et Jean Steinauer, éditions Méandre, 1989)
C’est en grande partie à Julienne, de Cornillon en Belgique, que l’on doit la Fête-Dieu. A partir de 1209, elle eut de fréquentes visions mystiques. Une vision revient à plusieurs reprises, lorsqu’elle entre en oraison. Elle voit une lune échancrée, c’est-à-dire rayonnante de lumière, mais incomplète, une bande noire la divisant en deux parties égales.
Elle y vit une révélation. «La lune signifie l’Eglise de son temps, et l’échancrure, l’absence d’une fête particulière au saint Sacrement, qui donnerait au peuple chrétien l’occasion de protester en faveur de sa foi et de réparer, par des hommages publics, toutes les irrévérences et les profanations des indévots. En même temps, Dieu ordonne à Julienne de mettre en œuvre et de faire connaître au monde Ses volontés.» (Les fêtes chrétiennes, par l’abbé Pradier, 1891)
Sainte Julienne fut aidée dans son entreprise par la Bienheureuse Eve de Liège, recluse. Les démarches durèrent près de deux décennies.
En 1222, elle fut élue Mère prieure du Mont-Cornillon et demanda conseil à d’éminentes personnalités de l’époque, tels que Jean de Lausanne, chanoine de Saint Martin, Jacques Pantaléon, archidiacre de Liège et le futur pape Urbain IV, Guy, évêque de Cambrai, et aussi des théologiens dominicains, dont Hugues de Saint Cher.
Un décret synodal sans suite
En 1246, Robert de Torote, prince-évêque de Liège, «établit par décret synodal que chaque année, le jeudi après le Trinité, toutes les églises de son diocèse» célébreront désormais «avec abstention des travaux serviles et jeûne préparatoire, une fête solennelle en l’honneur du mystère eucharistique». Mais la Fête-Dieu, à peine instituée à la petite échelle de ce diocèse, est en butte aux embûches. Robert de Torote meurt peu après sa décision. Son décret reste pratiquement lettre morte.
Les bourgeois de Liège s’opposaient à la fête car cela signifiait un jour de jeûne en plus pour la population et certains religieux considéraient que telle fête ne méritait pas pareil budget. Face à ce mouvement d’opposition à la fête, Julienne dut quitter son couvent et passa de monastère en monastère. Elle trouva refuge en plusieurs abbayes cisterciennes. Elle mourut le 5 avril 1258 à Fosses-la-Ville, entre Sambre et Meuse, et fut inhumée dans l’abbaye cistercienne de Villers-La-Ville.
Le miracle de l’hostie sanglante
La Fête-Dieu est relancée grâce à un miracle qui a lieu à Bolsena en 1263. Il est relaté par les fresques de la Cathédrale d’Orvieto. Un prêtre de Bohême, Pierre de Prague, a de grands doutes sur la présence du Christ dans l’Eucharistie. Lors d’une messe qu’il célèbre, à la consécration l’hostie prend une couleur rosée et des gouttes de sang tombent sur le corporal et le pavement. Le prêtre interrompt la messe pour porter à la sacristie les saintes espèces. Le pape Urbain IV, ancien confesseur de Julienne de Cornillon, vient constater les faits.
Il institue alors la fête du Corpus Domini par la bulle «Transiturus de hoc mundo» le 8 septembre 1264. Il la fixe au jeudi après l’octave de la Pentecôte et confie la rédaction des textes liturgiques à saint Thomas d’Aquin et à Frère Bonaventure.
La Fête-Dieu ne fut reçue dans toutes les églises latines qu’au temps de Clément V, à l’époque du Concile de Vienne (1311 – 1312) où il renouvela la constitution d’Urbain IV.
L’institution de cette célébration correspond à la lutte de l’Eglise catholique contre l’hérésie cathare et vaudoise.
Cet article a été réalisé par Bernard Bovigny en mai 2014
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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