Une bonne centaine de personnes venues de toute la Suisse, travaillant principalement dans les établissements hospitaliers et les EMS, ont analysé les nouveaux défis de l’accompagnement spirituel des malades. Cette réflexion était menée dans le cadre d’un colloque organisé le 18 mai 2016 à l’Université de Fribourg par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) et l’Institut de droit des religions, avec le concours de l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines de l’Université de Lausanne.
Un tel accompagnement spirituel interreligieux offrirait de nouvelles possibilités de discussion entre la religion et la médecine, ont estimé les organisateurs du colloque. Soulignant que les institutions hospitalières en Suisse sont toujours davantage confrontées à la pluralité religieuse et spirituelle qui caractérise la population, Irene Becci note un retour de la religion dans la société contemporaine «post-sécularisée». La professeure à l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines de l’Université de Lausanne estime que la religion devient de plus en plus un facteur d’identité, ce qui peut parfois conduire à la radicalisation.
Dans la recomposition du paysage religieux en Suisse, la sociologue constate un recul des religions établies, l’émergence d’autres croyances et une forte croissance des «sans religion». (Voir, en encadré, les statistiques de l’OFS)
Ces dernières décennies, le paysage religieux en Suisse s’est en effet beaucoup modifié: si le pourcentage des catholiques-romains dans la population est plus ou moins resté stable, celui des évangéliques réformés a fortement reculé, alors que les sans confession augmentent, tout comme les musulmans et les autres communautés religieuses. Face à la forte augmentation du pluralisme religieux dans la société, l’aumônerie des hôpitaux sous la responsabilité des communautés religieuses reconnues de droit public est appelée à se redéfinir.
Depuis la fin du XXe siècle, on assiste, dans le milieu médical, à une valorisation accrue de la dimension spirituelle, notamment dans les soins palliatifs, relève-t-elle. Les patients ayant une appartenance religieuse – ce qui est moins le cas des sans confession – ressentent la nécessité de se tourner vers leur religion dans les moments difficiles de la vie comme dans le cas d’une grave maladie.
Et Irene Becci de relever également la diversité religieuse et culturelle que l’on trouve dans le milieu hospitalier, tant au niveau du personnel médical qu’au niveau des patients. Ainsi à Bâle, 43% des 5’600 employés comme 39% des patients sont des étrangers. De telles proportions se retrouvent dans les hôpitaux d’autres cantons. Leur appartenance – ou leur non appartenance – religieuse est très diversifiée.
L’apparition du «Spiritual Care» (l’accompagnement spirituel) interprofessionnel a profondément transformé la pratique des aumôneries hospitalières, constate pour sa part le professeur Simon Peng-Keller, de l’Université de Zurich. Le besoin d’intégrer la dimension spirituelle dans les prestations de santé – considérée comme une ressource pour la guérison du patient – apparaît dans un contexte où l’évolution de la médecine et de la société est marquée par des tensions.
Le théologien souligne en effet que depuis quelques années, dans les pays germanophones, une discussion intense et très polarisée a lieu au sein de la théologie pratique concernant le lien entre l’aumônerie d’hôpital et le «Spiritual Care». Il admet que si l’aumônier n’a pas seulement le rôle de représenter sa confession, il ne doit pas totalement occulter son identité religieuse.
Médecin au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) à Lausanne, Fatoumata Diawara reconnaît qu’elle n’est pas une experte dans le domaine de la spiritualité, mais elle est interpellée à ce sujet par les patients. Elle est de ce fait reconnaissante de disposer de référents dans ce domaine. La doctoresse, qui se déclare musulmane pratiquante, souligne que dans sa spécialité, les soins palliatifs, le corps médical dispose de plus de temps pour écouter le patient que dans d’autres secteurs de soins.
«J’ai les lunettes du médecin, je ne me fixe pas sur la confession de l’aumônier. Ce que demande le patient, dans la plupart des cas, c’est une écoute, une relation humaine. Quand on aborde la spiritualité, la mort qui approche, les rituels qu’il faudra faire, nous devons essayer d’être neutres, mais c’est un exercice difficile», admet Fatoumata Diawara.
Tout comme Fatoumata Diawara, l’aumônière Dia Khadam, en charge de l’aumônerie musulmane aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), est consciente de jouer aussi un rôle de médiatrice culturelle. Dia Khadam, qui travaille à la morgue de la mosquée pour le lavage rituel des femmes et des enfants, doit par exemple faire comprendre aux musulmans qui ne connaissent pas les pratiques et la législation suisses qu’on ne peut inhumer immédiatement une personne décédée, qu’elle doit être enterrée dans un cercueil, et pas seulement enveloppée dans un drap…
Le professeur René Pahud de Mortanges, de l’Université de Fribourg, faisant l’état des normes juridiques cantonales et des tendances dans l’aumônerie d’hôpital, a estimé que certains cantons n’ont pas de législation détaillée en matière d’aumônerie. «Dans ce cas, le silence du législateur peut être très problématique, notamment quand il n’a pas clairement défini si et dans quelle mesure les patients ont le droit de prétendre à une prestation de l’aumônerie».
Pour le juriste, il n’est pas déterminant qu’un patient soit affilié à une communauté religieuse reconnue de droit public par le canton pour faire appel à un aumônier. Ainsi à Fribourg, le droit à un service d’aumônerie est garanti uniquement pour les communautés religieuses reconnues.
Pour éviter les discriminations, le professeur Pahud de Mortanges estime que les autres communautés religieuses devraient pouvoir prétendre à un accès auprès de leurs adeptes hospitalisés.
«L’hôpital ne peut pas refuser purement et simplement la visite d’aumôniers externes… L’accompagnement spirituel est un élément protégé de la liberté religieuse !»
Interpellé par un aumônier catholique, le professeur fribourgeois admet cependant qu’il faille dresser des listes quand les demandes d’accès aux patients proviennent de certaines sectes ou groupes religieux douteux. (cath.ch-apic/be)
Total | 6’745’579 |
Eglises nationales protestantes | 1’765’926 |
Communautés néo-piétistes et évangéliques | 39’446 |
Mouvement Pentecôtiste et autres communautés charismatiques | 25’993 |
Communautés adventistes | 25’986 |
Communautés apostoliques | 20’502 |
Autres églises remontant à la Réforme | 84’263 |
Eglise catholique romaine | 2’564’262 |
Eglises orthodoxes et orthodoxes orientales | 148’325 |
Autres communautés chrétiennes | 42’215 |
Communautés juives | 16’537 |
Communautés musulmanes et issues de l’islam | 338’213 |
Communautés bouddhistes | 35’981 |
Communautés hindouistes | 34’648 |
Autres religions | 19’237 |
Sans appartenance religieuse | 1’499’317 |
Appartenance religieuse inconnue | 84’727 |
Durant ces 40 dernières années, le paysage religieux en Suisse s’est passablement modifié: si la part des catholiques-romains est restée relativement stable, celle des évangéliques réformés a fortement baissé, au profit notamment des personnes se déclarant sans confession.
Entre 2000 et 2012-2014, la part des catholiques romains et des réformés évangéliques a légèrement diminué (respectivement de 4,3 et de 7,7points), à l’inverse de celle des musulmans (+ 1,4point). La part des communautés juives n’a quasi pas changée, celle des personnes sans confession a progressé de 11 points. Office fédéral de la statistique OFS 2016
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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