«Il n’y a rien de routinier dans mon activité. Je la conçois au contraire comme une manière de vivre pleinement mes convictions religieuses, ma vie de paroissien, comme un moyen de rendre service à ma communauté, à mon Eglise», explique de sa voix posée le Biennois de 46 ans. Olivier Jordi précise: «Ce travail comporte une grosse responsabilité, car il fait partie intégrante du culte auquel il donne le coup d’envoi, avant que l’orgue Kuhn n’entre en scène et que le premier officiant ne s’exprime.»
Celui qui est père de trois filles en bas âge insiste sur la dimension rituelle qui imprègne son activité. «Je prends place dans le clocheton toujours à 9h40 les dimanches, dix minutes avant l’heure de la sonnerie. Je commence par ouvrir les volets. Dès cet instant, la concentration doit être totale. Il faut rester zen», narre Olivier Jordi. Qui poursuit: «Je plonge en moi-même, je me laisse aller au recueillement et à la réflexion. Actionner les deux cloches en bronze du temple de Vauffelin relève d’une expérience émotionnelle forte.»
«Actionner les deux cloches en bronze du temple de Vauffelin relève d’une expérience émotionnelle forte»
Pendant les dix minutes où les cloches lâchent leurs puissantes et sublimes vocalises, Olivier Jordi se mue en chef d’orchestre animé d’une gestuelle de skieur de fond. Coiffé d’un casque anti-bruit, drapé dans une flamboyante solitude, il joue habilement avec deux cordes de différente épaisseur. «Il s’agit de maintenir un rythme constant jusqu’à la fin. Je dois faire en sorte que cette partition musicale ne connaisse pas de couac. Quand je suis nerveux ou fatigué, je n’ai d’autre choix que de redoubler d’attention.»
Pour accéder à la tourelle octogonale, mieux vaut ne pas souffrir de vertige. Sublime avec son auvent plongeant qui tutoie le sol et son intérieur en bois sombre, l’église réformée saint-Etienne de Vauffelin, érigée au début du 18e siècle, se donne des airs de labyrinthe. Après avoir parcouru un escalier pentu, une rampe très raide qui mène au galetas, une nouvelle volée de marches, le visiteur débouche sur une plate-forme. Encore deux marches et le clocheton s’offre au regard des curieux. Détail cocasse, Olivier Jordi a placé un réveil et une pendule de cuisine dans cet espace exigu, mais d’un esthétisme touchant avec son duo de cloches, les plus anciennes du Jura bernois.
«Cette occupation me mobilise deux à trois fois par mois, les dimanches, parfois les samedis soir. J’officie évidemment pour les services religieux, mais aussi pour les cérémonies funèbres et plus rarement pour les mariages, une ou deux fois par année pour ce dernier cas», indique le Biennois, qui travaille à mi-temps dans une agence de graphisme de la capitale seelandaise.
C’est presque naturellement qu’Olivier Jordi a décroché le poste. «J’ai toujours été actif au sein de la paroisse de Rondchâtel en aidant à diverses tâches avant et après les cultes. Mon beau-père, qui a été président, puis conseiller de paroisse, a constitué une passerelle avec la communauté, souligne le typographiste. Quand le préposé au clocher, âgé de 70 ans, a pris sa retraite, c’est dans un premier temps mon beau-père et l’oncle de mon épouse qui sonnaient les cloches. Puis en janvier 2015, on m’a proposé de reprendre le flambeau. Je suis officiellement entré en fonction en avril de l’année dernière.»
S’il adore cette activité, Olivier Jordi porte un regard un peu nostalgique sur le dépeuplement des églises chrétiennes. «Les cultes du temple de Vauffelin attirent au maximum une vingtaine de fidèles, la plupart des anciens paroissiens du troisième âge. Les gens sont peut-être si absorbés par leur quotidien qu’ils ne trouvent plus de temps pour la spiritualité.» (cath.ch-apic/eda/mp)
Maurice Page
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