Le carousel fait tourner lentement trois fers qui s’ouvrent et se ferment automatiquement. Un bras articulé verse mécaniquement la pâte sur les fers chauffés à 180°. La sœur préposée à la cuisson n’a que peu de temps pour enlever les plaques, dans lesquelles on découpera les hosties. A l’évocation du film Les temps modernes, Sœur Marie-Paule, spatule à la main, sourit. «Nous n’en sommes pas là! L’installation reste quand même à taille humaine. Mais cela nous change bien la vie!». La machine, en service depuis peu, permet de cuire 60’000 hosties, blanches ou brunes, en un jour quand trois étaient nécessaires auparavant.
«Nous devions repeindre l’église. Nous attendrons l’année prochaine», soupire Sœur Marie-Paule. Le four, ses accessoires et la découpeuse à hosties ont coûté 100’000 francs que les Sœurs Bernardines du monastère de Collombey ont dû puiser dans leur épargne. Un investissement conséquent mais inévitable pour la communauté qui tire les deux tiers de ses revenus de la fabrication des trois millions d’hosties par an. La machine précédente, achetée en 1982, était arrivée en fin de vie. Il n’était pas question pour les Bernardines d’arrêter la production, même si «cet investissement, avec notre communauté vieillissante, est un pari sur l’avenir», reconnaît Sœur Marie-Paule. Le monastère produit des hosties depuis sa fondation, en 1647.
De 185’000 francs de chiffre d’affaire en 2011, l’activité est passée à 164’000 francs l’année suivante. La baisse de fréquentation des églises et donc des communions, explique en partie cette chute. Autre facteur qui accentue cette tendance, la concurrence étrangère. Sœur Marie-Paule soupçonne des paroisses, dont le nom a disparu des carnets de commande, de se fournir en Pologne, en Italie ou en France voisine, via internet. Afin d’éviter la concurrence entre les communautés suisses, le prix unique de 70 francs par 1’000 hosties a été fixé par la Conférence des évêques suisses (CES). Des sites de vente en ligne français demandent entre 15 et 20 francs par paquet de 1’000 hosties, selon leur épaisseur. Certains sites italiens proposent la même quantité entre 7 et 8 francs. Les hosties polonaises, fabriquées dans un marché beaucoup plus grand et par des laïcs, sont proposées à environ 3,60 francs les mille.
«Pour nous c’est une manière de nous unir au peuple de Dieu, même si nous sommes cloîtrées».
«Ces hosties sont notre gagne-pain!», lance-t-elle en rappelant que le monastère achète la farine en Suisse et que cela a un coût. Ne maîtrisant pas le prix de vente, la communauté ne fait ni marketing ni publicité. Loin d’une économie libérale, elle ne parle pas de faire des bénéfices. Pour défendre sa cause, la sœur plaide le commerce équitable. «Acheter en Suisse, c’est soutenir les communautés religieuses. Il faut faire vivre le producteur». D’accord pour vendre du vin et, à la limite, du miel de production «maison», mais elle ne veut pas, comme certaines communautés en France, être contrainte de vendre des produits cosmétiques pour survivre.
Avec l’acquisition de cette nouvelle installation, les sœurs ont rénové les locaux de production. Deux pièces, réaménagées pour l’humidification et le tri des hosties ont été repeintes, des humidificateurs neufs vont bientôt être livrés. Un local a été spécialement adapté pour le stockage de la farine. Un gros effort financier a été consenti. La machine a finalement été commandée en France. Les Allemands proposaient des fours surdimensionnés et de trop grande capacité de production. «C’est le même modèle que la communauté de la Fille-Dieu, près de Romont. Ainsi nous nous prêtons des pièces de rechange, quand c’est nécessaire».
Les Bernardines fournissent tout le diocèse de Sion en hosties brunes et le Bas-Valais en hosties blanches que la communauté de Géronde vend dans le Haut-Valais. «Quand il était évêque, Mgr Henry Schwéry avait partagé le marché pour éviter la concurrence. Il avait aussi tenu compte du fait que Géronde produisait du vin».
Faisant référence aux Foccolari, Sœur Marie-Paule parle d’une «économie de communion» compatible avec la vie monastique. «Pour nous c’est une manière de nous unir au peuple de Dieu, même si nous sommes cloîtrées».
La recette n’a pas changé
Une journée suffit aux Sœur du monastère des Bernardines pour la fabrication de 60’000 hosties. La nouvelle installation permet de gagner deux jours de production mais la recette et la méthode de fabrication ne changent pas.
«La recette est simple: eau et farine». Pour les hosties brunes, trois pétrins nécessitant 75 kg de farine en tout, sont préparés le lundi après-midi. La cuisson se déroule le mardi entre 7h30 et midi. L’après-midi est consacré au nettoyage minutieux des installations. «Il faut faire vite, car les restes de pâte et la farine sont d’autant plus difficiles à enlever que nous attendons», explique Sœur Marie-Paule. Les plaques obtenues à partir de la cuisson sont déposées dans une pièce où elles sont humidifiées. «On ne peut pas passer directement de la cuisson à la découpe des feuilles, elles sont sèches et donc très cassantes». La production est découpée le mercredi puis les hosties sont ensuite triées et conditionnées par des personnes handicapées résidant à l’institution «La Meunière» à Collombey.
Au fil des siècles…
Destinée à devenir le Corps du Christ, l’hostie, avant même d’être consacrée, a toujours été entourée de soins particuliers. A l’origine, les fidèles apportaient une matière disparate pour l’offrande. A cette coutume se substitua peu à peu celle de fabriquer un pain spécial «petit, entier, net et fait exprès» (Concile de Tolède en 693). En témoignent les mosaïques de Ravenne (549) ou les premiers moules en pierre ou en terre cuite, découverts sur les sites archéologiques de Carthage, Tunis ou Jérusalem (Vème et VIème siècles), aux motifs d’un symbolisme éloquent. (cath.ch-apic/bh)
Bernard Hallet
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