Les femmes kamikazes de Boko Haram, volontaires ou forcées?

La secte islamiste nigériane Boko Haram utilise plus que tout autre groupe terroriste des femmes pour commettre des attentats suicides. IRIN News, l’agence d’information des Nations unies présente une analyse de ce phénomène, tentant de déterminer en particulier le degré de consentement des kamikazes féminines.

Dans d’autres régions du monde que le Nigeria, où sévissent des conflits armés, des femmes servent parfois de bombes humaines. Cela a été le cas notamment en Tchétchénie, en Irak, au Pakistan, en Palestine, en Syrie ou au Sri Lanka. Mais cette «tactique» n’a jamais été utilisée si massivement que par Boko Haram.

Des recherches ont montré que plus de 200 femmes se sont fait exploser, depuis juin 2014, au Nigeria et au Cameroun, tuant plus de 1’000 personnes.

Les femmes comme une ressource «utilisable à merci»

Il semble que les femmes aient été de prime abord utilisées parce qu’elles pouvaient plus facilement passer les dispositifs de contrôle. Mais ce n’est plus le cas actuellement, note IRIN, les forces de sécurité s’étant adaptées à cette nouvelle donne. D’après l’armée nigériane, il apparaît même que les kamikazes féminines se déguisent maintenant en hommes pour tenter d’échapper aux contrôles.

«Les gens sont très inquiets du fait que la plupart des kamikazes sont des femmes âgées entre 10 et 20 ans», souligne Suleiman Aliyu, un directeur d’école de Maiduguri, la principale ville du nord-est du Nigeria, où l’insurrection de Boko Haram est la plus active.

L’utilisation de femmes pour le terrorisme est souvent perçue comme une tactique de dernier ressort, une forme de combat «asymétrique», suite à une défaite au niveau conventionnel. Mais le premier attentat commis par une femme au Nigeria, s’est produit à un moment où Boko Haram avait le vent en poupe, ayant conquis de larges territoires et fait reculer l’armée nigériane.

Ryan Cummings, chef analyste de sécurité pour l’Afrique dans la firme de gestion de crise Red24, note qu’une des particularités de ce conflit est la perception des femmes comme une ressource «utilisable à merci».

La stratégie du viol

L’enlèvement des femmes a été une stratégie de longue date pour Boko Haram. Cela a commencé en 2013, avec le kidnapping de femmes chrétiennes, leur exploitation sexuelle et leur conversion forcée à l’islam. Au début, les femmes musulmanes étaient d’habitude laissées libres, alors que tous les hommes étaient tués. Mais la secte ne fait plus actuellement ce genre de distinction. Les femmes et les jeunes filles sont enlevées indépendamment de leur religion et violées dans le contexte de pseudo-mariages. Ces abus sont utilisés comme des moyens de cohésion parmi les combattants et pour répandre la terreur dans la communauté, affirme les expertes Mia Bloom et Hilary Matfess.

Les 270 jeunes lycéennes enlevées à Chibok en 2014, qui ont fait l’objet de la campagne mondiale ‘Bring back our girls’, ainsi que les 400 femmes et enfants kidnappés à Damasak l’année dernière ne sont juste que les cas les plus connus de telles actions.

Certaines femmes jouent un rôle actif

Il vient spontanément à l’esprit de tout un chacun que les femmes kamikazes ont été forcées, qu’elles n’ont pas pu réaliser cet acte de leur propre volonté. Il y a effectivement de nombreux éléments qui soutiennent cette vision des choses. Le fait est que de très jeunes filles, certainement trop jeunes pour prendre en toute conscience une décision de ce type, ont été lancées dans le martyre. Il a également été démontrée que les explosifs que portaient certaines de ces femmes avaient été déclenchés à distance par des combattants.

Mais dans certains cas, des femmes ont joué un rôle actif dans l’insurrection, sans être trompées ou manipulées, souligne IRIN. L’experte Elizabeth Pearson remarque qu’en 2014, une présumée «escouade féminine» de Boko Haram chargée de recrutement et d’espionnage a été arrêtée. Il est connu que des femmes ont également fait du trafic d’armes en faveur du groupe, que certaines ont tiré sur des soldats nigérians qui venaient les libérer. Des prisonnières se seraient également portées volontaires pour des missions suicide.

Un ‘syndrome de Stockholm’?

Alex Thurston, du Programme d’études africaines de l’Université de Georgetown, à Washington, pense que beaucoup de femmes ont activement soutenu Boko Haram, dès les débuts du mouvement. Le groupe n’aurait pas pu fonctionner sans cela. Le chercheur estime que les mêmes facteurs qui ont motivé les hommes à s’engager dans la secte –la vengeance face aux abus des forces de sécurité, de l’argent pour la famille et la promesse d’une récompense spirituel face à un présent sombre et sans issue- ont pu amener les femmes à jouer un rôle actif.

Mais alors que certaines femmes combattantes peuvent avoir un engagement idéologique dans le djihad violent, il y a, selon Elizabeth Pearson, «moins de signe de cet engagement parmi les femmes kamikazes».

Mia Bloom et Hilary Matfess émettent l’hypothèse que certaines femmes maltraitées peuvent être réellement radicalisées. «La question est de savoir si les femmes liées aux insurgés partagent vraiment la même idéologie, les mêmes buts et objectifs que les hommes ou si elles souffrent d’une forme de ‘syndrome de Stockholm’ causé par leur traumatisme», s’interrogent les deux chercheuses.

Les femmes comme «marchandises»

Pour Elizabeth Pearson, les choses ne sont pas clairement définies, et il est impossible, en l’état, de répondre à cette question. Les informations sur les femmes kamikazes viennent en effet presque exclusivement des rapports de presse. D’habitude, aucune donnée n’est disponible sur leur identité, à l’exception des quelques unes qui ont abandonnée leur mission ou ont été interceptées avant d’avoir pu atteindre leur cible.

Il est sûr que, contrairement à beaucoup de kamikazes masculins, ces femmes n’ont laissé aucune vidéo, aucune justification de leur acte et ne sont pas glorifiées par Boko Haram. Elles ont été utilisées pour frapper des cibles «de faible importance», telles que des marchés, des arrêts de bus ou des rassemblements de civils.

L’idéologie de Boko Haram, qui a récemment fait allégeance au groupe djihadiste Etat islamique (EI), considère les hommes comme des combattants ultra virils et les femmes comme des aides domestiques, ou de simples marchandises. Aboubakar Shekau, le chef du groupe terroriste avait avec fierté annoncé que les lycéennes de Chibok allaient être «vendues». (cath.ch-apic/irin/rz)

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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