La mort de trois militaires français, tués le 12 avril à Tessalit, dans le nord du Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane qui vise à stabiliser le Sahel et lutte contre le terrorisme islamiste, montre que l’infiltration djihadiste n’est pas endiguée.
Roberto Simona est rentré à Fribourg le 9 avril d’une mission au Mali d’une dizaine de jours pour le compte de l’AED. Le Tessinois a visité les projets de l’organisation dans l’archidiocèse de Bamako, dans la capitale malienne, ainsi que dans les diocèses de Kayes et Sikasso. Il s’est notamment rendu dans des villages de brousse, à Gualala, dans la région de Sikasso, à la frontière avec la Guinée. Dans ce pays majoritairement musulman, les chrétiens ne représentent que 3 à 5% de la population.
Pas question pour Roberto Simona de se rendre au nord du Mali, pour des raisons de sécurité évidentes: «Les personnes de contact sur place m’ont averti des dangers d’enlèvement. La ‘ligne rouge’ pour les étrangers est Mopti, aller plus au nord est extrêmement dangereux, car on peut tomber sur les islamistes armés ou de simples bandits… Cela n’aurait de toute façon pas eu de sens pour ma mission, car les chrétiens de Gao, Kidal et Tombouctou ont tous fui la région lors de l’arrivée des islamistes armés. Au nord, il n’y a plus de touristes étrangers, tous les hôtels sont fermés».
En 2012, des groupes comme Ansar al-Din (ou Ansar Eddine, Mouvement des défenseurs de la religion, groupe armé salafiste djihadiste dirigé par Iyad Ag Ghali) et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) se sont emparés de la région. A Tombouctou, surnommée la «Ville Lumière», les terroristes islamistes ont rasé de nombreux mausolées de saints musulmans inscrits au patrimoine mondial de l›UNESCO, mais ils ont également détruit le bureau de la Caritas de Gao tout comme l’église de la ville.
En décembre dernier, trois personnes, dont un animateur de «Tahanite», la radio chrétienne de Tombouctou, ont été abattus par balles. En 2012, quand les djihadistes s’étaient emparés de la ville, ils lui avaient interdit de diffuser des émissions parlant de la Bible.
Au sud du pays, témoigne Roberto Simona, la situation est par contre «normale». Des églises et des sanctuaires se construisent, et les chrétiens connaissent une forte croissance due à l’explosion démographique, à l’arrivée des chrétiens chassés du nord du pays par la présence de djihadistes et l’insécurité, et, dans une moindre mesure, par les conversions de musulmans.
«Au Mali, un pays qui vit au quotidien la tolérance religieuse, les relations entre les communautés sont bonnes, et il y a de nombreuses familles mixtes. Des églises sont devenues trop petites, car les fidèles sont de plus en plus nombreux».
A Koulikoro, à une trentaine de kilomètres de Bamako, l’AED avait financé en 2011 la construction de l’église de St-Pierre, qui avait 800 places. «Aujourd’hui, elle est déjà trop petite pour accueillir tous ceux qui assistent à la messe…»
L’islam majoritaire au Mali appartient à l’école malikite (une des quatre écoles de jurisprudence de l’islam sunnite, centrée sur l’enseignement de l’imam Malik ibn Anas [env. 715-795], qui passa la plus grande partie de sa vie à Médine). Cet islam, qui s’intègre à la culture ouest-africaine, est mâtiné d’influences maraboutiques. L’islam soufi est également présent. Depuis quelques années, cependant, l’islam africain est battu en brèche par l’islam importé des pays du Golfe, de tendance salafiste ou wahhabite.
Roberto Simona a pu s’en rendre compte en visitant, au siège social d’Ansar Dine à Bamako (qui n’a rien à voir avec l’organisation homonyme de Iyad Ag Ghaly, un djihadiste touareg), l’influent Chérif Ousmane Madani Haïdara, l’imam le plus célèbre du Mali, qui affirme défendre «l’islam authentique» face à un islam bien moins pacifique.
Ce leader religieux, qui attire les foules musulmanes, développe une bonne collaboration avec Mgr Jean Zerbo, archevêque de Bamako. Il pense assister prochainement à l’inauguration du sanctuaire marial Notre-Dame de la Paix, érigé sur une colline au cœur de la ville en grande majorité musulmane. Cet imam est considéré comme «la principale alternative islamique» au wahhabisme qui tend à supplanter l’islam traditionnel africain.
«La cohabitation est réelle dans ce pays historiquement laïc, affirme le responsable de l’AED, mais depuis quelques années, un islam dit ‘réformé’, qu’il soit wahhabite ou salafiste, se répand, grâce à l’argent des pays du Golfe. On assiste à une ‘réislamisation’ de la société, car des prédicateurs cherchent à transformer l’islam populaire. Il pousse des mosquées nouvelles à chaque coin de rue! «
Le Haut Conseil islamique, créé en 2002 et présidé par l’imam Mahmoud Dicko, est désormais contrôlé par les wahhabites. Ainsi, les islamistes ont pu faire annuler le nouveau code de la famille, qu’ils jugeaient incompatible avec l’islam, alors qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale.
L’influence salafiste se fait sentir: des prédicateurs demandent que l’on ne salue pas les chrétiens lors de leurs fêtes religieuses, comme à Noël ou à Pâques. «C’est un islam rigide, importé, mais qui dispose de beaucoup de moyens. Les pays du Golfe paient des études à des musulmans maliens, qui, quand ils reviennent au pays, prêchent un autre islam. Même s’ils sont encore minoritaires, ils font souffler un vent nouveau au Mali, qui n’annonce rien de bon pour la coexistence pacifique dans toute la région de l’Ouest africain».
Le Tessinois Roberto Simona, né en 1967 à Locarno, père de trois jeunes enfants, est un spécialiste des minorités chrétiennes dans les pays musulmans et de l’ex-Union Soviétique. Il a passé plusieurs années sur le terrain pour des organisations humanitaires, notamment comme délégué du CICR, avant d’être nommé responsable pour la Suisse romande et italienne de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED). Ce spécialiste des minorités chrétiennes dans les pays musulmans contribue à plusieurs revues spécialisées et fait partie du groupe de travail chargé de rédiger le «Rapport sur la liberté religieuse dans le monde» publié au plan international par l’AED. Il fait également partie du «Groupe de travail Islam», qui conseille les évêques suisses sur les questions liées à l’islam et fournit des informations à usage pastoral. (cath.ch-apic/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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