«Carton!…». Au milieu des briques de jus de fruits et des parts de gâteau entamées, les six jeunes ont fait de la place pour poser les grilles de loto qu’ils complètent au gré des numéros que Chantal annonce. Miguel, en veine ce jour-là, rafle les paquets de biscuits, de chips, les barres chocolatées et les bouteilles de gel douche mis en jeu. Des lots achetés sur les fonds de l’association. Le loto permet aux jeunes d’oublier un moment le quotidien, les tensions et le régime strict auquel ils sont soumis. Ils se retrouvent dans la salle où l’abbé Gilles Roduit a célébré la messe un mois plus tôt.
Les visiteuses du jour sont décontractées et visiblement contentes de se trouver parmi ces jeunes. Aucune tension. Les convives sont plus naturel que dans leur quartier car ils n’ont rien à prouver à leurs interlocutrices. A les voir, on n’a pas l’impression d’être dans un centre éducatif fermé. «Aujourd’hui, ils sont plutôt calmes, parfois, il y a vraiment de l’ambiance, commente Jocelyne, mais jamais d’excès ni de débordement». «Au moins avec nous, ce sont des petits anges», s’amuse Chantal. Toutes les trois parlent de ces après-midis passés à Pramont comme d’une «bouffée d’oxygène» pour les jeunes.
Les conversations vont bon train: commentaires, échanges spontanés fusent dans une ambiance conviviale. Les visiteuses demandent des nouvelles d’un garçon sorti il y a peu. Qu’est-il devenu? Tient-il le coup à l’extérieur? «Non madame, il fait des bêtises et ils l’ont ramené au centre». Tel autre, libéré en conditionnelle a aussi été pris en train de faire des «conneries» et a été envoyé à la prison voisine de Crêtelongue. Deux des jeunes présents autour de la table sont sur le point de sortir. «Vous vous tiendrez correctement. On vous aime bien mais on ne veut plus vous revoir ici», plaisante Danièle. Les gaillards sourient.
«Nous ne sommes pas dans le jugement. Il y a bien assez de monde qui juge ces jeunes», souligne Chantal, infirmière en pédiatrie à la retraite et bénévole du groupe Parole en liberté. Comme Jocelyne et Danièle, respectivement membres du groupe depuis dix-huit et douze ans, elle passe une fois par mois au Centre éducatif fermé de Pramont où elle partage deux heures avec les jeunes. Les «Mamies gâteau» comme on les surnomme, viennent passer un moment avec ces jeunes, pour les écouter et pour discuter de «tout et de rien», sans demander de comptes. Bien qu’elles aient une attitude miséricordieuse, elles s’en défendent. «Je ne vois pas cela comme de la miséricorde. J’appelle cela ›être humain’», se justifie Chantal, visiteuse depuis cinq ans. Danièle, qui ne met pas non plus ces visites sur le plan de la miséricorde, estime qu’il s’agit avant tout de donner un peu de chaleur humaine à ces jeunes. «S’ils sont contents de ce moment passé avec nous, ça me fait plaisir», déclare-t-elle. Jocelyne reconnaît la miséricorde à travers ces visites qu’elle effectue à Pramont et à Crêtelongue mais, ajoute-t-elle, «deux heures par mois, ce n’est pas grand-chose».
«Nous ne sommes pas dans le jugement. Il y a bien assez de monde qui juge ces jeunes»
La liberté de parler est aussi celle de ne pas s’exprimer. Les bénévoles ne forcent en rien les confessions, elles ne sont pas là pour cela. «Je ne vais pas en remettre une couche en mode interrogatoire, lance Chantal. Quand ils sont disposés à en parler, je suis là pour les faire réfléchir à ce qu’ils ont fait, pour qu’ils réalisent la gravité de leurs actes». «Pas de conseils ni de morale, renchérit Jocelyne, mais on parle franchement avec eux. Il ne s›agit pas de minimiser leurs actes ni de leur donner l’absolution». Parfois l’échange est possible, certains se confient mais en aparté en s’installant en marge du groupe, dans un coin de la salle. Ils peuvent également solliciter des entretiens individuels le week-end. «Il est plus facile pour certains de parler seul à seul», témoigne Jocelyne. Avec quel résultat? «Parfois ils arrivent à être en phase avec ce qu’ils ont fait. Certains essayent de s’en sortir, d’autres reviennent», relève Chantal. «Si nous les influençons? Je ne sais pas. Nous donnons notre point de vue. Ils en font ce qu’ils veulent», admet Jocelyne.
A la fin des deux heures, les garçons s’empressent de tout ranger et de remettre la salle en ordre. Pas question de laisser le travail aux trois visiteuses du jour. «Ils sont mignons avec nous. Quand on les voit ainsi, on oublie un instant les raisons pour lesquelles ils sont enfermés ici», s’amuse Danièle. L’allure et l’expression de ces garçons contrastent singulièrement avec les égards qu’ils ont pour les visiteuses envers lesquelles, selon Jocelyne, «ils ont toujours le souci d’être corrects et respectueux». Jamais un mot plus haut que l’autre. L’auteur d’une réflexion déplacée se ferait immédiatement rappeler à l’ordre par les autres. «Nous sommes un peu leurs grand-mamans», estime Jocelyne.
Entre deux séries de loto, les gaillards expriment leur reconnaissance et leur étonnement pour ces bénévoles qui leur consacrent du temps «sans être payées». Auparavant les visites se déroulaient le samedi. «Certains n’en revenaient pas qu’on prenne du temps pour eux un samedi», se souvient Jocelyne. «Ca nous change de l’enfermement, témoigne Alexandre, à Pramont depuis deux ans et demi. C’est l’extérieur qui vient à nous. C’est beau ce qu’elles font pour nous », confie-t-il. « Elles ont toujours le sourire et ne nous jugent pas, raconte Mickaël. On peut être nous-mêmes. Avec elles, nous ne sommes plus des dossiers. Cela fait du bien de voir que nous ne sommes pas des personnes oubliées. On ressort toujours d’ici avec le sourire», témoigne Mickël, 25 ans, à Pramont depuis 5 ans. « Nous sommes tous inscrits pour ces rencontres », insiste Alexandre.
Danièle, Chantal et Jocelyne se défendent d’être des saintes. Elles estiment simplement donner «un coup de main» sans avoir l›impression de faire grand-chose. Elles sont parfois amenées à défendre leur bénévolat. «Les malades, les handicapés, les sans-abris, il n’y a pas de problème mais concernant les prisonniers, c’est une autre histoire! Ils n’ont pas bonne presse», relève Jocelyne qui doit plaider leur cause. Danièle rapporte également l’incompréhension de ses interlocuteurs quant à son bénévolat et la sentence maintes fois entendue lorsqu’elle parle des gamins auxquels elle rend visite: «Ils ont fait des bêtises, ils n’ont qu’à payer! Pourquoi donc leur consacrer du temps?». Toutes trois rappellent le parcours de vie chaotique de certains, le manque d’affection, de famille et de repères de jeunes parfois livrés à eux-mêmes. Certains ont enchaîné les structures d’accueil. Elles ne justifient pas des actes parfois très graves, loin de là, mais estiment qu’ils ont droit à une écoute. «Pour moi, ce sont des jeunes, c’est tout», relève Chantal.
Les conditions des visites se sont durcies. Auparavant, la porte de la salle restait ouverte, les jeunes allaient et venaient. Les bénévoles les voyaient quasiment tous à chaque passage. Pour des questions de sécurité, les jeunes sont limités à six par groupe. La porte de la salle est verrouillée et les bénévoles équipés d’un téléphone pour donner l’alerte en cas de problème. Des picnics étaient organisés dans la cour intérieure du centre, ils ont été supprimés. La direction évoque aussi la sécurité. «Avec le tournus, les bénévoles ne peuvent plus voir régulièrement les jeunes. Le suivi est impossible en raison du décalage des visites», se désole Danièle. Elle reconnaît que les tensions sont parfois fortes et que la violence entre eux peut surgir à tout moment.
A l’heure de réintégrer leur quartier, les jeunes remercient sans effusion leurs visiteuses mais les embrassent en leur donnant rendez-vous le mois prochain.
Parole en liberté
Formé d’une trentaine de personnes, chrétiennes ou non, le groupe « PEL» existe depuis 1989 et s’est constitué en association le 11 février 2003. Ce groupe veut apporter aux détenus une écoute, un dialogue vrai sur tout sujet qu’ils désirent aborder. Le groupe fonctionne en accord avec la charte des visiteurs bénévoles de prisons, revue en mai 1998.
Les bénévoles se répartissent entre la prison de Crêtelongue, le Centre éducatif fermé de Pramont, les prisons préventives de Martigny, Sion et Brigue ainsi qu’à la Bergerie, où a lieu l’internement administratif prévu par la loi sur les mesures de contrainte (LMC).
Les temps d’échange sont suivis d’un loto. Les visiteurs apportent un cadeau aux détenus lors de leur anniversaire et à Pâques, et de temps en temps aux internés de la Bergerie.
Sur demande des prévenus, le groupe organise, avec l’accord du juge instructeur, des visites individuelles dans les diverses prisons préventives valaisannes ainsi qu’aux détenus de Crêtelongue.
A la Bergerie (LMC) deux groupes de deux personnes visitent chaque deux semaines les demandeurs d’asile internés en vue d’un renvoi dans leur pays. Les gens du groupe parlent l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, l’anglais et l’arabe.
Quatorze œuvres de miséricorde
La tradition de l’Eglise a développé, à partir de la bible, quatorze œuvres de miséricorde.
Sept œuvres corporelles ont été définies telles que donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.
Sept œuvres spirituelles complètent les œuvres corporelles: Conseiller ceux qui sont dans le doute, instruire les ignorants, exhorter les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Pramont: un centre éducatif fermé, pas une prison
Situé à Granges (VS), le Centre éducatif fermé de Pramont (CEP), un établissement pénitentiaire, a été mis en service en 1978. A l’origine une maison d’éducation au travail, l’établissement a été réaménagé en centre de mesures pour mineurs et jeunes adultes. Il accueille, sur décision du juge, des jeunes de 15 à 22 ans placés en vertu du droit pénal pour les mineurs. Les jeunes adultes, jusqu’à 30 ans révolus, y sont envoyés après un jugement prononcé sur la base du code pénal pour les adultes. Ils exécutent une mesure et non une peine.
Plusieurs ateliers permettent à ces jeunes de se former, entre autres aux métiers du bois, de la peinture, de la mécanique, etc.
Ces jeunes qui ont parfois commis des actes très graves, allant jusqu’au meurtre, sont étroitement encadrés et mis à l’épreuve. Ils doivent prouver leur volonté de se former et de se réinsérer. Chacun des 24 jeunes développe des compétences professionnelles et sociales «sur mesure» en fonction de ses capacités. Ils sont libérés sur décision du juge après un avis favorable de l’encadrement qui les estime aptes à se réinsérer dans la société. En entrant à Pramont, ces jeunes ne connaissent donc pas la date de leur sortie. L’objectif principal étant notamment d’éviter la récidive.
D’autres jeunes sont envoyés d’institutions ouvertes dans le cadre d’une mesure disciplinaire. Ils restent à Pramont pour un «recadrage», lors de séjours de courte durée.
Des cellules sont également disponibles pour des mineurs envoyés dans le centre en détention provisoire. Un «court séjour» n’excédant pas cinq jours, pour les besoins de l’enquête. Ils restent en cellule 23 heures par jour, sans aucun lien avec l’extérieur. (cath.ch-apic/bh)
Bernard Hallet
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