L’auteur de l’Histoire religieuse de la Première Guerre était à Fribourg le 8 avril 2016 dans cadre d’une journée d’étude consacrée à La Grande Guerre des Dominicains – Le chapitre général de 1916 à Fribourg et organisée par la Société d’histoire du Canton de Fribourg et la chaire d’histoire de l’Eglise de l’Université.
Entre 1914 et 1918, 9’300 religieux – prêtres, frères et novices – servent dans l’armée française ; 1’500 mourront. «En France et en Italie, les religieux sont mobilisés comme combattants; en Belgique, ils servent surtout dans le service de santé. En Allemagne, seuls les novices et une partie des frères, mais pas les prêtres, portent l’uniforme. En France, trois congrégations représentent plus du tiers des effectifs, les Frères des Écoles chrétiennes (1’896 mobilisés), les jésuites (855) et les spiritains (820). 215 Dominicains servent sous les drapeaux», précise Xavier Boniface.
Ce qui pousse les religieux «à quitter le froc pour le front»? Le professeur de l’Université de Picardie avance trois raisons. La première est que les religieux, pourtant expulsés de France, ne sont pas pour autant libérés des obligations militaires. «Leur participation à la guerre est donc paradoxale au regard de leur statut canonique et de leur situation juridique».
La deuxième raison est qu’ils tiennent à défendre leur réputation contre l’opinion anticléricale qui les accuse d’avoir échappé à la guerre. «Il s’agit alors de prouver qu’ils partagent le sort des Français devant le devoir patriotique et la perspective du sacrifice. L’enjeu est donc à la fois civique, moral et religieux».
Tout en participant à l’Union sacrée, les religieux y voient aussi, en troisième lieu «un moyen de revenir sur le sol français pour préparer l’avenir, en profitant de la tolérance du gouvernement».
Parmi les affectations des religieux mobilisés deux principaux types de fonctions sont repérables : l’une, ecclésiastique, comme aumôniers; l’autre, plus militaire, dans des emplois sanitaires, combattants ou spécifiques».
Il ne faut pas oublier en outre qu’à l’arrière du front, de très nombreuses religieuses sont actives. «Des religieuses œuvrent dans les hôpitaux, les hospices et les cliniques. Dès le début de la guerre, elles se mettent à la disposition des autorités, ou sont sollicitées par celles-ci, pour organiser ou desservir des ambulances».
Les religieux ne font pas que se battre. Ils accompagnent leur engagement d’une véritable réflexion. «Certains justifient la guerre dans une perspective religieuse. Les membres de congrégations vouées à la prédication sont habitués à parler à des foules de fidèles qu’ils tentent de mobiliser. Des intellectuels mettent leur plume au service de leur nation».
Une question demeure cependant: comment concilier fidélité à Dieu et fidélité à la patrie ? «La question est particulièrement délicate pour les religieux qui sont membres de communautés hiérarchisées et transnationales. Comment concilier la fidélité à leur famille spirituelle, qui compte des «frères en religion» dans des pays ennemis, et l’attachement à leur patrie temporelle ?» La guerre, qui divise les catholiques présents dans les deux camps, affecte d’autant plus les congrégations dont l’organisation ne s’arrête pas aux frontières.
Pour Xavier Boniface en définitive «les religieux considèrent la guerre comme une parenthèse qui peut être féconde du point de vue de l’apostolat, voire de la spiritualité, davantage tournée vers le sacrifice. Elle ne remet pas en cause leur vocation, ni leur attachement à leur ordre et à l’Église».
La journée d’étude du 8 avril a tenté de montrer comment des religieux, en l’occurrence les dominicains, provenant de nations belligérantes ont pu se réunir pour célébrer dans la paix leur chapitre général ?
En août 1916, le Maître de l’Ordre dominicain, Hyacinthe-Marie Cormier réunit le Chapitre à Fribourg, dans un pays neutre en apparence, mais lui-même divisé. L’Université de Fribourg et même sa faculté de théologie l’étaient tout autant.
Les membres du chapitre ne diront rien de la guerre. Les archives qui demeurent sont muettes. Le Père Philippe Toxé OP, procureur général de l’Ordre dominicain à Rome et canoniste, l’explique en relevant qu’un chapitre général est avant tout un organe et législatif qui sert d’abord à élire le Maître de l’Ordre et à réviser les Constitutions de l’Ordre. Ce qui a pu se dire et se vivre durant ce Chapitre échappe de ce fait à l’historien. (cath.ch-apic/com/mp)
Maurice Page
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