«Il y a une fraîcheur du langage, que nous avions découverte avec Evangelii Gaudium, une immédiateté du langage, un langage poétique, imagé, on peut dire que c’est un événement de langage», lance le cardinal autrichien Christoph Schönborn, un des acteurs majeurs des deux synodes sur la famille de 2014 et 2015. Tout en relevant la particularité du langage du pape François, l’ancien professeur de théologie de l’Université de Fribourg, souligne les éléments, importants à ses yeux, de continuité avec Benoît XVI dont le langage est plus «philosophique et théologique».
Quel est le message principal de cette exhortation?
C’est la joie de l’amour. C’est de A à Z un document sur l’amour. Avant de parler des problèmes, de crise, d’approches de la crise, le pape parle avec beaucoup de proximité de cœur, beaucoup de réalisme, de la beauté de l’amour. Et il en parle d’une manière qui montre que cela est vraiment en rapport avec la vie. On sent le pasteur qui a eu beaucoup à faire avec les pauvres, qui s’émerveille de voir comment les pauvres, dans des situations de relations difficiles, s’efforcent de vivre l’amour. Il admire les petits pas que font les gens en difficulté.
En parlant de nouveau langage, est-ce que l’on parle d’un langage plus accessible pour le Peuple de Dieu ?
Oui, je crois que pour des documents ecclésiastiques, ce que Benoît XVI a écrit lui-même, est toujours très accessible, magnifiquement accessible. Mais admettons humblement, et avec une part d’autocritique, que certains documents ecclésiastiques ont vraiment la langue de bois. Avec le pape François, ce n’est vraiment pas la langue de bois! C’est une langue vivante, simple, proche de la vie, proche de l’expérience. Et certainement abordable pour beaucoup de personnes.
Qu’est-ce qui ressort de ce document?
L’important dans ce document est, pour moi, que le mot ‘irrégulier’ est presque toujours lié au terme ‘soit-disant’. Le pape montre ainsi ce que nous avons trop souvent oublié dans notre discours ecclésial. Parler d’une situation ‘régulière’ ou ‘irrégulière’ est un regard externe. Le regard interne sur la situation de vie des couples et des familles est que nous avons tous des difficultés, que nous avons tous besoin de la miséricorde de Dieu. Aucun couple, aucune famille ne peut dire: «Nous sommes ‘en ordre’ et vous n’êtes pas en ordre». C’est pour moi un message libérateur et bienfaisant. Cela ne signifie pas que le pape dise ‘tout est égal’. Il y a des situations où il faut dire, comme toujours, cela ne correspond pas à ce Dieu a voulu à l’origine.
Le pape met en garde dans ce document contre le risque de tout changer sans une réflexion suffisante, et de l’autre côté, de la tentation de tout résoudre en appliquant des normes générales. Est-ce que Amoris Laetitia propose une nouvelle pédagogie pour la famille?
Exactement! Le mot «pédagogie». Le pape François est jésuite, il est pédagogue, il a enseigné longtemps, il a exercé la fonction de pédagogue, et on le sent dans tout ce document. Lisez le chapitre sur l’éducation, le chapitre 5, et mettez-le en rapport avec le chapitre 8, sur comment accompagner les situations difficiles, les situations irrégulières. Et vous verrez qu’il y a une grande proximité. Ce qu’il dit sur l’éducation de la conscience: ne pas penser que la conscience s’éduque en mettant partout des panneaux d’avertissement, mais de l’éveiller. Le terme clé de ce document est «accompagnement». Une attitude pédagogique d’un père avec ses enfants, d’un maître qui accompagne des jeunes dans la croissance. D’où l’importance du mot croissance. Se réjouir des petits pas de croissance: c’est tout à fait sa pédagogie.
Le pape François explique qu’il faut tenir compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, pour leur apporter vraiment une réponse pastorale. Ce n’était pas suffisamment pris en compte. Y a-t-il vraiment un appel à la responsabilité des pasteurs?
Je crois qu’il le dit explicitement qu’il comprend ceux qui veulent se cacher derrière des règles sûres, mais qu’il préfère une Eglise qui sort et qui se salit les souliers dans la boue. Autrement dit: Il est bien d’avoir la clarté sur les normes, mais il faut d’abord rencontrer des personnes dans leurs vies, dans leurs situations, et ce n’est pas une éthique de la situation, une morale de la situation, mais c’est une morale qui est attentive aux situations, aux innombrables diversités de situations. Chaque histoire est unique, et chaque personne mérite qu’on la considère dans sa vie concrète.
Parmi les situations, on sait que la question des divorcés remariés civilement a été très débattue lors des deux Synodes. Est-ce que l’exhortation va apporter une réponse à ces chrétiens qui souffrent?
Je pense que le pape apporte une réponse, mais ce n’est pas la réponse que certains attendaient et que d’autres craignaient. Il dit très clairement qu’il ne faut pas attendre, ni d’un Synode, ni de ce document, de nouvelles normes canoniques qui seraient valables pour tous les cas. N’attendez pas un changement de la discipline de l’Eglise. Il aime beaucoup le mot «inclusion». Il faut non pas exclure mais inclure, car chacun a son cheminement avec Dieu. Et l’Eglise est une mère qui doit accueillir, intégrer chacun, selon l’étape où il se trouve, selon le chemin sur lequel il se trouve. Le pape fait sien ce que le Synode avait dit sur les critères d’accompagnement. Je suis très fier, je dois le dire, que ce soit le document du cercle allemand, qui a été voté à l’unanimité, qui a été d’abord repris par le Synode puis par le Pape. Nous y avions proposé des critères de discernement qui ne sont pas d’abord des questions de sacrements mais des questions de morale familiale.
Le Pape m’avait dit une fois que la question des sacrements pour les divorcés-remariés est «una trappola», un piège. Parce que l’on ne regarde pas assez les situations. Nous avions mis dans ce document, que l’on retrouve dans le texte du Pape, comme première attention: «Qu’est-ce que vous avez fait des enfants?» Avant de parler de la miséricorde de l’Eglise pour les divorcés-remariés, pour l’accès aux sacrements, il faut leur poser la question: «et vos enfants?»
«Est-ce que vous avez fait peser le poids de votre conflit sur le dos de vos enfants? Est-ce que vous en avez fait les otages de votre conflit?» C’est là qu’il faut d’abord se convertir. «Essayez de demander pardon. Essayez de faire pénitence du mal que vous avez fait à vos enfants». On énumère ensuite tout une série d’autres points de discernement qui forment une sorte de chemin de conversion et de pénitence. La question des sacrements peut ensuite venir, mais à la fin d’un vrai cheminement (cath.ch-apic/rv/ob/kap/bh/mp)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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