Intitulée «L’Evangile des familles», elle était organisée conjointement avec le Centre Catholique Romand de Formations en Eglise (CCRFE).
Près de 150 étudiants et professeurs de la Faculté de théologie, des étudiants de l’Institut de Formation aux Ministères (IFM) ainsi que des agents pastoraux des diocèses de toute la Suisse, ont participé aux conférences et échanges mercredi 6 avril 2016 au Centre spirituel Ste-Ursule à Fribourg.
La famille traditionnelle est en danger. Elle serait même victime d’une «conspiration mondiale» visant à la détruire par la promotion des théories du genre, de la contraception, de l’avortement, voire du mariage de personnes du même sexe, à entendre certaines voix alarmistes. Il serait cependant naïf de penser que le modèle idéalisé de la famille catholique serait la panacée à tous les maux, a laissé entendre, en ouverture des travaux, le Père dominicain Hans Ulrich Steymans.
Le professeur ordinaire d’exégèse de l’Ancien Testament et doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg a ainsi relevé que les attentats terroristes de Paris ou de Bruxelles ont été commis par des personnes venant de familles traditionnelles, en l’occurrence musulmanes. Au sein des familles traditionnelles, on peut aussi rencontrer des cas de violences physiques ou psychiques, des personnes troublées…
A l’instar du Père Steymans, Philippe Hugo, directeur du Centre Catholique Romand de Formations en Eglise (CCRFE) et lui-même père de famille, perçoit bien le champ de tension existant entre une vision idéalisée de la famille – inaccessible pour l’essentiel du commun des mortels – et la réalité des familles dans la vie concrète.
Faisant part de son expérience romaine lors de la session d’octobre du Synode sur la famille, Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, a souligné la volonté du pape François de mettre en valeur la «synodalité», la responsabilité collégiale. Car faire synode, c’est «cheminer ensemble», un «marcher ensemble» ecclésial entre laïcs, pasteurs et évêque.
Dans son langage devenu typique, le pape François dit que l’évêque doit conduire son peuple, «ce qui ne veut pas dire se comporter en maître…». Si l’évêque, qui conduit son troupeau, doit rester derrière, «c’est que le troupeau possède aussi son propre ‘flair’ pour discerner les nouvelles routes que le Seigneur ouvre à l’Eglise». «Ce marcher ensemble’ ecclésial et familial tient à cœur au pape François!»
Se référant à la contribution du Père Philippe Lefèbvre lors de la journée d’études de la Conférence des évêques suisses en vue du Synode, l’évêque de Sion note le décalage entre les représentations actuelles du couple, de la famille, du mariage, et ce que l’on trouve dans la Bible.
Le dominicain Philippe Lefèbvre, qui enseigne l’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Fribourg, souligne que «pour établir un enseignement sur la famille, il est bon de commencer par s’arrêter et voir si l’on est vraiment fondé sur la Parole de Dieu, de crainte de sombrer dans l’idéologie» (*) Dans la Bible, la notion de «famille» fait référence au clan, à la maison, c’est-à-dire à un grand nombre.
«D’autre part, à regarder les familles bibliques, note Mgr Lovey, il nous est difficile d’y voir un modèle de référence. Adam accuse sa femme. Dans la première fratrie, c’est le drame du meurtre qui intervient. Jacob est fourbe et voleur, il n’échappera à son frère Esaü que par la fuite. Les fils de Jacob vendront leur propre petit frère… Il y a de quoi être déconcerté !»
Et l’évêque de Sion de rappeler que la famille de Jésus ne se limite pas au modèle de la Sainte Famille – Marie, Joseph et Jésus -, «mais comprend également des personnes parmi ses ancêtres comme Ra’ab, la prostituée, ou le roi David, polygame avéré!» De plus, on est étonnamment surpris de rencontrer un Jésus qui relativise les liens de famille, car il les subordonne à d’autres valeurs. Ainsi, les liens familiaux, tout fondamentaux qu’ils soient, ne sont pas absolus.
On peut même lire, dans Luc 14, 26: «Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple». Mgr Lovey estime finalement que «nous n’avons pas à idéaliser les familles de la Bible selon des schémas de perfection, d’unité, de communion dans l’amour, auxquels les familles d’aujourd’hui devraient se référer».
Face aux situations familiales diversifiées qu’il rencontre, qui ne sont pas toutes conformes à la vision de la famille que défend l’Eglise, Mgr Lovey a une approche pastorale: il plaide pour l’accueil et l’accompagnement. Le Synode (Relatio Synodi N° 34) le rappelle d’ailleurs: «Tous ont besoin d’un regard de compréhension, en tenant compte que les situations de distance par rapport à la vie ecclésiale ne sont pas toujours voulues, mais sont souvent induites et parfois même subies. Dans l’optique de la foi, personne n’est exclu: tous sont aimés de Dieu et sont au centre de l’action pastorale de l’Eglise».
Second conférencier de la journée, le professeur Jochen Sautermeister, qui enseigne la théologie morale aux Universités de Munich et de Bonn, plaide pour la recherche d’une perception et d’une évaluation réaliste des situations concrètes qu’affrontent les familles. Cette approche réaliste représente une condition préalable à toute action pastorale, mais elle «n’est pas compatible avec une foi étroite et anxieuse».
Jochen Sautermeister, qui travaille également comme conseiller pour les questions de mariage, de famille et de vie, met l’accent sur la capacité de contrôler ses propres préjugés dans la rencontre avec les autres: «C’est ce courage d’affronter la réalité qui distingue la doctrine et la proclamation chrétienne ainsi que l’action pastorale des idéalismes religieux, des rigorismes fondamentalistes ou des esthétismes des spiritualités ésotériques».
Ainsi, pour le professeur allemand, plutôt que de considérer la personne a priori et unilatéralement par le biais d’énoncés et de jugements universels – «les individus ne se laissent de toute façon pas enfermer dans des catégories universelles!» -, le regard de la théologie pastorale est basé sur une anthropologie sensible aux individus et à leur histoire. Elle est sensible en particulier aux faibles, aux nécessiteux, aux blessés et aux marginalisés, sans oublier ceux qui se sont mis eux-mêmes à l’écart par leurs actions.
Cependant, cela ne veut pas dire qu’une parole théologique, morale ou pastorale serait impossible. «Non, au contraire, cela veut dire que de tels jugements et paroles doivent rendre justice à la vie et aux histoires des hommes et qu’ils veulent leur ouvrir des perspectives d’avenir».
Et de plaider pour une «créativité pastorale» dans l’Eglise pour les familles justement qui ne correspondent pas à l’image idéale, après un divorce, les familles recomposées, les familles arc-en-ciel, les familles avec des enfants handicapés, les familles avec un parent malade psychique… «Avons-nous l’audace d’y reconnaître également des qualités et des valeurs religieuses et de développer une pastorale d’accueil authentique ?»
Dans son témoignage sur l’accueil des familles en pastorale paroissiale, Jean-Marc Buchs, agent pastoral laïc de l’Unité pastorale St-Joseph (Paroisses de Ste-Thérèse et de Givisiez/Granges-Paccot) a dit avoir été confronté plus d’une fois à des situations assez douloureuses. Ainsi des couples recomposés, divorcés remariés qui se sentent comme des «parias» au sein de l’Eglise, alors même que ces familles veulent aussi s’engager et s’intégrer dans la paroisse… Il ressent également un certain manque de compréhension de l’aspect communautaire dans les liturgies. «Sommes-nous conscients de la dimension communautaire de notre foi ?», a-t-il demandé.
L’avocat fribourgeois Bernard Sansonnens a secoué l’auditoire par son témoignage vrai et courageux de divorcé-remarié. Il a certes reconnu ne pas être «parfait» et ne pas être en règle avec le commandement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage. En expliquant les circonstances douloureuses de son divorce, il a souligné que son engagement était sincère au moment du mariage. C’est après que tout s’est dégradé.
«Malgré les efforts intenses que j’avais entrepris, il n’y avait plus de dialogue possible avec mon épouse, qui ne voulait plus vivre avec moi…» Sa foi l’a aidé à supporter les épreuves. Cet ancien animateur du MADEP (Mouvement d’Apostolat Des Enfants et Préadolescents) joue de la flûte traversière lors des messes de famille, et il va communier. «Il est exclu que je me considère comme un paria!»
Dans l’intervalle, il a rencontré une femme qui l’a beaucoup aidé: «Sans elle, je ne sais pas ce je serais devenu, certainement une épave… J’aurais fini comme clochard…»
Divorcé-remarié, il affirme que le célibat ne correspond pas à sa nature. «La prière et la méditation m’ont énormément aidé durant cette épreuve. J’ai senti la présence de Dieu à mes côtés… Je suis même persuadé que c’est Dieu qui a mis ma nouvelle épouse sur ma route».
Jacques Berset
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